Le cinéma asiatique est probablement l’un des seuls cinémas au monde à accorder autant d’importance à la nourriture et à la confection des plats. Il n’y a qu’à penser à Tampopo de Jūzō Itami, passer en revue une large partie de l’oeuvre de Kore-eda, ou tout simplement se souvenir de toutes ces fois où on a salivé en silence devant un film venu de Chine ou de Corée. On peut donc trouver une forme de logique et surtout de continuité dans la démarche du cinéaste français d’origine vietnamienne Tran Anh Hung qui transcrit ce quasi-genre dans le cadre de la gastronomie française, en mettant en scène le gastronome Dodin Bouffant, personnage d’un roman de Marcel Rouff.
Ce qui frappe dans la séquence d’ouverture, c’est le soin accordé aux gestes, d’abord dans le jardin, où le personnage interprété par Juliette Binoche cueille et nettoie des légumes, puis dans la cuisine, où on entre directement dans la réalisation des plats. La découpe des légumes, les viandes que l’on fait dorer, les sauces à rectifier… C’est une succession d’actions chorégraphiées, à la fois dans les différentes étapes qui composent la confection de l’une ou l’autre des recettes, mais aussi dans la virtuosité et l’harmonie avec laquelle les 4 personnages cuisinent ensemble sans quasiment se parler. On est de plein pied dans une action collective qui implique nécessairement une certaine intimité entre les protagonistes, et induit en même temps un sentiment très joyeux.
Quand le « dire » prend le pas sur le « faire »
On aurait peut-être pu passer 1h30 à assister au bonheur de cuisiner ensemble, dans une grande économie de narration, pour aller à l’essentiel de cette alchimie qu’est la cuisine, à la fois entre les ingrédients, les saveurs, et les cuisiniers. Hélas, il n’en sera rien, car la question du récit et la tarte à la crème des enjeux dramatiques viennent balayer cette observation minutieuse. Le « dire » prend alors le pas sur le « faire » – et là, on n’est plus très loin de la catastrophe. Les dialogues, en effet, sont extraordinairement explicatifs, en plus d’être empesés et laborieux. On plaint le pauvre Benoit Magimel obligé de réciter la fiche wikipedia d’Antonin Carême ou d’annoncer les étapes de la cuisson d’une viande d’un ton didactique.
Pendant toute partie du film, la cuisine est même reléguée au second plan, au profit d’un fil narratif beaucoup plus convenu et globalement sans surprise : Dodin peut-il se remettre de la perte de sa cuisinière, qui accessoirement était la femme qu’il aimait ? On passera sur l’idée qu’il suffit de la remplacer par une autre tout aussi douée en cuisine – après tout, côté sentiments, quelle différence cela ferait-il ?
Tran Anh Hung n’est guère plus convaincant lorsqu’il cède à la tentation du performatif, qu’il s’agisse d’exacerber l’excellence de ses personnages (la petite apprentie qui à peine arrivée dans la cuisine est capable de citer les 217* ingrédients différents d’une sauce) ou de magnifier sa mise en scène. À vrai dire, on ne comprend pas pourquoi il abuse de plans à la caméra portée et de démonstrations de force formelles purement gratuites, comme lorsque la caméra se met à tourner sur elle-même dans un plan circulaire qui n’en finit plus. Cette complexité ostentatoire ajoute à l’effet ampoulé de l’ensemble, que l’un des personnages résume merveilleusement, en évoquant un potage au charme un peu vieillot. Les ingrédients pris individuellement ont tous un intérêt, mais la manière de les combiner est si terriblement surannée qu’on reste irrémédiablement sur sa faim.
* Chiffre non contractuel