2025 : 7 dossiers brûlants sur le feu

2025 : 7 dossiers brûlants sur le feu

De l’argent, il va en être question cette année. Le financement public débande, les financiers privés se livrent une guéguerre d’ego, et c’est sans compter sur un modèle économique qui vit une révolution à toutes ses étapes. Mais il n’y a pas que le fric dans le cinéma. De la concurrence entre festivals aux progrès vertigineux de l’IA, de l’enjeu d’écrire de nouveaux récits ou de proposer de nouvelles expériences cinématographiques au besoin de justice de victimes à l’ère #metoo, 2025 va assurément être un tournant pour le cinéma qui ne doit pas oublier qu’il reste le 7e art dans une industrie qui ne parle plus que de « contenus ».

Les festivals face aux baisses des subventions publiques

Après Clermont-Ferrand, pourtant le « Cannes » du court-métrage, victime d’une réduction de  110 000 euros en 2023 dans le budget régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, c’est au tour de Premiers plans d’Angers de voir son avenir inquiété. La présidente de la région Pays de la Loire, Christelle Morançais, a décidé de couper à la tronçonneuse les aides culturelles (sous de fallacieux prétextes idéologiques et une politique ouvertement libérale), tout en préservant celles qui lui tiennent à cœur pour son image (la musique classique). Ainsi le festival d’Angers a vu sa subvention coupée de moitié cette année et sait déjà qu’elle sera complètement nulle l’an prochain. 7% du budget qui s’évapore. Ce n’est pas le seul festival de cinéma qui est fragilisé : le Festival du cinéma espagnol de Nantes ne reçoit plus rien de la région dès 2025 (10% de son budget) tout comme le Festival des 3 Continents (13% de son budget). Idem pour le Festival Reflets du cinéma en Mayenne. Le Festival de cinéma et de musique de film de La Baule s’en sort presque bien: plus aucune aide de la région, mais cela n’impacte que 2% de son budget.

Et tout cela, quelques semaines après que le département du Nord ait supprimé le financement de « Collège au cinéma » qui permettait à 30 000 collégiens d’aller voir trois films par an au cinéma. La crise a souvent bon dos tant les arguments ne sont pas forcément justifiés, quand ils ne sont pas tout simplement arbitraires.

En Ile-de-France, le budget voté le 19 décembre prévoit une baisse de 20% des crédits pour la culture (20 millions d’euros). En Provence-Alpes-Côte d’Azur, la baisse est de 7,8%, en Nouvelle-Aquitaine, c’est -5,6%, en plus des coupes de 2024 et en Centre-Val de Loire, c’est -3%. Dernier en date, le département de l’Hérault (dirigé par la gauche) qui a décidé de supprimer la ligne culture de son budget, considérant que ce n’est pas sa mission.

Idem du côté de Créteil avec son vénérable Festival international de films de femmes, créé en 1979. La direction du festival a reçu un courrier à la mi février, deux mois avant la prochaine édition, lui indiquant que la subvention du conseil départemental du Val-de-Marne (100 000 €) pourrait ne pas être reconduite. Un quart du budget en moins! Autant dire que l’avenir est incertain…

Globalement, les festivals de cinéma souffrent. Leur situation financière est précaire. Indispensables aussi bien pour la diffusion d’œuvres art et essai, en territoires éloignés pour la plupart (une priorité du ministère de la Culture pourtant!), que pour l’éducation à l’image, tous se voient contraints de réduire la voilure et de couper dans des actions et des programmes parfois d’intérêt général. La culture, véritable agent économique d’une collectivité, n’est plus qu’une variable d’ajustement où le lien social et l’émancipation / éducation des citoyens n’a plus d’intérêt. Inquiétant.

La chronologie des médias bouleversée?

Le 9 février, un arrêté du ministère de la Culture a officialisé la reconduction pour trois ans de l’accord établi en 2022 sur la chronologie des médias. Cet accord maintient les délais de diffusion des films après leur sortie en salle, tout en permettant des ajustements en fonction des engagements financiers des diffuseurs dans la production cinématographique française et européenne.

Mais parallèlement, une bataille en coulisses est en action pour que cette chronologie évolue significatiement afin d’adapter la diffusion des œuvres cinématographiques aux nouvelles pratiques de consommation et à l’essor des plateformes de streaming.

