Cannes 2024 | Niki et la folie des peintres dans le cinéma français

Cannes 2024 | Niki et la folie des peintres dans le cinéma français

Paris 1952, Niki s’est installée en France avec son mari et sa fille loin d’une Amérique et d’une famille étouffantes. Mais malgré la distance, Niki se voit régulièrement ébranlée par des réminiscences de son enfance qui envahissent ses pensées. Depuis l’enfer qu’elle va découvrir, Niki trouvera dans l’art une arme pour se libérer.

Niki de Saint-Phalle méritait sans doute qu’on réveille sa mémoire et qu’on révèle ses débuts tourmentés. Pour son premier film en tant que réalisatrice, Céline Sallette tente le portrait d’une femme en quête d ‘émancipation à travers l’art, quitte à bousculer les conventions de l’époque. Niki, le film, en revanche, préfère une forme d’académisme tant sur la forme que sur le fond. Aussi passionnant soit l’itinéraire de l’artiste, tiraillée entre ses aspirations créatives et ses devoirs d’épouse et de mère, on suit tout cela avec un regard un peu distant, pour ne pas dire un oeil distrait.

Charlotte Le Bon n’est pas en cause. Elle incarne avec une belle justesse cette femme étouffée et flirtant avec la folie. Et contrairement aux films biographiques sur les musiciens si en vogue ces dernières années, Niki ne s’attarde pas trop sur les réalisations de la plasticienne-sculptrice-peintre-réalisatrice (question de droits). Le film s’attache à ne raconter que les prémices de son succès, soit dix années de construction (artistique) et de reconstruction (mentale). Un angle pertinent, même si largement déjà vu.

« Toi tu es une femme d’écrivain qui fait de la peinture. »

On comprend bien ce qui a intéressé la primo-cinéaste : une femme luttant contre un système patriarcal, endémique, et violent psychologiquement. Céline Sallette suit le chemin de son personnage en réalisant ce Niki. Elle affirme son indépendance avec ce nouveau rôle, derrière la caméra.
Evidemment, le parcours de l’artiste est enrageant. La barbarie des médecins, les abus divers et révoltants, les pulsions suicidaires contribuent à l’aspect dramatique du récit. D’autant qu’avec une histoire d’inceste que personne ne veut croire, que personne ne veut écouter, elle signe un parallèle contemporain très appuyé avec les différentes affaires #metoo.


Malédictions et démons ne forgent pas automatiquement un grand personnage de cinéma, aussi soigné le portrait soit-il. Ode à la liberté (sexuelle, familiale, individuelle), le film dessine une Niki sacrificielle malgré elle et constamment humiliée, pour justifier son art de la colère. Une thérapie comme une autre.

Stars de musées sur le grand écran

Parmi ses amis, on croise le sculpteur Tinguely, incarné par Damien Bonnard, déjà incarnation de Pierre Bonnard dans Bonnard, Pierre et Marthe l’an dernier. Et intuitivement, on voit un autre tableau se dévoiler sous nos yeux. Cette fascination du cinéma français pour les artistes. Ce n’est pas nouveau (Camille Claudel de Bruno Nuytten, Van Gogh de Maurice Pialat, Lautrec de Roger Planchon), mais la tendance est à la hausse. En dix ans, on a eu le droit à Séraphine de Sentis (Yolande Moreau), Jean Renoir (Michel Bouquet), Paul Cézanne (Guillaume Gallienne), Vincent Van Gogh (en animation), Auguste Rodin (Vincent Lindon), Paul Gauguin (Vincent Cassel), et cet hiver Dali (par Dupieux). Et on passe sur les dernières productions internationales (du Caravage à Giacometti, de Turner à Hokusai).

Un tel amour pour les « beaux arts » est louable. Malheureusement, et on mettra le Van Gogh de Pialat et le Turner de Mike Leigh à part, c’est un peu toujours la même histoire qu’on nous raconte. Jamais à la hauteur de l’œuvre de ces génies du pinceau ou du marteau, ils dépeignent continuellement la difficulté à créer, les contraintes de leur époque, les obstacles et rivalités qui freinaient leur reconnaissance. Cela fait peut-être un beau conte, parfois cruel, mais pas forcément de grands films. C’est sans aucun doute un grand rôle pour leurs interprètes, mais cela ne suffit pas à les mettre dans notre panthéon.

Nul ne doute que la hype ne s’arrêtera pas là (on nous annonce Rosa Bonheur). Mais, dans ce cas, espérons que cela produise des « fictions » autrement plus audacieuses et ambitieuses, dignes du génie qu’elles cherchent à restaurer.

Niki.
Festival de Cannes 2024. Un Certain regard.
Durée : 1h38
Sortie en salles : 9 octobre 2024
Avec Charlotte Le Bon, John Robinson, Damien Bonnard, Judith Chembla, Virgile Bramly
Réalisation : Céline Sallette
Scénario : Céline Sallette, Samuel Doux
Musique : Para One
Distribution : Wild Bunch