Dans les profondeurs des mines de charbon, Nam et Việt, tous deux jeunes mineurs, chérissent des moments fugaces, sachant que l’un d’eux partira bientôt pour une nouvelle vie de l’autre côté de la mer. Mais le départ ne peut avoir lieu car, quelque part dans les profondeurs de la terre, dans la forêt lointaine, se trouve le père de Nam, un soldat, dont ils sont obligés de retrouver la dépouille. Ensemble, en suivant les mystères des souvenirs et des rêves, ils retracent le chemin du passé.
Avec ce premier film vietnamien en Sélection officielle à Cannes, Truong Minh Quý nous emmène dans des territoires à la fois inconnus et familiers.
Viêt and Nam est un mélange aigre doux, parfois amer, et de temps en temps épicé, qui cherche l’harmonie entre sa tendre histoire d’amour et la dure réalité d’un pays, entre la suavité des deux hommes et la violence sourde du monde. Le cinéaste convoque le sexe, la spiritualité, les fantômes du passé, la quête de vérité, les rêves de chacun pour mieux s’échapper d’un quotidien asphyxiant. Il s’agit, finalement, d’un drame émancipateur où les protagonistes cherchent ce qui leur permet d’avancer, sans se détourner de ce qui les a construit.
Film allégorique sur un pays, et sa réconciliation entre le Nord et le Sud, il prend la forme d’une parabole plus universelle en liant les contraires : le secret et la vérité, les origines et l’exode, l’attachement amoureux et le désir individuel, la douleur et les petits bonheurs, le labeur et l’envie d’une vie meilleure…
Inspirations
La métaphore est évidente, et le récit en devient à la fois abstrait, complexe. La tragédie du pays s’incarne avec le drame familial et la beauté des deux jeunes hommes se confond avec la splendeur des paysages environnants. Dès le premier plan, où un jeune homme portant l’autre sur ses épaules dans les abysses de la terre au milieu de lucioles, le film invite à perdre son cartésianisme…
Truong Minh Quý ne lésine pas sur les atouts offerts par le cinéma. L’artiste et cinéaste, influencé par les formalistes que sont Tarkovski, Resnais ou Bresson, livre une œuvre plastique complexe, où les repères spatiaux et temporels se mélangent dans la confusion des sentiments et le désordre des événements. Au spectateur de tout remettre à l’endroit, une fois débarrassé de l’hypnose sensorielle produite par le film.
« Je n’entendrai plus rien quand tu ne seras plus là. »
Peut-être y a-t-il trop de créativité. Mais cela ne manque ni de profondeur ni de féérie. Les plans fixes dégagent une réelle densité tant le cadrage est soigné, les mouvements chorégraphiés et les décors étudiés pour valoriser une scène. On s’émerveille alors d’un ballet de pioches frappant la roche, d’une confession révélatrice au bord d’une rivière ou d’un barbier travaillant dans un atelier mécanique.
On flirte avec le cinéma du voisin thaïlandais, Apitchatpong Weerasethakul. Viêt and Nam assume la fable universelle, la poésie humaine, le cadre social, les mystères spirituels, le dessein historique et le destin familial, la chronique intime et la critique politique.
Aspirations
Et pourtant, tout est sensuel, sensation renforcée par cette pellicule 16 mm, et charnel, à l’image de ces corps qui se fondent sans tabous (à l’instar de son film très intime, The Sublime of Rectum). Quelles images nous sont offertes ! Ce morceau de charbon qu’on retire délicatement de l’oreille comme un magma de cérumen, avant de le goûter. Ou encore ce sperme que l’on essuie sur le bas ventre et le pénis, avant de se lécher quelques traces de sang laissées par une pénétration un peu trop forte. Tout est suggéré et pudique quand, finalement, tout révèle un amour charnel et obsessionnel.
« – Parfois quand je vois de jolies filles, j’ai envie d’être comme elle. – Tant que te ne te la coupes pas… »
De la même manière, Truong Minh Quý englobe sa tragédie dans un monde où les éléments sont omniprésents (la végétation, la mousson, la mer, les entrailles de la terre, les sols peuplés de cadavres, cet arbre au tronc géant, etc…). Et ce, jusqu’à fusionner dans un symbolisme mêlant charbon (matière noire fascinante qui l’avait inspiré pour Les Attendants), océan et conteneur métallique comme seuls refuges aux deux corps dénudés et épuisés. Organique, de ce travail souterrain à cet exode marin, Viet and Nam déploie sa puissance visuelle, tantôt fantastique, tantôt iconographique, parfois satirique, pour nous happer dans cette transcendance quasi mystique.
De la brutalité de la vie, et sa précarité, de ce passé traumatique, et ses martyrs, le cinéaste en tire un portrait du Vietnam ambivalent. L’avenir apparait aussi inquiet qu’incertain, avec sa dose de culpabilité (pour les morts du passé ou les séparations avec les êtres chéris). Cette quête d’ailleurs, accompagnée d’une reconquête des cœurs, à défaut d’être proprement déchirante, s’avère véritablement poignante. Partir ou rester, se déraciner ou retrouver ses racines. Tout contribue à semer le trouble. Les dialogues accentuent d’ailleurs cette nébulosité des émotions, conduisant parfois à des quiproquos amusants ou à une prescience irrationnelle.
« – Je sais pourquoi tu t’en vas. – Pourquoi? – Pour te taper des bites blanches. »
Ainsi, Truong Minh Quý puise dans son drame la matière nécessaire pour souligner l’absence présente et future. Superbe film romantique, sans être romanesque, il ne fait que creuser le sillon d’un amour irrésistible à l’issue incertaine. Viet et Nam sont les deux corps d’un même pays, les deux faces d’une passion commune. Les deux s’enlacent dans leur rêve. Et le film, aux frontières du réel, nous envoûte pleinement, tel un conte flottant nous laissant dériver vers un horizon lointain et inconnu.
Viêt and Nam.
Festival de Cannes 2024. Un Certain regard.
Durée : 2h08
Sortie en salles : 25 septembre 2024
Réalisation et scénario : Truong Minh Quy
Avec Pham Thanh Hai, Dao Duy Bao Dinh, Nguyen Thi Nga, Lê Viet Tung
Distribution : Nour films