Ainsi le 29 janvier, Disney +, qui n’avait pas signé l’accord il y a trois ans, en a finalement conclu un avec les organisations du cinéma français, réduisant le délai de diffusion de ses films à 9 mois après leur sortie en salle, contre 17 mois précédemment. Mufasa et Vaiana 2 pourraient donc être visibles dès la fin de l’été sur vos écrans domestiques.

On imagine bien que Netflix et Amazon Prime Video – qui actuellement ont des délais de diffusion de 15 et 17 mois respectivement – vont vouloir renégocier leur propre accord en gagnant quelques mois (on évoque douze mois pour Netflix…). Max (Warner) et Paramount + pourraient ausi entrer dans la danse. Mais l’impact principal semble du côté de Canal +, qui aujourd’hui est privilégié avec une diffusion 6 mois après la sortie en salles, et qui voit cet avantage dévalorisé par l’accord avec Disney. Côté à la bourse de Londres depuis peu (et malmené par les spéculateurs), le groupe affilié à la galaxie Vivendi pourrait soit réduire ses engagements, soit demander une réduction d’un ou deux mois, plaçant sa fenêtre de diffusion quasi à égalité avec la vidéo à la demande… Qui elle-même pourrait être réduite à terme.

On peut ainsi imaginer qu’un film, dès sa fin d’exploitation, se retrouve en vàd… Les exploitants vont-ils accepter cette accélération de la vie d’un film dans les salles de cinéma? Notons que des films comme En Fanfare, Vaiana 2, Les graines du figuier sauvage, Emilia Perez et bientôt Vingt dieux sont exploités depuis plus de 12 semaines et attirent toujours un nombre notable de spectateurs en salles.

Qui pour financer le cinéma français?

En échange de ces diffusions de films dans les différents supports du foyer, les groupes de télévision et les plateformes (pour la plupart étrangères) doivent contribuer au financement du cinéma français. C’est la fameuse taxe Youtube (2017) étendue à de plus en plus de diffuseurs hors salles de cinéma. C’est l’autre grand enjeu des mois qui viennent.

En France, les chaînes de télévision et les plateformes de streaming sont soumises à des obligations spécifiques de financement de la production cinématographique et audiovisuelle. En résumé, pour des chaînes diffusant plus de 52 films par an, elle doit investir au moins 12,5% de son chiffre d’affaire dans des œuvres européennes. Depuis 2021, les plateformes de streaming ont des obligations similaires et doivent consacrer entre 20 % et 25 % de leur chiffre d’affaires annuel net réalisé en France au financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d’expression originale française. Soit, en 2023, 362 millions d’euros, dont 79 millions pour le cinéma (50 millions rien que pour Netflix).

À cela s’ajoute la taxe sur le chiffre d’affaires des chaînes pour alimenter le Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP), géré par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) qui est ensuite redistribuée pour soutenir la pré-production la production, la post-production ou la distribution. Et bien évidemment la taxe sur chaque billet de cinéma vendu… Un cercle vertueux qui permet au cinéma français (et international) de bénéficier d’une manne financière pérenne et relativement abondante…

Ainsi le système français protège sa fameuse exception culturelle. Apple TV+ et Crunchyroll ont rejoint le mouvement en 2023. Et Disney +, avec son accord signé en janvier, s’engage désormais à investir 25 % de son chiffre d’affaires net en France dans la production d’œuvres françaises et européennes sur une période de trois ans.

Si bien que là encore, Canal +, pourvoyeur principal du cinéma français, l’a mauvaise. Avec 220 millions d’euros d’investissement annuel, et en échange d’une fenêtre de diffusion de six mois, elle ne voit plus trop où est son avantage à dépenser autant si ses concurrents peuvent, avec beaucoup moins d’argent, diffuser leurs films 9 ou 12 mois après leur sortie en salles. Et que dire de France Télévisions, autre grand financier, et qui doit attendre au moins 22 mois alors qu’elle doit allouer au moins 65 millions d’euros au préfinancement de films, avec un minimum de 60 œuvres soutenues chaque année.

