Gilles Lellouche avait surpris, plutôt agréablement, avec son film précédent, Le Grand bain, portrait relativement juste d’hommes vulnérables dans un monde où il n’étaient déjà plus vraiment dominant. Avec L’amour ouf, il revient à son goût pour le cinéma de gangster (Narco), mixée à une histoire romantique, dans une France d’avant, celle des années 1970-1990.
Et confidence : ce n’est pas « ouf ». Tenir deux heures quarante cinq avec une telle histoire est une gageure. Le film manque de souffle, de rythme, et s’épuise rapidement à raconter de manière grandiloquente une histoire d’amour aussi simple que banale. Poussif et bouffi par son orgueil, ce mélo dramatique, romantique et ultra-violent ne réussit jamais à nous emporter à force de vouloir trop épater.
Car nul ne doutera de l’amour qu’a Gilles Lellouche pour un certain cinéma, qui multiplie les clins d’oeil à Tarantino, Scorsese, Chazelle (avec un final un peu trop La La Land), Anderson et aux polars américains et français des seventies, mercedes noires inclues. Chacun de ses plans semble un fantasme cinématographique signé par un fan, sans qu’il n’y apporte sa propre personnalité. L’amour ouf souffre de cette envie trop visible. Quelques scènes cherchent visiblement à démontrer un savoir-faire. Trop de plans sont ainsi réalisés dans une pure esbroufe visuelle, sans que ce ne soit cohérent avec le reste.
Peu crédible
Ce manque de consistance (et de substance) dans la mise en scène n’amène jamais autre chose qu’une virtuosité un peu toc. Mais si l’on subit le film plus qu’on ne le vit, c’est davantage la faute à un scénario très linéaire, hormis un prologue trompeur. Pour ne rien arranger, l’histoire sacrifie tous ses personnages en les réduisant à des stéréotypes maintes fois vus. Tout le talent des acteurs (le casting a enrichit grassement les agents du cinéma français) ne suffit pas à donner du relief à leurs rôles. Bien sûr, Alain Chabat en père sensible, Elodie Bouchez, grâce à une séquence émouvante, ou Vincent Lacoste en connard de bourge, réussissent à justifier leur présence.
Dans ce cadre là, François Civil et Adèle Exarchopoulos, qui n’occupent que la deuxième partie du film, reproduisent ce qu’ils savent déjà faire, sans nous jamais bluffer. Chacun dans leur registre, ils jouent pour l’un le mec colérique, violent et débile, pour l’autre la femme raisonnable, insatisfaite et grande gueule. Difficle de ‘enticher pour un coup de foudre aussi peu crédible. Malgré l’évidente alchimie entre ces deux acteurs, on ne croit jamais à leur passion. Ce ne sont que des figurines : bleus pour les garçons, eau de rose pour les filles. Et le plus souvent, les personnages féminins ne sont que des accessoires dans cet univers très viriliste.
Ce n’est pas qu’une histoire d’interprétation. C’est bien le film qui échoue à incarner cette histoire d’amour, d’abord adolescente puis adulte. Tout cela manque de chair, de regards, de fébrilité, de petits gestes captés, d’humilité.
Agressivité passive
À la place, on éprouve une gênance généralisée en regardant cette romance digne d’un roman photo. Non content de se complaire outrageusement et inutilement dans son ultra-violence graphique, le film aligne les clichés romantiques (le summum étant ce long baiser sur fond de levée de soleil, ciel orageux puis coucher de soleil digne des cartes postales les plus kitsch). C’est tellement simpliste et pauvre visuellement qu’on pourrait croire à une vision très adolescente d’une histoire d’amour de feuilleton télévisuel.
En l’absence d’une psychologie un peu écrite, cet amour « ouf » entre le bad boy et la good girl paraît alors de plus en plus puéril, et le film de plus en plus immature. Lellouche a beau ajouter un contexte social en arrière plan (le chômage et la précarité excusant presque d’être voyous ou criminels), on en reste aux garçons qui jouent avec des guns (et tant pis si on en crève) et aux filles qui cherchent le grand amour.
Trop long (la première partie, soit la moitié du film, autour des deux jeunes tourtereaux s’étire avec du remplissage vide d’intérêt), trop artificiel (jamais on ne croit à ce retour de flamme à l’âge de raison), on pourrait presque s’imaginer dans un film bollywoodien chez les Ch’tis. S’ajoutent une musique invasive et surlignant chacun des moments prétendument importants, deux éclipses solaires, des 400 coups déjà vus, des références hollywoodiennes mal digérées où la ville portuaire a des airs d’un Atlantic City de pacotille, et enfin, un Happy End bien sage, après plusieurs conclusions différentes et interminables.
Péniblement, on se demande si ce pudding était un film de gangster, une rom-com, un musical ou une déclaration d’amour au cinéma mal ficelée. Clairement, la passion et la folie en sont absentes.
L'amour ouf
Cannes 2024. Compétition.
2h46
Sortie en salles : 16 octobre 2024
Avec François Civil, Adèle Exarchopoulos, Malik Frikah, Mallory Wanecque,
Alain Chabat, Anthony Bajon, Jean-Pascal Zadi, Benoît Poelvoorde, Vincent Lacoste, Élodie Bouchez, Karim Leklou et Raphaël Quenard
Réalisation : Gilles Lellouche
Scénario : Gilles Lellouche, Audrey Diwan et Ahmed Hamidi, d'après le roman L'Amour ouf de Neville Thompson
Distribution : Studiocanal