On avait un peu perdu de vue Alexander Payne. Son dernier film, Downsizing, sorti en 2017, avait largement déçu ses fidèles avec un strike phénoménal : Citizen Ruth, L’arriviste, Monsieur Schmidt, Sideways, The Descendants et Nebraska.
Pour les fêtes de fin d’année, le cinéaste revient avec un beau cadeau, Winter Break (The Holdovers). Une comédie grinçante autour d’un misanthrope érudit. Il renoue ainsi avec un personnage associable, pas forcément aimable, et solitaire. Il retrouve également Paul Giamatti, près de vingt ans après leur succès commun, Sideaways, qui incarne avec jubilation un excellent professeur, s’avèrant être déconnecté, inflexible, borné et peu empathique. Un côté Monsieur Schmidt.
Il y a même quelque chose de Wes Anderson dans ce nouvel Alexander Payne. Cette façon de filmer avec application les détails, cette symétrie dans certains plans, cet étalage de culture, ou cette retransposition parfaite des seventies (jusque dans la lumière et l’image d’Eigil Bryld)… On peut aussi y voir une manière de dézinguer les films de Noël. Il y a bien de la neige, mais pour le reste, la magie et le bonheur familial sont effacés d’un scénario qui mène d’un certain cynisme jouissif à une mièvrerie consensuelle attendue. Un peu à la manière d’un Bad Santa.
Affreux Noël
Le pédant et méprisant M. Hunham est une sorte de Grinch vénérant l’Antiquité dans une école privée de pensionnaires qui sont plutôt portés sur les joints, le porno et le rock. Nul ne doute que si Hunham était un Père Noël, il serait une ordure (sadique). Manque de bol : il doit rester dans le pensionnat durant les fêtes pour « garder » les quelques garçons qui ne peuvent pas célébrer Noël en famille. Pour l’aider, il y a la cantinière, Mary (Da’Vine Joy Randolph, véritable révélation sur le grand écran), « veuve » de son fils mort au Vietnam, et un gardien. La coexistence n’est pas si évidente entre les assignés à résidence, des gosses de riche, et les géôliers prolos, qui subissent tout autant la situation.
À ce titre, Payne, qui revient au lycée 24 ans après L’arriviste, a opéré un choix judicieux en installant son récit dans les années 1970. Peu de choses ont finalement changé en un demi siècle. Déjà, on pouvait voir se confronter deux mondes – les anciens et les modernes, les classiques et les éveillés, les conservateurs (racistes) et les progressistes (désespérés). En retournant aux seventies, le cinéaste évite le discours binaire opposant réacs et wokistes, tout en insérant, en filigrane, quelques remarques sur l’importance de l’écoute, de la transmission et du dialogue.
« Vous êtes et vous avez toujours été un cancer du pénis sous forme humaine ».
On est ainsi davantage convaincu par la première partie du film où les clashs se succèdent entre ce prof buté, mesquin et moralisateur et ces pauvres gamins, passablement névrosés, qui vivent un enfer spartiate. La comédie, dans son aspect sarcastique, fait rire jaune avec un humour parfois noir. Un régal dans l’écriture, l’interprétation et la mise en scène, qui tire profit de ce huis-clos.
Petit à petit, l’histoire va changer de tonalité. Le professeur va révéler, par la force des choses, un tempérament moins détestable qu’il n’y parait. La compassion s’invite dans ce Noël cruel. D’une part, en se positionnant aux côtés de Mary, durement éprouvée en tant que femme noir invisibilisée par ces gosses blancs et en tant que mère d’un soldat sacrifié à l’autre bout du monde pour une patrie peu reconnaissante. D’autre part, en resserant le film sur le face à face entre le professeur et un élève, Angus (Dominique Sessa, qui, avec ce premier rôle au cinéma, s’impose avec une belle aisance).
Blues de Noël
Arrive alors la seconde partie, plus sensible, plus prévisible et plus dramatique. On note quelques remplisages inutiles, une réalisation moins audacieuse, une envie de sagesse. Winter Break perd son mordant. Heureusement, le trouple professeur-cantinière-élève, trois solitaires en mal d’affection et de reconnaissance, provoque une belle alchimie qui donne du relief à un scénario plus balisé. Les dialogues restent chics, les répliques courtes et incisives. Les différences s’accordent harmonieusement. Et de manière toute aussi fluide, l’épilogue rendra sa dignité à cet enseignant mal-aimé et mal aimable, comme souvent dans ces films autour de profs iconoclastes (Le cercle des poètes disparus, Le sourire de Mona Lisa).
Mais là n’est pas le propos. Comme on l’a souligné, le retour dans le passé permet au réalisateur d’éclairer sa vision du présent. « On peut se comprendre sans blesser, même si on ne s’aime pas« . Le message est clair et fait écho à notre société contemporaine. Alexander Payne cherche à panser les fractures d’une société divisée avec ce conte de Noël où tout ce monde sous antidépresseurs s’offre l’unique cadeau possible : des sentiments et de l’émotion.