Le Texas et la Californie versus le reste des Etats-Unis. La Floride en tête d’une insurrection, l’Oregon a sa révolution maïste,. C’est une dystopie. Quoique. Jamais, par l’actuelle bipolarisation politique des USA, une nouvelle guerre de Sécession entre états républicains et démocrates n’a été aussi plausible. C’est sur ce postulat qu’Alex Garland a décidé de construire un scénario basique et efficace : Civil War.
Nulle mention à l’époque (un futur proche), à Donald Trump (même si la politique du président des Etats-Unis s’en approche : on apprend ainsi qu’il a mis fin au FBI et à différentes administrations de « l’état profond »), ou à d’autres événements contemporains. Civil War commence là où Le monde après nous s’arrête : des armées de différentes alliances se ruent vers la capitale et le fameux bureau ovale afin de destituer le pouvoir exécutif fédéral.
Les Etats-Unis sont à feu et à sang. Des émeutes. Des explosions kamikaze. Des carnages. Des lynchages. Des guerrillas urbaines. Le pays est ravagé, en fumée, avec un président enfumeur, qui sert une propagande mensongère.
Profession Reporters
Alex Garland ne s’attarde pas sur les causes. Il nous embarque, avec ou sans gilet de protection, dans un road-movie, une course contre-la-montre vers la Maison Blanche pour une équipe de reporters décidée à obtenir un entretien avec le Président, avant qu’il ne soit trop tard.
Ils doivent traverser une zone de guerre qui s’étend tout au long de la Cote Est. Kirsten Dunst, en Lee Miller des temps modernes, Wagner Moura et Cailee Spaeny forment un trio attachant et idoine pour cette aventure qui peut leur être fatale à chaque escale : une station service avec des ploucs zombies, un bâtiment administratif où l’on tire à balles réelles comme en Bosnie, un no man’s land où loge un sniper qui se croit en Irak, ou encore un charnier tenu par des racistes sans foi ni loi… Et évidemment, le final dans le bureau ovale.
Le portrait des Etats-Unis est beaucoup moins flatteur que celui de ces journalistes passionnés. « On est là pour que les autres se posent des questions« . Autant dire que leur vocation se fracasse à une réalité qui les réduit à de simples parasites.
La civilisation s’effondre, en plein chaos, détruisant chaque jour un peu plus ses valeurs et ses préceptes. Les horreurs de la guerre ne sont plus un spectacle d’informations télévisuelles. C’est le quotidien de citoyens lambadas, davantage habitués à se pousser du col et se bousculer dans les supermarchés un jour de soldes.
White House Down
Finalement, il ne reste rien de la puissance américaine, quand elle est rongée de l’intérieur et se mue en immense décor de jeux vidéos ultra-violents et survivalistes. Alex Garland ne fait pas dans la subtilité. Et, par son réalisme, c’est diablement percutant. La sauvagerie l’emporte sur la raison. La tension est palpable à chaque chapitre. C’est brutal. Et c’est sans doute cet aspect qui séduit le plus…
À l’inverse, on regrette alors le manque de profondeur du récit. De manière assez linéaire, Civil War n’est qu’une succession d’événéments, de temps en temps ponctué par des pauses où les échanges humains assez banals permettent de souffler. Le cinéaste ne s’embarrasse pas de complexité humaine. Pour lui, il n’y a ni le temps, ni l’espace, ni même la place de déployer autre chose que cette envie de décrocher un scoop, avec l’adrénalyne comme principale énergie.
Qui prendra le dernier cliché, la photo ultime, pour un film qui n’en manque pas, de clichés? Au-delà des stéréotypes, reconnaissons, que le final a du panache et ne joue ni la surenchère ni avec nos nerfs.
Heureusement, on s’attache assez rapidement à ses différents personnages, des têtes brûlées, y compris celui de ce vétéran du journalisme incarné par Stephen Henderson. De quoi donner un peu d’humanité dans ce monde de barbares.
Au final, Civil War s’avère bien porter son nom : un film de guerre, entièrement dédié au montage et doté d’une jolie science du raccord, porté par une star qu’on a plaisir à revoir. Nihiliste, ce pamphlet sur la désobéissance (civile, journalistique, politique) sidère parfois par sa cruauté ou sa violence. Rien de très civilisé dans cette balade en enfer.
Autant en emporte le chaos
Le cinéaste n’a pas souhaité faire un film politique. Il a juste théroisé la destruction de l’intérieur d’un empire, comme ça a été le cas aux temps de Rome ou de Byzance. Ici, c’est New York, ville de départ, et Washington, ville d’arrivée, qui vont « collapser ». La prise de la Capitale assiégée est saisissante. La caméra de Garland nous emmène dans un étau de plus en plus serré : dans les avenues rectilignes de la ville, dans les couloirs labyrinthiques de la Maison Blanche, pour finir enfermé dans le bureau ovale. On se rapproche ainsi d’un film comme Zero Dark Thrity.
Mais c’est aussi tout le paradoxe de Civil War. Le film ne cherche pas à nous manipuler par les sentiments, au point que son film est d’une sécheresse presque radicale à certains moments. Et pourtant, le réalisateur nous embarque dans une grande politique-fiction très orientée où il nous contraint à laisser nos opinions de côté ou à héroïser sa petite troupe de journalistes, véritables parangons de la neutralité. Des médiateurs qui ne choisissent qu’un seul camp : leur égo, à l’écart de tout avis personnel.
Aussi, du côté du spectateur, c’est le fatras, le bruit et la fureur qui écrasent tout. Notre cerveau est de tnoyé par le vacarme des armes, les cris effrayés des victimes ou les ordres hurlés des soldats. Il n’y a plus de place pour penser. La forme l’emporte sur le fond, le style envahit le propos.
Nulle gloire au bout de cette odyssée. Hormis peut-être pour deux femmes : celle qui exécute et celle qui photographie l’exécution. Un goût de sang et un esprit de revanche. Garland n’essaie même pas d’amener une morale ou un message. Pour lui, le déclin de l’empire américain est inéluctable et se terminera dans un jeu de massacre barbare. Sans foi ni loi.