Depuis, Canal + décroche en bourse depuis son introduction sur les marchés. L’accord avec Disney + ne passe pas. D’autant que Disney s’est retiré de l’offre « package » qui permet à un abonné de Canal d’accéder à d’autres plateformes (Netflix, Max, Apple TV+, Paramount +…). En solo, Disney + a même réussi deux beaux coups en s’octroyant deux succès « Canal » : la suite de la série Bref et la retransmission des Oscars (qui, il est vrai, est diffusée sur sa chaîne ABC aux USA). Il ne reste donc que les César (que lorgne France 2) et le festival de Venise parmi les grands événements cinéma diffusés par la chaîne.

Canal +, pas content, gronde, publiquement. La chaîne menace de réduire fortement le financement du cinéma français. Or, même avec l’arrivée de nouveaux financeurs, le risque est grand. D’une part, le total des investissements ne seraient pas totalement compensés, mettant en péril notamment les films les plus fragiles à monter. D’autre part, la diversité et la créativité du cinéma français pourraient subir un nivellement par le formatage (comprendre : plus de produits, moins de prototypes).

C’est sans doute là le dossier le plus délicat de ce début d’année : conforter Canal en réduisant sa fenêtre de diffusion en échange de son apport faramineux dans le cinéma français, ou accepté que Canal réduise à 130-160M€ ses investissements pour une diffusion à six mois et plus. [Mise à jour – 5 mars : Canal + a finalement signé pour financer le cinéma français à hauteur de 480M€ sur trois ans, au lieu de 220M€ par an, en assurant davantage d’apport aux films au budget inférieur à 4M€, tout en conservant sa fenêtre de diffusion de six mois].

Enfin, il y a une autre hypothèse : Alors que Canal se retire de la TNT au printemps, elle pourrait ne devenir qu’une plateforme, avec agrégateurs de diffuseurs, sans obligation massive d’investissements. Autant dire l’apocalypse pour le cinéma français.

Les procès #metoo

Christophe Ruggia condamné. Bravo Adèle Haenel! Début février, le réalisateur a écopé de quatre ans de prison, donc deux avec sursis, sous bracelet électronique pour agressions sexuelles sur l’actrice. La décision est en appel. Mais le symbole est là. L’impunité a cessé.

Nous voici un an après les révélations de Judith Godrèche sur le cinéaste Benoît Jacquot. Celui-ci a été mis en examen pour viol, y compris sur mineur, et placé sous contrôle judiciaire. Julia Roy, Vahina Giocante et Isild Le Besco ont galement témoigné contre lui.

Toujours avec une plainte de Judith Godrèche, le réalisateur Jacques Doillon est accusé de viols lors du tournage de La Fille de 15 ans. Là encore Isild Le Besco, mais aussi Anna Mouglalis, se sont jointes à l’accusation. Aucune charge n’a été retenue contre lui à ce jour.

Mais ce n’est pas le cas pour Gérard Depardieu, qui comparaîtra les 24 et 25 mars pour des agressions sexuelles par plusieurs femmes. Après les révélations sur ses propos abjectes, sexistes et misogynes à propos de jeunes femmes nord-coréennes, on n’est plus étonné de rien. En 2018, l’actrice Charlotte Arnould l’avait accusé de viols présumés survenus à son domicile parisien, conduisant à une mise en examen en 2020. En avril 2023, treize autres femmes ont porté des accusations similaires, détaillant des comportements inappropriés entre 2004 et 2022. Parmi elles, l’actrice Emmanuelle Debever, qui a dénoncé des faits remontant au tournage de Danton en 1983. En décembre 2023, la journaliste espagnole Ruth Baza a également déposé plainte pour un viol présumé en 1995. Malgré ces allégations, il nie fermement toute inconduite. Pas sûr qu’être bon comédien lui suffise pour clamer son innocence. En attendant, l’ogre du cinéma français est radié des tournages. Son nom est devenu toxique.

Toutes ces affaires ont conduit d’une part à une salutaire libération de la parole, d’autre part à la mise en place d’outils (encore imparfaits) assurant une vigilence sur les tournages et en dehors.

Reste que l’impact #metoo, né des scandales autour du producteur Harvey Weinstein en 2017, s’est propagé en Inde, au Japon, en Corée du sud, en Autriche, etc, touchant parfois parmi les plus grands noms du cinéma local. Le temps de la justice est venu.

