Pour une première édition, le Festival international du Film de Biarritz, Nouvelles Vagues, a transformé l’essai avec brio. Une star internationale, égérie du partenaire principal Chanel, Penélope Cruz. Une avant-première populaire, la nouvelle comédie engagée d’Olivier Nakache et Eric Toledano, Une année difficile. Une projection sur la plage où une centaine de spectateurs ont vu ou revu leur deuxième film Nos jours heureux. Des salles bien remplies au Royal ou à la Gare du midi. De belles soirées festives chargées en cocktail St Germain et fromages basques. Nouvelles Vagues avait déjà tout d’un grand, avec ses soirées, son jury prestigieux et international, et surtout une sélection dédiée à la jeunesse à la fois « pointue et accessible » selon les mots de sa directrice de la programmation, Lili Hinstin.
Ainsi, au milieu des surfeurs, des touristes et des biarrots, les spectateurs se faufilaient dans les salles obscures ou sur le tapis rouge pour découvrir un événement bien organisé malgré l’éclatement des lieux, la densité de propositions quotidiennes et les dizaines de journalistes présents.
Un palmarès juste et équilibré
Le palmarès de Nouvelles vagues a logiquement récompensé les meilleurs films de la compétition, faisant la part belle aux premiers longs métrages. Déjà primé à Cannes avec le Prix Un Certain regard, How to Have Sex de Molly Manning Walker (en salles le 15 novembre) repart de la côte Basque avec le prix du public et le prix spécial du jury. Autre joli doublé, celui de Banel & Adama (en compétition à Cannes), de Ramata-Toulaye Sy, qui reçoit le prix du jury Étudiants et le prix du jury du Pass Culture.
Ces deux films, ainsi que les autres œuvres distinguées, ont toutes en commun d’avoir un personnage féminin au cœur du récit. Qu’elles se nomment Tara, Banel, Xian, Amanda, Julia, Paula, ou encore Alysia, les femmes cherchent leur voie et font entendre leur voix dans un monde ou une famille qui les étouffe.
Xian à Harbin
A Song Sung Blue, Grand prix du jury et en salles le 6 décembre, suit une adolescente mal dans sa peau dans une métropole chinoise du nord de la Chine. Son attirance trouble pour une fille plus belle et plus âgée va la rendre audacieuse et plus épanouie. Outre le portrait social de cette jeunesse un peu désœuvrée, Zihan Geng signe un blues estival sur fond d’amour impossible et de rupture évidente. À la fois contemplatif, laissant respirer les émotions par les silences et les non dits, ce doux drame qui cherche à fuir le déterminisme, s’avère avant tout une jolie chronique où coexistent toutes les humeurs d’une adolescente qui cherche sa place entre une mère admirable, un père pitoyable, des jeunes plus matures et même sa chorale où elle doit, faute de costumes pour filles, se placer au milieu des garçons. Toute la palette d’émotions de cette gamine en plein âge ingrat est formidablement interprétée par Zhou Meijun dans ce mélo flottant où l’amitié reste la valeur cardinale pour s’émanciper.
Amanda dans le Piedmont
C’est aussi le cas dans Amanda de Carolina Cavalli, auréolé du prix d’interprétation, assez logiquement, pour son actrice principale, Benedetta Porcaroli. Asociale, hautaine, pour beaucoup antipathique, sans doute trop belle et trop smart, viscontienne en diable, elle est le prototype de la cadette gâtée dans une famille de bourgeois aux allures aristocratiques. Dans ce film de femmes, toutes les protagonistes sont consommées par leurs névroses et leurs frustrations. Amanda, incomprise et méprisante, tente de balancer quelques vérités pour fendre leur carapace et rompre le sentiment de solitude. Dans une atmosphère très vaporeuse et des décors soignés, la réalisatrice imprègne son film d’un zeste de surréalisme et une bonne dose d’absurde pour mieux souligner l’aliénation de cette caste. Tout cela aide Amanda à se détacher de cet univers engoncé, tout en se persuadant qu’elle vit une vie bien supérieure à celle de son entourage. Cet Amanda en X chapitres, malgré ses baisses de rythme et son manque d’élan, est le portrait irrésistible d’une perdante magnifique (et sublime) …
Julia à Madrid, Melilla et Valence
Dans Les tournesols sauvages, de Jaime Rosales (en salles le 2 août), il s’agit aussi d’une quête de liberté. Celle d’une jeune femme qui cherchel’équilibre entre l’amour et la maternité. Cette fois, le film est découpé en trois chapitres. Trois (beaux) mecs. Trois illustrations de la masculinité, avec, pour commencer le mâle macho, viril, tatoué, bestial, possessif, narcissique. Puis le géniteur, préférant le célibat, trop immature pour assumer ses devoirs paternels. Enfin, le mec a priori parfait, tendre et sensible, mais trop accaparé par son travail. Le cinéaste espagnol et son actrice, Anna Castillo, réussissent une parfaite symbiose sur la difficulté d’être femme et mère à 22 ans. Julia est ballotée par ses sentiments, ses exigences, et l’évidence d’être à côté de la plaque, ou tout simplement pas au bon endroit. À coup d’ellipses subtiles et de discours en creux, ce n’est pas simplement l’envie d’être libre qui la pousse à être au bord de la crise de nerfs: c’est un combat permanent pour atteindre la zone d’intérêt commun, là où la conciliation l’emporte sur la violence ou l’absence.
