[Reprise] Persépolis : Marjane Satrapi percée à jour

[Reprise] Persépolis : Marjane Satrapi percée à jour

« – J’avais deux obsessions : pouvoir me raser les jambes et devenir le dernier prophète de la galaxie. »

16 ans après sa sortie, son Prix du jury à Cannes (et une dizaine d’autres récompenses ailleurs), ses 3 millions de spectateurs dans le monde, Persépolis ressort en salles le 26 juillet. Adaptation de la BD éponyme et autobiographique de Marjane Satrapi, le film d’animation est sans aucun doute l’un des plus importants de ces vingt dernières années par son succès. Qu’il revienne en salles cette année est d’autant plus légitime qu’il fait écho à la situation politique actuelle en Iran.

Depuis près d’un an, un mouvement de protestation inédit persévère dans ce pays traversé par de graves problèmes économiques et sociaux. Il a éclaté quand une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, est morte en détention après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour « port de vêtements inapropriés ». Depuis des manifestations hostiles au régime se succèdent, des femmes enlèvent leur voile et sortent cheveux à l’air dans la rue, des élans de solidarité mondiale se propagent sur les réseaux, notamment avec le relais des comptes de Goshifteh Farhani et de Marjane Satrapi. Face à cette colère, le pouvoir réprime fortement : incarcérations, tortures, empoisonnements, exécutions, etc. La récolte continue encore aujourd’hui, d’autant que le pouvoir iranien s’en prend d’abord aux femmes.

Alors, oui, Persépolis, qui se déroule au moment où la République islamique prend le pouvoir, fait encore écho à la situation actuelle. Raison de plus pour revoir ce fabuleux film.

Téhéran 1978 : Marjane, huit ans, songe à l'avenir et se rêve en prophète sauvant le monde. Choyée par des parents modernes et cultivés, particulièrement liée à sa grand-mère, elle suit avec exaltation les évènements qui vont mener à la révolution et provoquer la chute du régime du Chah.
Avec l'instauration de la République islamique débute le temps des "commissaires de la révolution" qui contrôlent tenues et comportements. Marjane qui doit porter le voile, se rêve désormais en révolutionnaire.
Bientôt, la guerre contre l'Irak entraîne bombardements, privations, et disparitions de proches. La répression intérieure devient chaque jour plus sévère.
Dans un contexte de plus en plus pénible, sa langue bien pendue et ses positions rebelles deviennent problématiques. Ses parents décident alors de l'envoyer en Autriche pour la protéger.
A Vienne, Marjane vit à quatorze ans sa deuxième révolution : l'adolescence, la liberté, les vertiges de l'amour mais aussi l'exil, la solitude et la différence.

Persépolis se distingue de l’animation française habituelle par un casting vocal haut de gamme (Deneuve, Darrieux, Mastroianni…), mais pas seulement. La direction artistique – entre expressionnisme et estampes -, la qualité technique et le montage qui fait du film d’animation un divertissement de belle facture n’est jamais ennuyeux.

Le seul et véritable reproche que l’on peut faire au film est peut-être de ne pas avoir été plus animé. Un comble. La bande dessinée s’accroche et rend le dessin souvent trop figé et pas assez en mouvement. C’est évidemment compensé par le splendide contraste entre l’encre et la lumière Une sorte de théâtre de marionnettes en ombres chinoises.

Doté d’un solide scénario, d’un humour plaisant et de personnages bien écrits, le script du film permet à la BD de sortir de sa narration par cases. En usant du flash-back, et s’agrémentant de couleurs pour le présent, Persépolis se métamorphose sous nos yeux. La noirceur du propos historique, dramatique persiste à s’harmoniser avec la dérision et l’ironie de l’autrice (et donc du sujet).

Bipolaire

En confrontant les aspects négatifs des deux mondes – l’Occident et l’Iran – Satrapi réussit à bien transmettre sa vision de l’exil, c’est-à-dire une déchirure individuelle, une insatisfaction perpétuelle, une recherche de voie médiane. Ce n’est pas la sagesse ou l’amour que cherchent Marjane, mais la liberté. Celle de s’exprimer : pouvoir dire un « Ta gueule! » à Dieu, la vérité en classe, « je veux divorcer » à son mari. S’exprimer par le dessin, la musique (incluant le surprenant Iron Maiden et le duel Abba versus Bee Gees), la fête. « Eye of the Tiger » produit un moment culte…

Il ne faut pas non plus manquer sa crise de croissance à l’adolescence qui fait dire à la grand-mère : « Nom de Dieu comme tu as grandit. Tu vas pouvoir attraper les couilles du Seigneur! » De même sa dépression l’entraînera sur la voie de la guérison à travers une image choc : des jambes pas épilées. Les fleurs, les étoiles, les vagues font du film animé un univers léger et romantique. Mais quelques images crades, quelques expressions crues façonnent aussi ce long métrage en épreuve initiatique tout publics. On peut être féminin, féministe et crue.

Car au-delà de ces séquences jouissives, le film n’oublie pas de dénoncer la cruauté et la lâcheté d’un régime, la poésie d’une grand-mère qui met du jasmin dans le soutif, la débilité culturelle ambiante (Godzilla, Inspecteur Derrick), l’égoïsme des occidentaux. On comprend que son « désarroi est immense » face à la corruption, la terreur, la peur qui anéantissent les consciences et le courage.

Persépolis n’éclipse aucun sujets même tabous. Mais cela reste avant tout la jolie histoire d’une gamine rêveuse et idéaliste qui grandit dans un monde quand même assez pourri, mais qu’elle persiste à vouloir voir très beau. Comme des illustrations qui font revivre ceux qui sont éloignés ou ceux qui sont morts. Ode à l’exil et à l’intégration, il est aussi un hymne nostalgique à ceux qui sont restés intègres.