Cannes en pôle position

Cannes, Venise, Berlin, Toronto, Busan, Sundance… les festivals majeurs se livrent une guerre impitoyable pour conserver leurs rangs et attirer médias et professionnels. Année après année, on a vu la Berlinale péricliter, même si elle a semble vouloir se réveiller cette année, laissant Cannes et Venise en face à face.

2024 fut un peu spéciale. Aucun des vingt plus grands succès de l’année au box office n’ont eu besoin d’être lancés sur la Côte d’Azur ou sur la lagune italienne. Et si Venise avec Joker : Folie à deux surclasse en recettes Cannes et son Furiosa : A Mad Max Story, dans les deux cas ce sont deux fiascos financiers.

Soyons honnêtes : Cannes a clairement l’ascendant sur Venise pour de nombreux films non hollywoodiens : Le comte de Monte-Cristo et The Substance sont à 80M$ de recettes chacun quand Venise n’aligne qu’un succès d’auteur au box office, Babygirl avec 60M$. En France, la comparaison est encore plus cruelle avec quatre films cannois au dessus du million d’entrées et aucun provenant de Venise. Sans oublier les grands succès de films d’auteurs tels Vingt Dieux, La zone d’intérêt, Flow, Les graines du figuier sauvage, La plus précieuse des marchandises, Anora, L’histoire de Souleymane, tous au dessus des 500 000 spectateurs.

Et côté palmarès, la sélection de Thierry Frémaux reste aussi la plus puissante. Rien qu’aux Oscars, Cannes cumule 31 nominations pour huit films sélectionnés (contre 17 nominations pour six films sélectionnés à Venise). Aux Golden Globes, le cannois Emilia Perez avec 4 prix a dominé le vénitien The Brutalist avec trois trophées. Aux European Film Awards, Cannes a raflé 16 prix!

Notons quand même que sur les quinze dernières éditions, l’Oscar du meilleur film a été remis cinq fois à un film ayant fait son avant-première à Telluride et cinq autres à Venise. L’automne reste la meilleure rampe de lancement poour les studios américains, même si Cannes a réussit deux beaux coups avec le frenchy The Artist et le sud-coréen Parasite. Cette année, la bataille se livre entre la Palme d’or, Anora, The Brutalist, Lion de la mise en scène à Venise, Emilia Perez, deux fois primé à Cannes, Conclave et Un parfait inconnu, tous deux présentés en avant-première hors festivals.

Car si, depuis 2007, les lancements en festivals constituent un avantage, notons que le vainqueur à l’Oscar du meilleur film l’an dernier, Oppenheimer, avait juste bénéficié d’une avant-première à Londres. Et entre 1994 et 2006, aucun gagnant n’avait été lancé dans un festival américain ou international. Pourtant ce critère semble de plus en plus décisif pour les sélectionneurs et pour « juger » de leur réussite. Une statuette suffirait presque à faire oublier la diversité, la nécessité et la richesse d’une sélection.

Surtout, c’est l’arbre qui cache la forêt. Le vrai problème pour Cannes, Venise, Sundance (qui va déménager), Toronto, Berlin, ou l’ambitieux Red Sea en Arabie Saoudite, est ailleurs : le déclin de la critique, de plus en plus méprisée, et des médias traditionnels, les coûts faramineux (financiers et écologiques) qu’entraînent les déplacements sur une ou deux semaines, la politique control-freak des distributeurs et des agents qui empêchent la fluidité des rencontre voire tout simplement l’accès aux « talents », et une industrialisation des événements où les fêtes ne sont plus vraiment festives ou même socialisantes. Chaque communauté – artistes, journalistes, professionnels, etc. – vit dans sa propre bulle au lieu de fluidifier les échanges.

Les blockbusters américains condamnés à la fadeur?

Pourquoi les studios hollywoodiens changeraient-ils des formules qui font recette? Rien que l’an dernier, sur les quinze plus gros succès mondiaux venus des Etats-Unis, tous étaient des des suites, des adaptations de marques connues ou des reboots. Et alors que les Chinois commencent à s’imposer au box office (principalement local) avec six films parmi les trente plus grosses recettes de l’année 2024, il n’y a que trois fictions américaines originales dans ce classement : Jamais plus, Le robot sauvage et Blue & Compagnie.