Banel au Sénégal, Paula dans les bois
On comprend bien que le conflit est la matrice de ces histoires. On retrouve cette tension récurrente dans quasiment tous les films. Du côté de Banel & Adama (en salles le 4 octobre), c’est même une double conflictualité qui est en jeu : parce que Banel veut une vie à l’écart de la communauté et entièrement dévouée à son amour, elle lutte contre son village puis contre son mari Adama. Toutes ces femmes semblet ainsi dévorées par leur démon intérieur. Xian se bat contre ses parents et ses pulsions intimes. Amanda résiste au conformisme et à son esprit légèrement dérangé. Julia doit se confronter à des hommes pas encore déconstruits.
Et il y a aussi Paula (Aline Helan-Boudon, jolie révélation), héroïne du film éponyme d’Angela Ottobah (mention spéciale du jury Pass culture et en salles le 19 juillet), survivaliste malgré elle dès que son père, malade, sombre dans une forme de folie dangereuse. On aurait aimé la suivre cette gamine impulsive. Las, elle est en roue libre dans un film invertébré, plus étrange qu’inquiétant, parfois malaisant. Flirtant avec le cinéma de Breillat et d’Hadzihalilovic, la réalisatrice cherche tout autant sa direction que le personnage. Elle hésite entre fantastique et naturaliste, basculant de l’onirisme à la psychanalyse. Cette fable un brin vaseuse et, en tout cas, noyée dans un rapport père-fille malsain, permet malgré tout à la petite Paula « de tuer le père » et de vivre sa vie en mangeant des confiseries.
Alysia à San Francisco (et à Paris)
Cependant, on se doute bien que le trauma sera vivace quand elle aura grandit. Tout comme celui que connaît Tyra dans How to Have Sex, lors de ses vacances alcoolisées. Après un abus sexuel, plus rien ne sera comme avant pour elle, et pour ses amies. La fête est finie.
Pa plus de la tête à la fête non plus dans Fairyland et Une année difficile. Produit par Sofia Coppola, le premier film d’Andrew Durham retrace l’histoire d’un père gay et de sa fille dans le San Francisco des années 1970-1980, soit la période où la ville s’affirme comme capitale LGBTQI puis comme l’épicentre de l’épidémie du Sida. C’est l’histoire vraie d’Alysia Abbott, jeune fille qui grandit au milieu de la scène beatnik et de ses déviances, mais qui aspire en grandissant à construire sa propre existence. Jolie chronique, assez mainstream, d’une époque révolue, le film, touchant et sensible, est autant un éloge de la diversité qu’un portrait d’une jeune fille qui doit se trouver dans une Amérique conservatrice avec son héritage anti-conformiste. En écrivant un livre biographique, désormais adapté sur grand écran, Alysia démontre qu’elle a su, bien mieux que Paula dans le film d’Angela Ottobah, survivre à ses désastres intimes.
Cactus sur le front
De désastre, il en est question également dans le nouveau film d’Eric Toledano et Olivier Nakache, Une année difficile. Satire politique aux dialogues parfois un poil démonstratifs mais souvent brillants, le film est promis à un beau succès populaire (en salles le 18 octobre). Surconsommation et surendettement font mauvais ménage dans un monde qui brûle climatiquement. Car Une année difficile s’intéresse aux milieux associatifs face aux « institutions », qu’elle soient politique, financière ou commerciale. Mais surtout, porté par Noémie Merlant, décidément formidable dans le registre de la comédie, il s’agit du combat d’activistes écologiques. En s’impliquant physiquement et collectivement, jusqu’à un radicalisme qui frôle l’absurde, son personnage de Cactus (surnom militant) joue les Don Quichotte contre un système écocide. Déterminée et rebelle, elle aussi en lutte contre une société conservatrice et consumériste avec des méthodes pas vraiment conventionnelles (assez proches d’Extinction rebellion). Dans le quintet imaginé par les auteurs, elle est la véritable héroïne de cette dramédie contemporaine, engagée, et presque désenchantée. En faisant plier un à un tous les hommes arrogants et insincères, Cactus impose à la fois une révolution des mentalités et une déconstruction de l’ordre établi.
Marguerite sur la rive gauche (et en Suisse)
C’est ce qui la rapproche de Marguerite. Une jeune mathématicienne géniale qui n’a jamais douté de sa vocation jusqu’à une erreur de calcul… Entourée de mâles vaniteux et arrogants, elle décide alors de raccrocher les gants et met son cerveau au service du mahjong pour vivre une « normale ». Avec un personnage féminin puissant et cérébral, ce film, très classique mais séduisant, est incarné par la fascinante Ella Rumpf (Grave, Tokyo Vice), Le théorème de Marguerite (en séance spéciale à Cannes et en salles le 1er novembre). Il prouve de manière convaincante qu’il faut avoir une âme de combattante (et ici une passion obsessionnelle basculant vers la folie) pour conquérir sa place dans une arène peuplée de vieux, de frustrés, et de dominants.
Take off
C’est là le dénominateur commun de toutes ces jeunes femmes, de cette jeunesse au féminin même : dans un monde encore très masculin, souvent toxique, parfois coincé dans des conventions rétrogrades, elles doivent s’affirmer en assumant une forme de marginalité, en empruntant des chemins de traverse, en exprimant à voix haute leurs souffrances, tout en en rompant avec le jugement en hystérie, en incompétence ou en faiblesse. Non consentantes avec le monde actuel et avec des hommes fiers de leur puissance séculaire, elles sont des combattantes prêtes à tout pour obtenir leur place légitime dans ce monde. Régénérant comme une biagnade dans les rouleaux de l’Atlantique…
Cette évidence fait d’ailleurs écho à ce nouveau festival : Nouvelles vagues voulait prouver qu’il avait sa place dans l’environnement cinéphilique français. C’est clairement gagné dès le coup d’essai, tant il a été revigorant pour ceux qui doutaient encore de la force du cinéma à capter l’air du temps.