Cannes 2024 | September Says : le trouble double je d’Ariane Labed

Cannes 2024 | September Says : le trouble double je d’Ariane Labed

Les sœurs July et September sont inséparables. July, la plus jeune, vit sous la protection de sa grande sœur. Leur dynamique particulière est une préoccupation pour leur mère célibataire, Sheela. Lorsque September est exclue temporairement du Lycée, July doit se débrouiller seule, et commence à affirmer son indépendance. Après un événement mystérieux, elles se réfugient toutes les trois dans une maison de campagne, mais tout a changé…

Cinq ans après son premier court métrage, Olla, présenté à la Quinzaine, Ariane Labed revient sur la Croisette avec son premier long métrage, September Says. Avec ces deux premières réalisations, l’actrice (Attenberg, The Lobster, La chambre interdite, Assassin’s Creed, The Souvenir) veut dépeindre une jeunesse au féminin dans un monde aussi étrange qu’aliénant.

September Says est, cependant, beaucoup plus sombre, que Olla. Poisseux même. Le film, sans vouloir déranger, trouble par sa capacité à nous mettre mal à l’aise. Une sale histoire d’emprise d’une ainée sur la cadette, une mère seule, en dépression, et des troubles du comportement suffisent à faire dériver le film vers un brouillard opaque laissant le spectateur dans son sentiment d’inquiétude.

Emprise et différences

Par son sujet, la cinéaste ne cherche pas à plaire, mais elle ne refuse également de se complaire. Deux ados marginalisées, qu’il serait tentant de juger un peu trop facilement, ont une relation si fusionnelle qu’on en vient à croire à un récit sur la domination.

Ariane Labed pousse bien plus loin le curseur de la différence qui empêche ces deux filles de se fondre dans le moule, au point d’être inadaptées socialement, avec l’appui d’une mère elle-même facilement transgressive et non conventionnelle. Elle est au cœur de la meilleure séquence du film, lorsque’elle fait l’amour avec un mec rencontré au pub, et que sa voix off divague vers d’autres pensées en parallèle. Avec un final explosif qui fait jaillir un rire de gêne.

On aurait aimé que le film garde cette tonalité pour soutenir cette ode à la différence. D’autant que c’est bien cette singularité des caractères rend le drame si distinctif. Formellement, la réalisatrice reste dans un registre très réaliste assez banal, malgré quelques virgules fantasmagoriques, dans des décors peu séduisants.

La forme annule ainsi le fond. Le réalisme du cadre et la fadeur des événements gomme tout élan pour que le récit nous emmène dans cette ode à l’autre et efface chaque tentative d’empathie.

Eros et Thanatos

September says, malgré son atmosphère un peu sordide et son malaise prégnant, réussit à nous attacher à July, la cadette en plein crise hormonale et confusion émotionnelle. À l’emprise de sa sœur, elle répond par une vague rébellion, salutaire. Victime apparente, elle se mue en bourreau d’elle-même. C’est d’ailleurs au moment où le scénario résout toutes nos interrogations que le spectateur s’interroge sur la fabrication du mensonge.

Si le twist est intéressant, il est assez mal amené et montre en creux, à quel point, l’histoire est bancale. Au point de vriller complètement.

Il faut tout le talent de Mia Tharia (July) et Niamh Moriarty (la mère) pour nous faire accrocher à cette fantaisie macabre, au final inégale, mais composée de quelques fulgurances sensorielles fascinantes. Celles-ci surgissent quand le personnage de July est livré à lui-même, dans son délire névrotique. Abandonnant toute psychologie, la réalisatrice montre alors les symptômes d’une jeune fille qui se soumet à ses pulsions irrationnelles.

Car c’est, paradoxalement, là que le tempérament de July s’épanouit et s’émancipe. Le film parvient enfin à révéler ses intentions : le portrait impressionniste d’une jeune fille seule, hantée, angoissée, possédée, entre un deuil impossible et des désirs possibles.

La mort rode en permanence autour de ces femmes. Elle cohabite avec l’envie de vivre, même de manière empêchée. September says apparaît alors comme une ballade irlandaise funeste et dépressive qui ne tire jamais les larmes mais laisse un arrière-goût assez amer, certes peu plaisant, mais intrigant.

September Says
Cannes 2024. Un certain regard.
1h38
Sortie en salles : 11 décembre 2024
Avec Mia Tharia, Rakhee Thakrar, Niamh Moriarty.
Réalisation et scénario : Ariane Labed, adapté de l'œuvre de Daisy Johnson
Musique : Johnnie Burn
Distribution : New Story