Pourtant, on voit bien que les spectateurs ont envie d’autre chose. Nosferatu, Civil War, Un parfait inconnu, Conclave, Challengers, The Substance montrent qu’il y a du public pour des propositions plus singulières, dans la forme ou/et dans le fond.

Certes, il y a eu cette grande grève en 2023 qui a mis à l’arrêt scénaristes et interprètes. Mais, hormis Vice-Versa 2, Dune II et Le robot sauvage, qui ont toutes les qualités d’un bon blockbuster fédérateur et ambitieux, ce que nous propose Hollywood depuis quelques années n’est plus aussi tentant. À force d’épuiser les univers (et multivers), les marques et les scripts prévisibles (aux morales convenues et aux personnages stéréotypés), on se lasse. Le public répond encore présent mais jusqu’à quand? Et honnêtement, lequel de ces « produits », de ces « contenus » va nous rester en mémoire? Alors oui, il y a eu Barbie, Oppenheimer, un excellent Spider-Man animé, Avatar, un Marvel un peu mieux que les autres, un Batman un peu travaillé… mais pour combien de daubes ou de films sans intérêts.

Rien que l’an dernier, on aurait pu éviter le catastrophique reboot de Twisters, le moche et méchant Mufasa, le trop sérieux et mal découpé Deadpool & Wolverine, le pas drôle du tout et trop sage Moi, moche et méchant 4, le non inspiré Kung Fu Panda 4, le raté Gladiator II, le décevant énième Planète des singes, ou le foireux Joker : folie à deux. On peut aussi déjà s’inquiéter de ce que va produire Amazon MGM Studios en prenant le contrôle de James Bond, qui risque de subir le même sort que les Star Wars…

Où sont les grands films qui ont traversé les époques, qui ont marqué une génération, en proposant une histoire forte, une réalisation respectable, un buzz puissant? Les studios préfèrent investir des sommes monstrueuses sur des histoires balisées et des noms connus, en plus de films de genre pas trop chers mais très rentables.

Pas étonnant que les spectateurs italiens, espagnols et brésiliens retrouvent le goût pour leur cinéma local. Que les chinois, sud-coréens et indiens continuent de privilégier leurs productions. Sans parler des Français. 45% de parts de marché pour le cinéma frenchy et trois des plus gros triomphes de l’année : Un p’tit truc en plus (comédie sociale), Le comte de Monte-Cristo (aventures), L’amour ouf (drame romantique). Trois genres oubliés par Hollywood, au même titre que la rom-com, le thriller ou le drame épique.

Clairement, on n’attend plus grand chose de ces mastodontes hollywoodiens, à l’exception de quelques uns qui s’ancrent dans une tradition du récit. Les séries pallient évidemment ces manques. Mais cela suffit-il à se désoler du lent déclin du cinéma américain? À moins de rester dans notre club cinéphilique et de se rassurer avec des films comme Anora, The Brutalist ou A Real pain, qui, par leurs modestes budgets, prouvent que le cœur du 7e art américain bat toujours un peu pour nous. Il peut aussi compter, comme toujours, sur des cinéastes étrangers pour fouetter un peu le sang de ces machines ronronnantes.

L’intelligence artificielle, alliée ou aliénée

L’IA est déjà là, à toutes les étapes de la production. Pas la peine de se voiler la face. Elle existe depuis plus de trente ans. Avec son évolution générative, elle décuple ses pouvoirs. Il faut s’y adapter, l’apprivoiser, la dompter plutôt que la prompter. Les enjeux ne sont plus de savoir si on doit l’accepter ou même comment la gérer, mais d’imposer quelques règles civiques ou de simple courtoisie. La régulation tant honnie par les tech-oligarques américains et méprisée par tant d’États sans scrupules éthiques va être un sacré défi. Notamment en matière de propriété intellectuelle. On voit bien qu’on peut utiliser des acteurs défunts pour les faire revivre ou des actrices vivantes pour leur faire faire/dire n’importe quoi. Déjà se pose la question du droit à l’image post-mortem. De même, la voix d’une star sera-t-elle une protégée par le droit d’auteur?

