Cannes 2023 | Un prince : Pierre Creton met à genoux l’âgisme gay 

Cannes 2023 | Un prince : Pierre Creton met à genoux l’âgisme gay 

Avec son septième long-métrage, Pierre Creton ne fait pas les choses à moitié et signe un film déroutant en forme d’autobiographie fantasmée où le sexe est roi mais jamais vulgaire.

Du sexe oui mais pas avec n’importe qui 

Pierre-Joseph (Antoine Pirotte) a 16 ans au moment d’intégrer un centre de formation en vue de devenir jardinier. Il y fait la rencontre de Françoise Brown (Manon Schaap), directrice, Alberto (Vincent Barré), professeur de botanique et Adrien, futur employeur. Tous vont marquer son apprentissage du métier et la découverte de sa sexualité. Car 40 ans plus tard, lorsque Kutta, l’enfant adoptif de Françoise, survient dans sa vie, c’est un nouveau terrain de jeux qui s’offre à lui…

On l’attendait ce film résolument queer à la Quinzaine des Cinéastes. Et force est de reconnaître que l’on n’a pas été déçu tant, au cours de ses 82 minutes, Un prince ne cesse de déjouer les codes et de nous questionner.  Par son titre, tout d’abord. Car qui est véritablement ce prince ? Est-ce Kutta, qui, on l’apprendra plus tard, aurait des origines princières ? Ou est-ce plutôt Pierre-Joseph, héros de ce film en forme de chronique du temps qui passe et de la manière dont les désirs peuvent (ou pas) évoluer ?

Vient ensuite le rapport au corps des autres que le film traite en long, en large et en travers. Au fil de sa vie, Pierre-Joseph en rencontre des hommes qu’il va aimer et avec lesquels le sexe semble endiablé. Mais à l’exception de son cousin (Olivier Cheval), ceux-ci sont tous bien plus âgés que lui. Rarement montrés à l’écran, ces amours homosexuelles et inter-générationnelles poussent le spectateur dans ses retranchements, contraint malgré lui de voir de la poésie dans ces corps qui ne ressemblent pas et qui pourtant, semblent parfaitement s’accorder.

« Le narcissisme, c’est le contraire de s’aimer » 

Grâce à un dispositif narratif très particulier (plusieurs voix-off n’appartenant pas aux comédiens prennent le point de vue de Françoise, Pierre-Joseph, Alberto), Un prince joue la carte de la radicalité. Oui, il est question de sexe mais il est finalement peu représenté. Oeuvre visuelle et littéraire, le film de Pierre Creton a tout d’une adaptation de roman tant ces voix-off viennent dire ce qui ne peut être montré, au risque de rapidement tomber dans la vulgarité. Seules quelques photos joliment amenées viennent nous rappeler ici et là qu’il est question d’amour, de sexe et donc éventuellement de pénétration. (On ne fera d’ailleurs qu’évoquer ici le sexe de Kutta pour vous laisser la surprise de la découverte, car celle-ci est énorme !) 

Presque conçu comme une lettre d’amour au jeune homme qu’il a été, les scénaristes Pierre Creton, Mathilde Girard, Cyril Neyrat et Vincent Barré réussissent avec Un prince l’exploit de montrer qu’il n’y a pas d’âge pour aimer et être aimé. Tout comme il n’y a pas d’âge pour exprimer ses moindres désirs. Une leçon qui mérite d’être rappelée tant il peut être difficile de vieillir au sein d’une communauté qui sur-valorise la jeunesse éternelle, la musculature marquée et la santé rayonnante. Et si le virage mystique des dernières minutes a de quoi surprendre, la musique presque minimaliste est un excellent indicateur du type d’oeuvre face à laquelle nous sommes : naturaliste visuellement, romantique sur le fond. 

Subtil presque de bout en bout, Un prince est un objet filmique inclassable. Dérangeant pour certains, passionnants pour d’autres, il fait tout de même partie du haut du panier du cru 2023 de cette Quinzaine des Cinéastes. Par les réactions qu’il fait naître et le parfum presque transgressif qu’il disperse sur la Croisette, nous, on ne peut que l’aimer.