Emma aime Sammy qui aime Cyril qui l’aime aussi. Ce qui aurait pu être un marivaudage amoureux à la fin du siècle dernier va être dynamité par l’arrivée du sida. Alors qu’ils s’attendaient au pire, la destinée de chaque personnage va prendre un virage inattendu.
En préambule de sa présentation dans le cadre de sa sélection Cannes Première, le cinéaste Gael Morel (se) rappelle qu’il y a 30 ans, il était l’acteur principal des Roseaux Sauvages de André Téchiné. Le cinéaste lui fera d’ailleurs reprendre son rôle avec courte apparition dans Loin en 2001. Si André Téchiné a sans doute été un guide, Gael Morel s’est davantage rapproché du cinéma de Christophe Honoré, de deux ans son aîné, dont il partage les thèmes de prédilection : l’homosexualité et le deuil. Gael Morel a réalisé plusieurs films dont les scénarios ont été écrits à quatre mains avec Honoré (Le clan, Après lui avec Catherine Deneuve). Lors de cette première à Cannes, il n’est pas étonnant de voir le soutien de cette bande : Christophe Honoré, Chiara Mastroianni et Catherine Deneuve étaient dans la salle. Et finalement, même le titre de son dernier film, Vivre, mourir, renaître a un cousinage évident avec Plaire, aimer et courir vite.
Vivre, mourir, renaître débute au début des années 1990, avec ses soirées de rave où électro et ecstasy font se mélanger une jeunesse en quête de fête. Sammy (Théo Christine, charismatique) y rencontre Emma (Lou Lampros, magnifique révélation), et c’est le début d’une histoire d’amour. Une ellipse plus tard, ils sont en couple et parents d’un jeune enfant. Ils s’installent dans un nouvel appartement. A l’étage en dessous, ils font connaissance de leur voisin Cyril (Victor Belmondo, magnétique), un sympathique photographe célibataire. Il aime observer les gens et les faire se sentir beaux à travers ses images. Il leur propose une session photos qui lance le début d’une complicité.
« Tu veux qu’on se sépare ? »
Tout se trouble quand Samy et Cyril, attirés l’un par l’autre, ne résisteront pas à leur tentation… Deux garçons, une fille : il y a cette possibilité que Samy reste amoureux de sa femme Emma, que Samy s’abandonne à son désir pour Cyril, que Cyril se lie d’amitié avec Emma. Le marivaudage va alors évoluer vers une nouvelle variation de leur couple.
Les innocents
La poésie du titre Vivre, mourir, renaître fait écho à trois périodes de l’histoire de ce trio durant plus d’une dizaine d’années : le tumulte de leur rencontre, puis le sida qui va les impacter, et plus tard une réconciliation vers un nouveau départ. Chacun des trois personnages va traverser ensemble ces épreuves. En débutant son film au milieu des années 90, Gael Morel propose une forme de suite au film de Cyril Collard (d’où le prénom du personnage de Victor Belmondo), Les nuits fauves, déjà une histoire passionnelle de trouple, touché de plein fouet par le virus. Désormais, on sait comment s’en « protéger » et les premières thérapies efficaces apparaissent. C’est assez rare que le cinéma aborde le sida d’une manière aussi ‘positive’, en rappelant que même avec on peut vivre joyeusement et aimer.
« Ma vie elle est avec toi »
Cependant Gael Morel a eu la sensibilité de ne pas en faire le sujet principal de son récit. Il préfère dépeindre une trajectoire de vie pleine de désirs et de compréhension. Vivre, mourir, renaître est d’abord et avant tout une histoire d’amours au pluriel (hétéro, bi, homo). C’est un mélodrame romantique émouvant et presque nostalgique., avec ses violons qui habillent certaines séquences. Ou cette référence eighties accompagné du tube Modern Love de David Bowie, en clin d’œil à Mauvais Sang de Leos Carax,
Samy, Emma et le garçon formidable
Les personnages ne sont pas coincés par leur passé. Ils font en sorte de vivre au présent et de regarder en avant vers le futur. Peu importe les erreurs et leurs conséquences, le scénario permet toujours de garder sur chacun un regard de bienveillance et de compassion. On s’attache à leurs parcours accidentés. On partage les heurts et leurs bonheurs. Comme on regarde de vieilles vidéos de notre jeunesse.
Les trois comédiens, tout aussi étonnants que percutants, trouvent ici leurs plus beaux rôles (le trio mériterait une pré-sélection pour un César de la meilleure révélation). Cette belle alchimie à l’écran se consolide au fil de ces multiples vies qui se succèdent dans un même élan romanesque.
Le graphisme et les couleurs de l’affiche de ce nouveau film Vivre, mourir, renaître montre là encore une certaine influence des Nuits fauves. Mais là où le film césarisé de Collard était lugubre et désespérant, Morel propose lui une toute autre vision, avec une œuvre plus optimiste et plus lumineuse.
Quelques années d’écart et le regard change… Cette temporalité à une grande importance au regard des histoires d’amour qui peuvent être perturbée par le sida. Si dans les années 80, on mourrait du sida, dans les années 90 on pouvait en (sur)vivre.
Les temps changent et finalement Vivre, mourir, renaître nous emmène vers un horizon moins sombre : l’amour est toujours le plus fort.
Vivre, mourir, renaître
Cannes première
1h49.
Sortie en salles : 25 septembre 2024
Avec Théo Christine, Victor Belmondo, Lou Lampros
Réalisation : Gael Morel
Scénario : Gael Morel, Laurette Polmanss
Distribution : ARP