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Un succès qui dépasse de loin le monde de l’animation
Le deuxième long métrage de Gints Zilbalodis n’est pas encore dans les salles françaises (il sort ce mercredi 30 octobre) qu’on peut d’ores et déjà le considérer comme un film représentant un jalon dans le paysage cinématographique, où il laissera une empreinte durable. Depuis sa première à Cannes en mai dernier, où il a eu les honneurs de la sélection Un Certain regard (bien inspirée sur ce coup-là, mais avouons qu’il fallait être aveugle pour ne pas voir le potentiel du film), Flow séduit tout azimut les professionnels, la critique, les jurys (de celui d’Annecy à Ottawa, en passant par Morelia, Melbourne, Los Angeles…) et le grand public.
En Lettonie, où il est sorti le 3O août, le film cumule déjà environ 100 000 entrées (sur une population d’un peu moins de 2 millions), ce qui représente un résultat exceptionnel pour un film national. En toute logique, il représentera le pays dans la course aux Oscar, et concourt en parallèle pour le prix EFA du meilleur long métrage d’animation ainsi que pour le prix Lux du cinéma européen – en attendant d’autres nominations plus que probables.
En apparence, il déchaîne depuis des mois une impressionnante activité sur les réseaux. Le tweet que lui a consacré Guillermo del Toro (autoproclamé chevalier blanc de l’animation), qui qualifie le film de « futur de l’animation », a évidemment fait grand bruit. Moins médiatisée sans doute, mais encore plus dithyrambique, la réaction du réalisateur Theodore Ushev sur sa page Facebook après avoir découvert le film à Toronto. Il écrit notamment : « This film has to be seen by everyone in the world! Has to be shown at schools, kindergarden, universities, factories.This boy is a genius! (…) It is not the best film of the Year! It is the Best film of the century! » Avant de conclure : « FLOW is like a new testament, and Gints is the new God of animation! » Venant d’un tel maître de l’animation, qui cherche lui-même sans cesse à explorer de nouveaux territoires, le propos est fort, et même émouvant.
Au fil des avant-premières, de nombreux cinéphiles se joignent au concert de louanges. L’histoire épique de ce chat confronté à une brutale montée des eaux, contraint de cohabiter dans une embarcation de fortune avec d’autres animaux, conquiert les cœurs par son intelligence émotionnelle, son sens de la mise en scène et bien sûr son universalité. C’est un film qui rassemble – et qui fait du bien.
Mais qui se cache derrière cette fable humaniste et existentielle ?
Jusque là peu connu du grand public, Gints Zilbalodis a eu un parcours relativement atypique. Passionné de cinéma et notamment de mise en scène, il réalise seul de nombreux courts métrages (animés en 2 et 3 D et en prise de vue continue) qui lui permettent d’expérimenter et d’apprendre. Ainsi, en 2012, à l’âge de 18 ans, il propose Aqua, dans lequel un chat doit faire face à une montée des eaux, comme une première esquisse de Flow. Oasis (2017), quant à lui, annonce son premier long métrage Away.

En effet, dès 2015, le jeune réalisateur se lance dans une folle aventure : la réalisation d’un long métrage animé pour lequel il est à tous les postes, du scénario à la conception graphique en passant par l’animation et la musique. Ce coup d’essai, présenté à Annecy en 2019 (le réalisateur a alors 26 ans), est un choc, et déjà une grande réussite. Un voyage hypnotique dans une île mystérieuse où le personnage principal, dont on ne saura rien, doit échapper à une créature inquiétante qui semble aspirer la vie de tous les êtres vivants qu’il croise. Contemplatif et pas du tout frénétique, hanté par une succession de vision puissantes, Away (qui sortira en France sous le titre Ailleurs) reçoit un beau succès critique et le premier prix de la section Contrechamp.
Dès lors, Gints Zilbalodis réfléchit à la suite. La reconnaissance d’Away lui offre la possibilité de travailler avec un budget plus important, dans un cadre professionnel, et en coproduction avec la France via la société Sacrebleu, ce qui lui ouvre de nouveaux horizons, tout en nécessitant une manière de travailler plus collective. Comme en réponse aux doutes qui l’assaillent, il écrit alors le scénario de Flow, dans lequel un chat farouchement attaché à son autonomie est obligé de s’intégrer dans un groupe pour survivre. Il lui adjoint un autre personnage, celui du chien, qui fait lui le chemin inverse, et apprend au cours du récit à prendre ses propres décisions. Le fil directeur de Flow est né, auquel il adjoint de nombreux autres motifs romanesques, comme la disparition des hommes, dont ne substituent que quelques traces, et le contexte d’une catastrophe écologique en cours.

Sa manière de travailler est sensiblement la même que sur Away : il crée des environnements en 3D en utilisant le logiciel libre Blender qui intègre un logiciel de rendu en temps réel. Cela lui permet d’explorer les décors avec la caméra et de tester de nombreux angles de vue différents, tout en pouvant vérifier rapidement ce qui fonctionne. Cette totale liberté dans la maîtrise des décors (monumentaux dans les deux films), des cadrages (inspirés) et des mouvements de caméra (vertigineux et spectaculaires) donnent au film une esthétique extrêmement riche et travaillée, mais aussi une fluidité de mise en scène stupéfiante, qui permet d’incroyablement complexes plans séquences.
Une expérience à vivre évidemment en salle, mais aussi en famille, tant le film fonctionne à plusieurs niveaux de lecture, entre fable romanesque, récit initiatique et réflexion existentielle. Rendez-vous donc dans les salles ! Car ce mercredi, c’est officiel, le chat part à la conquête de la France – en attendant le reste du monde.