Par-delà les montagnes, l’échappée belle et fatale de Mohamed Ben Attia

Par-delà les montagnes, l’échappée belle et fatale de Mohamed Ben Attia

Troisième long métrage du cinéaste tunisien Mohamed Ben Attia (Mon cher enfant, Hedi), Par-delà les montagnes prolonge son œuvre mêlant crise existentielle et conflit familial.

Cette fois-ci, il suit Rafik (Majd Mastoura,, magnétique), marié, papa d’un garçon éveillé, avec un bel appartement et un bon travail. Sauf qu’il implose. Burn out? Accès de folie? Il détruit l’open office de son entreprise, se défenestre et se voit condamner à quatre ans de prison. Une fois, de plus, il tente de « s’évader » en sautant d’une lucarne. Personne ne parvient pas à expliquer ses gestes. Mais, une fois libéré, il a tout perdu : son épouse refuse de le voir, ses beaux-parents le mettent en garde, il est au chômage. Alors, il décide d’enlever son enfant et de l’emmener dans les montagnes pour lui révéler son incroyable secret. Rafik vole. Haut dans le ciel… Malheureusement la réalité le fera vite retomber sur terre.

Le film est construit comme une pièce de théâtre. Un prologue qui aboutit au kidnapping de son enfant ; un premier acte sous forme de road-movie à la destination inconnue, dans les montagnes verdoyantes de la Tunisie ; un second acte que n’aurait pas renié Michael Haneke sous forme de huis-clos tendu dans un chalet isolé ; un épilogue allégorique et fugace…

L’impasse

Dans ce scénario assez scolaire, mais efficace, le cinéaste réussit heureusement à insuffler de véritables moments de grâce. Son découpage très contrôlé, composé de plans relativement courts, permet de rythmer cette fuite en avant, et de faire respirer ses personnages. À l’image de Rafik, fébrile, anxieux, agité, nerveux, instable, mais qui se laisse aussi porter par cette envie d’envol.

Car dans cet exode qui aboutit à une prise en étau, la seule échappée du père est de se jeter dans le vide, persuadé qu’il peut voler. Pulsion suicidaire ? Dérangement mental ? Il cumule les erreurs au fur et à mesure de ce voyage périlleux, s’enlisant dans une situation insoluble. Chacun de ses choix le mène un peu plus vers un destin incontrôlable et fait monter d’un cran la tension. Le film, conscient de ses artifices narratifs, glisse doucement vers le thriller, suivant ainsi le statut de son anti-héros, passé de vagabond à fuyard.

Mohamed Ben Attia poursuit son exploration des névroses masculines dans un pays dicté par des règles archaiques, patriarcales, et suffocantes. En choisissant une fois de plus un homme ordinaire, au milieu de sa vie, il dresse le portrait d’une masculinité tout à la fois tendre, friable et contrainte. Tel Icare cherchant à s’approcher du soleil, Rafik, son fils et un berger croisé par hasard rêvent d’un ailleurs meilleur. Et illusoire. La société est éclatée, la cohésion inexistente.

En perturbant la tranquillité d’une famille bourgeoise, ce trio bancal, prêt à tout jusqu’à un éventuel pétage de plomb, leur rappelle que tout ne vas pas si bien que cela dans le réel. Tout le monde va droit dans le mur, même quand on survole les arbres. Et le plus dur sera la chute…