L’île rouge de Robin Campillo : éden et d’haine

L’île rouge de Robin Campillo : éden et d’haine

Surprenant, le nouveau film de Robin Campillo, Grand prix du jury à Cannes pour 120 battements par minute il y a six ans, n’a pas été retenu pour une sélection sur la Croisette. C’est d’autant plus étonnant que le film est original, esthétiquement superbe, et dans l’ensemble, plutôt réussi.

Certes, L’île rouge opère un léger virage dans la filmographie du cinéaste, à qui l’on doit le remarqué Les revenants et l’excellent Eastern Boys. Campillo nous fait remonter le temps pour nous faire atterrir au début des années 1970 à Madagascar.

Après des zombies, des migrants et des activistes LGBTQI+, il continue à tracer son sillon en observant une communauté, sous la forme d’une chronique familiale d’expatriés. Une bulle française sur un territoire étranger.

Mais Campillo prend ici des risques narratifs, comme si ses matières premières se modelaient sous nos yeux. Et parfois son audace paie. Il ose ainsi construire un récit composite entre l’imaginaire et les sensations d’un enfant, en point de vue subjectif, l’histoire d’un couple en décomposition, par petites touches presqu’impressionnistes, le crépuscule d’une France colonisatrice et aveuglée par ses dénis, et, enfin l’émergence d’une émancipation malgache.

De Fantômette à Miangaly

Evidemment, tout n’est pas égal et l’ensemble manque d’émotion ou de tension pour nous emballer complètement. Pourtant, L’île rouge est envoûtant par sa tendresse et sa justesse. Ce gamin qui fantasme sur Fantômette (dont on suit les aventures comme dans un film de Wes Anderson, avec des prises de vues stylisées proches du cinéma d’animation) jusqu’à s’habiller comme elle (moment queer adoubé par la mère) assure un point de vue proche (sentimentalement) et distant (en tant qu’observateur) sur l’effondrement du monde qui l’entoure.

Ses parents – Quim Gutiérrez et Nadia Tereszkiewicz, tous deux impeccables – s’éloignent l’un de l’autre. Les occupants venus de l’Hexagone vont être chassés de cet Eden où les locaux ne sont traités qu’en serviteurs. En creux, on devine bien que l’ancienne puissanc ecoloniale sert avant tout un pouvoir autoritaire et contesté par le peuple, et ce, sans désaveu. Pourtant, Madgascar est en ébullition, avec une contestation grandissante et une grève des étudiants qui va bousculer le pouvoir trop proche des Français malgré une indépendance conquise douze ans auparavant.

« De toute façon c’est absurde d’offrir des crocodiles à des enfants. »

Avec L’île rouge, Robin Campillo ne ménage pas les colonisateurs, racistes ou méprisants, dominateurs ou arrogants. Au fil d’un temps aux contours flous et sans saisons pour le ponctuer, l’inquiétude monte. Le couple expose ses fragilités. Les élites semblent impuissantes face aux événements. Pour échapper à cette oppression planante, le jeune Thomas s’évade par la lecture, l’amitié et la curiosité. Une ouverture aux autres, salutaire et singulière, qui signe aussi la fin de l’innocence et de l’enfance.

C’est là que le film trouve son angle le plus touchant. Les scénettes avec la malicieuse Fantômette comme son errance nocturne en guise d’adieu, en costumes de la jeune héroïne, à l’île rouge sont même les plus belles séquences du film. Mais, contrairement à ses films précédents où l’émotion prenait le contrôle de ses récits, jusqu’à nous bouleverser, ici c’est le propos politique qui va l’emporter.

Les dépendants

En rappelant les exactions de la France depuis Gallieni et en montrant des militaires et leurs familles complètement déconnectés du pays, le réalisateur choisit clairement son camp. Cependant, il laisse volontairement les Malgaches à l’écart. Figurants, puis personnages secondaires, ils restent sur le bord du film.

Pendant les deux tiers de L’île rouge, le réalisateur semble davantage compiler des souvenirs flottants au détriment d’un enjeu dramatique, qui s’avère inexistant et affaiblit ainsi l’intensité du film. Il faut attendre l’intrusion de prostituées en furie dans la base militaire pour que Robin Campillo s’empare enfin de son sujet déclencher son final frontalement politique. Il est porté par une jeune malgache (Amely Rakotoarimalala), lasse de plier les parachutes des Français.

Dans une habile transition, le scénario bascule ainsi d’un jeune garçon triste de quitter son île à la romance tabou entre un jeune militaire français et cette ouvrière, pour, nous emmener dans un utlime acte révolutionnaire.

Les insoumis

L’île devient rouge non plus à cause de sa terre mais de la couleur des idées. Comme si la caméra de Campillo filmait d’un coup de hors-champ, voire le contre-champ. L’insurrection qui va parachever l’indépendance de Madagascar est désormais au cœur du film. De manière presque virtuose, il déstabilise le spectateur et désarticule son œuvre pour nous transporter dans un élan vital et joyeux, loin du paradis artificiel que les Français s’étaient construit. Chassés de l’Eden, les colons n’existent plus. La langue de Molière disparaît du cadre. Le malgache envahit tout l’écran. C’est une jeunesse locale qui prend le pouvoir : des discours engagés (toujours cette importance des mots chez Campillo) et des chants joyeux, hymnes à la liberté.

Car il s’agit bien d’un film sur la libération. Celle d’une mère coincée dans son foyer, de son fils qui se devine gay, d’un peuple qui assume l’insoumission, d’un cinéaste qui trouve le sens de son film. L’île rouge est l’histoire d’hommes et de femmes qui reprennent possession de leur destin en renvoyant les dominateurs.