Cannes 2025 | Les Filles désir, rayon de soleil marseillais signé Prïncia Car

Cannes 2025 | Les Filles désir, rayon de soleil marseillais signé Prïncia Car

Dévoilé en première mondiale au Festival de Cannes, Les Filles désir de Prïncia Car a tout pour devenir le film culte d’une génération. Explications.

Marseille en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu’on baise et celles qu’on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.

« Une pute c’est une pute »

Zinc.

Pour son premier long métrage, la Belge Prïncia Car s’est lancée un sacré défi : réalisé un premier long métrage dans sa ville de cœur, Marseille, avec l’aide de jeunes qu’elle a côtoyés au travers de son école alternative de cinéma qu’elle a fondé… à Marseille ! Pas étonnant dès lors que Les Filles désir soit l’un des films les plus authentiques jamais tournés à propos de Marseille.

Consciente du terreau qu’elle avait entre les mains, celle qui a été scénariste et assistante de production s’est associée à Léna Mardi pour écrire un scénario d’une qualité rare. Et cela commence par le personnage d’Omar, campé très justement par le vigoureux Housam Mohamed. Représentant le plus légitime de cette génération coincée les préceptes religieux (il est musulman), l’effet de groupe (meneur de la bande, il essaye d’être la voix de la raison à tout moment) et le désir d’émancipation (qui n’a jamais rêvé de connaître un ailleurs qui soit libérateur ?) Son parcours est celui d’un jeune homme de notre époque, qui ne parvient pas à trouver sa place et la paix au milieu de tout ce qu’il défend.

Finalement assez loin du cliché de la fille paumée qui a constamment besoin d’aide, le personnage de Carmen est un déclencheur surprenant mais si réjouissant. Une jeune femme qui assume son passé en mode grande gueule mais ne cache pas une extrême sensibilité lorsqu’elle est avec Omar, c’est tout simplement beau. Jouée par la magnifique et très juste Lou Anna Hamon, Carmen est une nana qui en a, délivrant des punchlines d’anthologie telles que « T’as même pas assez pour t’en payer une ! Et les putes, elles au moins elles baisent ! » à l’un de ses détracteurs… qui ne s’empressera pas de clamer haut et fort que c’est une pute après ne pas avoir réussi à aller au bout d’un rapport sexuel avec elle. Le film rappelle ainsi à qui l’aurait oublié que dans les quartiers comme partout ailleurs, la masculinité se traduit et se détruit par la puissance – voire la domination – sexuelle.

« C’est quoi ton plus grand rêve ? »

Zinc.

Les Filles désir met beaucoup en avant la parole masculine, le rapport de ces jeunes hommes à la sexualité mais surtout à un sexe opposé qu’ils ne comprennent que très mal. Les personnages masculins ne font pas exprès, ils reproduisent malgré eux des schémas patriarcaux et suivent des codes sans vraiment en saisir la teneur. Perdre sa virginité à 18 ans avec une prostituée parce que c’est ce que tout le monde fait ? Attendre le mariage pour faire l’amour avec celle que l’on fréquente depuis des mois ? Regarder du porno pour « combler » ses attentes en parallèle ? Ne pas parler de sentiments avec les autres mecs et se vanter d’être doué pour la drague même lorsqu’aucune fille ne vous « calcule ». Et surtout, n’évoquer le coït que comme un acte de destruction du corps de la femme. Les Filles désir regorge de répliques qui questionnent sans juger l’éducation sentimentale de la jeune génération.

Alors face à cette violence qui peut sembler primaire, Prïncia Car et Léna Mardi font intervenir deux personnages féminins qui donnent du relief et de la profondeur à un film passionnant car passionnel. Carmen tout d’abord mais surtout Yasmine, la « p’tite femme » d’Omar. Ennemies ou rivales sur le papier, Les Filles désir en fait deux héroïnes captivantes. Et ce grâce à la photographie absolument solaire de Raphaël Vandenbussche – déjà l’œuvre sur Eat the Night. Ou serait-ce le charme imparable de Leïa Haïchour (Yasmine) qui fait briller Les Filles désir aussi fort et d’aussi loin ? La question se pose.

Lors d’une séquence finale de toute beauté et à la grâce certaine, Les Filles désir s’écarte volontairement du regard et du jugement des hommes pour se concentrer sur ce qui est délaissé depuis toujours : les désirs des femmes. Le naturalisme se mue en romanesque, offrant une porte de sortie à deux personnages qui l’ont bien mérité. Une manière de rappeler au passage que ces personnages, très forts pour leur jeune âge, ne seront jamais à l’abri d’être traités de « pute » par les hommes mais que c’est à elles d’écrire leur histoire. Et de la revendiquer au passage.

Film de Marseillais fait par des Marseillais, Les Filles désir ne tombe jamais dans le cliché ou la caricature de ce et ceux qu’ils représentent. Un film qui rappelle par moments le meilleur de Bande de filles de Céline Sciamma, L’Esquive d’Abdellatif Kechiche et Entre les vagues d’Anaïs Volpé.

Les Filles désir
Cannes 2025. Quinzaine des Cinéastes
Durée :1h33 
Réalisation : Prïncia Car
Scénario : Prïncia Car, Léna Mardi
Son : Florent Klokenbring
Musique : Damien Bonnel et Kahina Ouali
Photographie : Raphaël Vandenbussche
Montage : Flora Volpelière
Décors : Lili-Jeanne Benente
Avec Housam Mohamed, Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon, Kader Benchoudar (Tahar), Mortadha Hasni (Ismaël), Achraf Jamai (Ali), Nawed Selassie Said (Momo)
Distribution (France) : Zinc.