George Woodhouse et sa femme Kathryn sont des légendes de l’espionnage. Lorsque Kathryn est soupçonnée de trahison, George est confronté à un dilemme ultime : son mariage ou la loyauté envers son pays.
Difficile de suivre à la trace Steven Soderbergh, auteur d’une des filmographies les plus éclectiques du cinéma contemporain. Un mois après l’horrifique et modeste Presence, le voici donc de retour avec le chic et plus coûteux The Insider. Le cinéaste signe ainsi son incursion dans le film d’espionnage… en apparence. Car, comme souvent chez Soderbergh, le genre n’est qu’un alibi. Que ce soit un film de casse malicieux, une enquête britannique ou berlinoise, ou encore des fdrames engagés, sérieux ou légers dénonçant les coups bas d’un système aliénant, le réalisateur détourne nos regards pour mieux casser les codes.
The Insider ne fait pas exception. Le film aurait d’ailleurs pu s’intituler Sexe, mensonges et polygraphe. Nous voici embarqués dans un environnement assez clos. Quelques lieux : un domicile bourgeois digne des plus beaux magazines de déco, une cabane de pêcheur au bord d’un lac, un immeuble ultramoderne, au design ultracontemporain, toute en transparence pour des opérations plus qu’opaques. Il y a bien une clé USB aux effets effroyables qui se balade quelque part en Europe, mais c’est un Macguffin (prétexte narratif) dont au fond tout le monde se fout, spectateurs inclus. L’essetniel est ailleurs, comme dans ses Ocean’s 11 ou dans Hors d’atteinte.
« Chéri, tu ne devrais pas droguer nos invités »
En reprenant l’esthétique sophistiquée de ces deux films, Soderbergh nous ramène à un pur plaisir de divertir dans une atmopshère chic. La musique du fidèle David Holmes, les lumières soigneusement et sublimement choisies, la garde-robe plus qu’élégante et bien sûr le casting « plus-sexy-tu-meurs » contribuent à donner à ce thriller l’apparence luxueuse d’un film d’espionnage façon John Le Carré.
Gratter le vernis, et c’est une toute autre affaire qui se propose au spectateur, pliée en 1h34, sans gras ni coup de mou. Soderbergh découpe au scalpel ce scénario du brillant David Koepp. Un long travelling pour amorcer l’intrigue est proposé pour nous séduire et nous amener dans le dédale qui va suivre. Un simple champ – contre-champs rapide exécutera le/la coupable. Et un soyeux mouvement de caméra tombera à la renverse en guise de conclusion dans un lit. On ne peut pas faire plus hitchcockien.

Au centre du jeu (de massacre), deux époux fusionnels (Michael Fassbender, imperturbable et manique, et Cate Blanchett, énigmatique et vacharde) plus proches des vampires que des 007. Le grain de sable dans ce duo n’est pas une liaison infidèle ou un amour qui s’étiole (comme dans Mr & Mme Smith). Non, c’est un peu plus subversif. Il y a un parfum de trahison (professionnelle) qui entraîne le soupçon. Truth or dare. Action ou vérité. Il s’agit de démasquer un traitre, qui peut-être dans son propre foyer. Soderbergh s’ingénie à disséquer les ressors qui permettent à deux êtres de vivre ensemble, malgré les obstacles ou les préjugés. Une parabole évidente du couple se cache dans ce cluedo.
Trois couples et un enterrement
Et c’est bien ça qui nous happe. Koepp s’amuse à transformer un récit à la Agatha Christie en théâtre psychanalytique. The Insider est plus cérébral qu’aventureux, tout en sachant manier un certain suspense et quelques « twists ». Deux dîners, des séances psy, quelques sorties méditatives à la pêche à la ligne, et une séquence de détecteur de mensonges lui servent de révélateurs pour que la vérité éclate au sein d’un double et trouble piège.

Autrement dit, il ne s’agit pas de suivre l’investigation, anecdotique, mais bien de se régaler avec les déclarations de chacun. Car si les espions peuvent enfouir leurs secrets dans un « black bag » (sorte de red flag qui leur permet de ne pas dévoiler leur agenda ou leur activité), une fois chez eux, mieux vaut ne pas trop cacher ses intentions ou ses frustrations. Ça peut valoir une humiliation publique autour d’une sexualité pas si flamboyante ou un plantage de couteau en guise de punition. Tout cela accentue notre désir pervers voyeuriste devant ces esclandres bourgeois.
« Ne déconnez jamais avec mon couple »
Vérités et mensonges. Dans un métier où mentir et effacer des traces sont des qualités, il semble compliquer de savoir ce que l’autre pense sincèrement et fait réellement. Plus que le poison de la jalousie, c’est bien l’idée que l’autre ne soit pas honnête qui peut pourrir une relation. Trois couples, six menteurs professionnels et un traître à découvrir. Le plaisir à voir chacun avancer ses pions et se débattre de ses erreurs est assez jouissif. Quelques répliques, sans hausser la voix, donnent du relief à chaque confrontation. Et le calme ambiant, cette froideur qui enveloppe leurs horreurs contenues, semble étouffer tout cynisme dans du coton.
Spy et psy
Soderbergh illustre une fois de plus la distance au sein d’un couple. L’amour est presque une notion abstraite (même s’il sauve toujours les héros soderberghiens) ; c’est une expérience scientifique, où l’individualisme contamine chacun des protagonistes, mû par ses pulsions destructrices. C’est un match pas si manichéen entre l’intégrité et la moralité (et tout n’est pas forcément moral). L’hostilité et la méfiance, innée ou acquise chez chacun de ses personnages, font le reste pour perturber une relation maritale ou amoureuse a priori solide, ou en tout cas prometteuse.

Derrière leurs masques, tout se fissure rapidement. La panique est bien plus palpable quand on les regarde ou qu’on les écoute. Ces paranoïaques parfois inhumains, prêts à sacrifier leur prochain, pourraient nous sembler antipathiques. Mais grâce à un revirement de situation (après tout, ce n’est pas bien de ne pas faire confiance, d’espionner, et de douter dans un couple), le traqueur va devoir lier son destin aux (dé)traqués. L’homme est control-freak et veut maîtriser la situation (et ses ambitions). Mais c’est bien la femme qui tient les rênes et qui résoud les problèmes (avec de franches décisions).
Avec son style un poil décalé, Soderbergh signe son meilleur film de puis longtemps : un divertissement taillé sur mesure, avec ce goût du pas de côté. L’action est furtive. Tout est psychologie. Sans temps morts, la mort aux trousses et l’amour qui se froisse, The Insider décrypte les secrets d’un mariage heureux entre un prédateur et une protectrice : l’union fait la force.