Quelques premières pistes apparaissent. Ainsi dans un rapport paru fin janvier, l’office américain du droit d’auteur (US Copyright Office) s’est intéressé à la protection par le copyright des résultats générés à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle (IA) générative. Selon l’institution, un contenu entièrement généré par un système d’IA ne peut être protégé par le copyright. De même, l’utilisation de l’IA pour assister la créativité humaine n’affecte pas l’éligibilité à la protection par le copyright, tant qu’elle est suffisamment contrôlée par l’humain, ce qui nécessite une étude au cas par cas. Enfin, le rapport se prononce sur la protection des instructions (les fameux « prompts »). Sur la base du fonctionnement actuel de l’IA générative, l’USCO considère que les prompts ne fournissent pas à eux seuls un contrôle suffisant pour que l’on puisse dissocier ce que l’artiste a créé de ce qui a été généré automatiquement. Autrement dit, les prompts ne fournissent pas à eux seuls un contrôle humain suffisant pour faire des utilisateurs les auteurs des résultats. L’IA n’est donc pas un auteur comme les autres. C’est ce que dit d’ailleurs le droit français : une œuvre de l’esprit au sens du droit d’auteur ne peut être qu’une personne physique.

Reste que l’usage exponentiel de l’IA va amener un besoin d’avoir de plus en plus de transparence. Déjà l’Académie des Oscars songe à intégrer un nouveau paragraphe à son règlement pour exiger que les films soumis détaillent l’utilisation de l’IA dans la fabrication du film, des effets visuels ou sonores aux décors en passant par la modification des accents étrangers ou la création d’un scénario.

Car l’IA est une formidable opportunité. Elle peut concevoir des décors, des costumes, nombre de trucages en tous genres, et ainsi réduire les coûts de production (à défaut de réduire l’empreinte carbone). Elle va bouleverser la création, ouvrant le champ des possibles à des apprentis cinéastes qui n’ont pas les moyens de réaliser leur rêve. Elle peut aussi inventer un nouveau langage visuel ou une nouvelle esthétique, où l’expérimental prendrait davantage de place.

Conjointement, toutes les études s’inquiètent de l’impact social sur l’industrie : chute des rémunérations et des emplois. Puisqu’un prompt peut écrire un scénario, avec un seul humain, pourquoi enrôler un pool d’auteurs pour une série? Puisque l’IA traduit de mieux en mieux, pourquoi avoir besoin de traducteurs/sous-titreurs? Puisque l’IA est capable de faire un doublage techniquement parfait, en modifiant le mouvement des lèvres, pourquoi faire appel à des doubleurs? Puisque l’IA sait faire des mouvements de caméras improbables voire impossibles, pourquoi perdre trois jours à essayer de le réaliser avec une floppée de techniciens? Puisque l’IA peut modifier un visage sans soucis, quel intérêt d’embaucher des maquilleurs et autres prothésistes? Et on s’interroge sur la nécessité d’investir dans de faramineux studios physiques quand un décor peut être entièrement conçu par IA. Moins de jours de tournage mais davantage de séjours en post-prod.

Mais on voit bien aussi que le nombre d’emplois n’a jamais vraiment baissé sur un tournage. Au contraire. L’IA, dans une version industrialisée et systémisée, fera appel à de nouveaux métiers. Moins d’artisannat, plus de technos. Les ingénieurs à la fibre artistique remplaceront peut-être les métiers d’art présents sur les plateaux.

Fascinante et effrayante IA. Elle a l’avantage d’être démocratique, accessible, peu coûteuse. Peut-être que les vedettes vendront leur image pour des fortunes. Peut-être que des cinéastes se réinventeront avec des narrations et des styles nouveaux, voire novateurs. Jusque là cette technique de la retouche était un outil de réparation. Désormais, c’est un associé dans la création et la fabrication.

Un nouveau monde, hybride, s’ouvre à nous. Le cinéma survivra. Il a muté avec les différentes technologies (l’arrivée du son, du numérique, etc.). Il n’y a pas de raison que cet art, comme tous les autres arts, ne s’empare pas intelligement et naturellement de ce nouveau moyen pour raconter quelque chose qui lui n’a pas besoin de machines et de terres rares : l’imagination au service d’une histoire.