Cannes 2025 | Dîtes-lui que je l’aime : Romane Bohringer à la recherche de la maman perdue

Cannes 2025 | Dîtes-lui que je l’aime : Romane Bohringer à la recherche de la maman perdue

Romane décide d’adapter pour le cinéma le livre de Clémentine Autain consacré à sa mère. Ce projet va l’obliger à se confronter à son passé et à sa propre mère qui l’a abandonnée quand elle avait neuf mois.

Dîtes-lui que je l’aime. En soi un beau titre. Celui du livre de Clémentine Autain, femme politique française, qui déclare ainsi sa flamme à une absente : sa mère, l’actrice Dominique Laffin, décédée d’une crise cardiaque à l’âge de 33 ans, il y a 40 ans. Dîtes-lui que je l’aime c’est aussi le titre d’un film Claude Miller dans lequel Laffin jouait aux côtés de Gérard Depardieu et Miou-Miou. Miller qui a dirigé Romane Bohringer dans l’un de ses plus beaux films, L’accompagnatrice. On se dit alors que la boucle est bouclée avec Bohringer quand celle-ci passe pour la première fois en solo derrière la caméra pour adapter le livre d’Autain.

Mais rien n’est du au hasard : Romane Bohringer a aussi perdu de vue sa mère, Marguerite Bourry. La jeune femme a abandonné père et fille, alors que celle-ci n’avait que neuf mois. On comprend mieux alors l’effet miroir provoqué sur l’actrice par le récit autobiographique de la députée. « Maguy » est morte accidentellement à l’âge de 36 ans.

Les « elles » du désir

Ce lien entre les deux « filles » se créé lorsque Romane Bohringer est happée dans son quotidien par une émission de télévision où la romancière et cinéaste Christine Angot évoque le livre de Clémentine Autain. Elles ont en commun une souffrance. Et comme Angot avait fait surgir le réel dans le cinéma dans Une famille l’an dernier, Bohringer va construire un film-enquête, où la reconstitution tient lieu de fiction.

Le manque de la mère n’est pas le seul sujet. Il s’agit aussi de recomposer le puzzle à travers des souvenirs, des témoignages, des archives, et parfois une reproduction d’un passé flou. Film hybride et docu autobiographique, on suit ainsi deux vies qui se ressemblent, deux femmes aux destins si loin et si proches.

En utilisant un langage cinématographique parfois meta, Romane Bohringer nous embarque dans une investigation tantôt légère, tantôt touchante. Parfois très émouvante. « Comment vous pouvez adapter ça ? » lui demande Autain dans un café. Justement, en évitant la pure fiction et l’interprétation psychanalytique. Bohringer, pour justifier son choix cinématographique d’être au centre du récit, fait passer des audiences à Céline Sallette, Julie Depardieu, Elsa Zylberstein. Evidemment, ça aurait été un autre film.

Portraits chinois

Or, c’est beaucoup trop intime. Il y a les mots de Clémentine, qu’elle lit avec une certaine douceur, et il y a les images de Romane, qu’elle filme sans fioritures. Deux mamans écorchées vives, l’une accro à l’héroïne, l’autre à l’alcool, deux « mauvaises » mères comme on dit dans ces cas là (et finalement, les enfants vont plutôt bien). C’est une forme de psychanalyse à cœur ouvert. Et, paradoxalement, il n’y a rien d’impudique, au contraire. Car si ces destins nous bouleversent, jamais on ne les juge. Là se situe la belle sincérité de l’intention de la réalisatrice.

En creux, on devine aussi le rôle des pères, le chanteur Yvan Dautin pour l’une, l’acteur et écrivain Richard Bohringer pour l’autre. Celui-ci n’apparaît que furtivement, et ne confie pas grand chose sur l’ancien amour de sa vie. Mais il a été là pour sa fille. Le lien est intense, sur un simple banc.

Car Romane Bohringer s’amuse aussi avec la mise en scène – ses lieux du quotidien, son chassé-croisé avec Autain – et le montage – qui accentue parfois le pathos mais reste toujours à bonne distance de la vie privée actuelle. Jusque’à la révélation inattendue pour la réalisatrice : une fratrie ignorée. Le film rappelle alors Le garçon de Zabou Breitman et Florent Vassault (2023), où à partir d’une enveloppe, contenant des photographies de famille, trouvée dans une brocante, deux personnes vont chercher à retracer l’histoire d’un garçon présent sur plusieurs de ces images.

Le cinéma n’est pas seulement une catharsis mais un révélateur, comme lorsqu’on développe une photo dans une chambre noire. Dignement, et avec justesse, Clémentine Autain et Romane Bohringer ont ramené leurs mères à la vie. Pour compenser l’amnésie qui les ont construites, il fallait bien un livre puis un film pour les sortir de l’oubli. Cela aide à comprendre et sans doute à pardonner l’insoupçonnable et l’impensable : la désertion maternelle.

Dites-lui que je l'aime
Cannes 2025. Séances spéciales.
1h32
Sortie en salles : 3 décembre 2025
Réalisation : Romane Bohringer
Scénario : Gabor Rassov, Romane Bohringer, d'après le livre homonyme de Clémentine Autain
Image : Romain Carcanade
Distribution : ARP Sélection
Avec Romane Bohringer, Clémentine Autain, Éva Yelmani, Josiane Stoléru, Liliane Sanrey-Baud, Raoul Rebbot-Bohringer, Esther Welger-Barboza, Dominique Frot, Céline Sallette, Julie Depardieu, Elsa Zylberstein, Richard Bohringer