Cannes 2025 | Avec « Enzo », Robin Campillo et Laurent Cantet, unis par-delà la mort

Cannes 2025 | Avec « Enzo », Robin Campillo et Laurent Cantet, unis par-delà la mort

En ouverture de la Quinzaine des cinéastes, Enzo. Le générique annonce : un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo. Le premier a obtenu la Palme d’or en 2008 pour Entre les murs. Le second a reçu le Grand prix du jury à Cannes en 2017 pour 120 battements par minute.

Entre les deux un lien de fidélité, d’amitié, de collaboration qui n’a jamais cessé depuis 1998. Cantet réalise alors pour Arte Les sanguinaires. Campillo est son monteur. Robin, né au Maroc, ayant grandi dans le sud de la France, a rencontré Laurent, né dans les Deux-Sèvres, sur les bancs de l’Idhec il y a plus de quarante ans, partageant la même passion pour Vincente Minnelli.

Enzo, c’est une autre histoire. Post-mortem. Laurent Cantet est mort en avril 2024 à l’âge de 63 ans. Ça aurait du être son neuvième long métrage. Enzo a 16 ans. Il est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon…

Duo d’alter-ego

Cantet a toujours aimé filmé le monde du travail (dès Ressources humaines, César du meilleur premier film) et la jeunesse (comme dans Arthur Rambo, son ultime film en 2021 et le seul où Campillo n’apparaît pas au générique). Ils sont rares les duos créatifs français à ce niveau. Robin Campillo est ainsi le scénariste de L’emploi du temps, Vers le sud, Entre les murs et L’atelier, et le monteur de tous ces films, en plus d’être celui des Sanguinaires, de Ressources humaines, Retour à Ithaque et de Foxfire.

Parallèlement, cela ne l’a pas empêché d’écrire, réaliser et monter Les revenants, Eastern Boys, 120 battements par minute, et L’île rouge, son dernier film en 2023.

Aussi, quand le cancer foudroie Cantet, Campillo a rappliqué. Enzo, comme L’atelier, a été tourné l’été dernier à La Ciotat, sous un soleil éclatant. Comme une urgence. Quelques semaines après le décès du réalisateur, son dernier scénario revit, survivant ainsi à son auteur. Ils ont également en commun d’avoir la même productrice, Marie-Ange Luciani (Anatomie d’une chute). Cela facilite les choses. Cantet avait casté ses deux comédiens non professionnels (Eloy Pohu et Maksym Slivinskyi) et deux acteurs réputés (Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino). La pré-prod était bien lancée. Pourquoi abandonner ce projet?

Une histoire d’engagements

Et quoi de plus logique que ce soit son alter-ego qui s’en charge, tel un exécuteur testamentaire. Campillo s’est donc approprié l’histoire de Cantet, sans changer d’interprètes, ni de décors. Après tout, il avait participé à ces choix. Qui mieux que lui pouvait endosser ce rôle après tant de films où ils ont travaillés de concert, parfois même sur le tournage ?

Mais Cantet est définitivement absent. Et Campillo, avec Enzo, va tenter un dialogue surnaturel cinématographique où le disparu est encore présent. Tel un veuf qui rend hommage à son défunt ami. Un vieux couple porté par l’amour du cinéma. Ils se comprennent sans se parler au montage mais, pour le scénario, les conversations étaient incessantes. Leur méthode de travail est aussi différente que leur caractère.

Cantet est un ponctuel, pas Campillo, qui préfère marcher et rêver. L’un écrit tout, l’autre a tout dans sa tête. Le premier est théoricien quand le second, plus baroque, préfère le vivant, l’imprévu. C’est ce qui explique sans doute une certaine humilité, voire une froideur calculée, dans le cinéma de Laurent, quand les films de Robin sont plus « organiques« , plus vibrants.

Leur cinéma a beau être fusionnel techniquement, il est assurément différent stylistiquement. Si les rapports humains dans des milieux conflictuels sont au cœur de leurs récits, Cantet a une forme de distance observatrice, de pudeur des sentiments, de regard ouvertement politique que n’a pas Campillo, davantage cinéaste de l’intime, de la sensualité et des émotions.

Finalement, leur vérité est ailleurs. Leurs œuvres ont en commun un véritable engagement humaniste, transgressant les classes sociales ou les barrières idéologiques. Enzo ne devrait pas faire exception. Le film rejoint ces scénarios réalisés post-mortem par un autre cinéaste que l’auteur, à l’instar de L’enfer de Henri-Georges Clouzot (par Claude Chabrol), The Other Side of the Wind d’Orson Welles (par Peter Bogdanovich), A.I. Artificial Intelligence de Stanley Kubrick (par Steven Spielberg)…