
Au commencement, il y a ses oreilles. Oubliez le sourire ravageur, le subtil jeu d’acteur, ou la sexitude intérieure. D’abord et avant tout, Josh O’Connor se remarque par ses oreilles. Leur forme légèrement décollée contribue à son charme et à sa présence expressive à l’écran. Elles ajoutent une note d’authenticité et de vulnérabilité à son visage. Cette particularité physique accentue son air un peu mélancolique, parfois maladroit, qui fait justement sa force : il dégage une humanité palpable, loin des standards lisses. Ce détail le singularise et participe au « “ »physique de personnage »” », de celui qu’on n’oublie pas, même quand il quitte l’écran.
Josh O’Connor, qui fête ses 34 ans avec deux films en compétition à Cannes en 2025, est arrivé aux yeux des cinéphiles en 2017 dans le film Seule la terre de Francis Lee, primé à Sundance, Berlin, Dinard, Saint-Jean-de-Luz et consacré aux British Independent Film Awards. En huit ans, il est devenu incontournable parmi la nouvelle génération d’acteurs britanniques grâce à des choix aussi éclectiques que judicieux.

Une enfance de l’art
Mais avant cela? Un père prof d’anglais et poète, une mère sage-femme et peintre, une enfance dans une ville thermale de l’Ouest de l’Angleterre. Dans la famille, on compte un sculpteur, une céramiste, une écrivaine. Ses grands parents lui donnent le goût du dessin, qu’il pratique toujours. La musique est une de ses autres passions (il compose même la bande originale du court métrage Michael Myers in Love en 2011). Sans doute pour cela qu’il souhaitait devenir artiste. Ne se sentant pas assez doué, il se tourne dans un premier temps vers le rugby. Du haut de son 1m85, il en a le gabarit. Parallèlement, il joue dans les productions scolaires. Le théâtre lui plaît. Il a d’ailleurs cité régulièrement le programme d’art dramatique de son école comme l’ayant aidé à vivre avec sa dyslexie.
Il passe la ballon ovale à d’autres et plutôt que des plaqués sur le gazon préfère le plancher des scènes. Provincial dans l’âme, il se forme à Bristol. Mais une fois le diplôme en poche de la Bristol Old Vic Theatre School, déménage à Londres.
Il a 22 ans. Multiplie les apparitions dans diverses séries, dont Doctor Who et Peaky Blinders. Mais le théâtre reste sa seule réelle passion. Dès sa première pièce, en tant que professionnel, Farragut North, il se fait remarquer pour ses talents comiques. On attend le cinéaste qui saura les exploiter. Il enchaîne Versailles, Oppenheimer et Les vacances du cordonnier. Le cinéma est accessoire. Il fait partie de la bande de The Riot Club de Lone Scherfig. Stephen Frears l’enrôle pour Le programme puis Florence Foster Jenkins.

Un caméléon au milieu des moutons
Des débuts comme les autres. C’est là qu’il accepte son premier rôle principal au cinéma dans un premier films. Dans Seule la terre, Josh O’Connor est un jeune éleveur de moutons, solitaire, en charge de la ferme, de sa vieille grand mère et de son père diminué. Le pub lui sert d’escapade dans un bled où il peut parfois croiser des garçons pour assouvir sa sexualité. Quand il enrôle un immigré roumain, terriblement séduisant, sa vie va être bousculée et va basculer. Au fil de cette histoire, on tombe sous le charme du jeune acteur, et pas seulement pour ses oreilles. Il touche profondément le spectateur avec ses doutes, ses désirs, ses contradictions, sa charge mentale, sa décharge physique. Il s’abime sous nos yeux. Francis Lee confesse qu’il est « l’un de ces caméléons subtils et humbles qui peuvent disparaître dans des rôles« .
Et c’est bien le cas, même physiquement : « J’avais mon propre carnet de sens : des peintures et des dessins que j’avais faits, et des idées qui me venaient à l’esprit. À partir de là, j’ai travaillé physiquement avec Francis pour imaginer à quoi ressemblerait ce personnage. À la fin du film, j’étais tellement maigre ; j’étais décharné. C’était horrible. J’étais dans la peau de mon personnage tout du long. C’était vraiment solitaire et difficile. Je ne pense pas que je le referais. On s’isole de tous ses amis » a-t-il avoué dans le magazine Interview.
Au passage, pour le rôle, il donne naissance à plus de 150 agneaux, entre la préparation et le tournage. Lui n’a rien d’un mouton. Comme le cinéma anglais n’est pas au mieux de sa forme, il continue de travailler pour la télévision. Notamment dans la série The Durrells : une famille anglaise à Corfou, où durant quatre saisons il incarne un aspirant écrivain Larry, persuadé de son propre génie. Il est aussi le romantique Marius dans la mini-série Les Misérables.
Un prince et des lauriers
Mais c’est une autre série en costumes qui va le faire connaître mondialement. O’Connor apparaît dans la saison 3 de The Crown. Il focalise l’attention durant deux saisons autour de la royauté anglaise, endossant les habits trops grands du jeune prince Charles, amoureux de Camilla, mais devant épouser Diana. Sensible, touchant, il choisit de faire du prince de Galles un homme tiraillé par ses conflits intérieurs – sa liberté versus sa loyauté à la couronne – et tentant de suaver les apparences malgré des conventions qu’il juge trop pesantes. Josh O’Connor n’avait pas plus envie du rôle que Charles de son héritage royal. Le créateur de la série l’a convaincu de passer une audition, et l’acteur a trouvé la faille qui l’intéressait : un homme sans aucun but dans la vie, et qui doit passer son temps à attendre pour exister en tant qu’héritier du trône…
Sa performance est saluée. Il n’embellit pas le futur roi, préfère en faire un homme comme les autres, un « fils de » cherchant l’affection d’une mère très procolaire et renfermant son opposition à un père trop autoritaire à son goût. Il insuffle un charme indéniable et une tendresse palpable à ce dandy au corps un peu dadet. Il n’atténue pas plus l’aspect horrible et égocentrique en tant que mari de Diana, trahissant leur union, jusqu’à la rupture amère. Olivia Colman (avec qui a joué dans trois fictions différentes) ne tati pas d’éloges sur lui. Celle qui incarne sa mère, la reine, dans ces deux saisons, confie : « Fragilité, éclat, force, doute : tout est là en une seconde. Chaque scène que nous avons tournée ensemble est devenue ma scène préférée. »
O’Connor récolte un Emmy Award et un Golden Globe. L’acteur est propulsé dans la sphère des talents à suivre. Lui reconnaît que ça été l’expérience d’une vie.
La tentation de l’Italie
Toutes les portes s’ouvrent en grand. Le prestigieux Royal National Theatre le choisit pour être Roméo dans la pièce de Shakespeare Roméo et Juliette (face à Jessie Buckley). Mais la pandémie de Covid-19 annule le projet de ce retour aux planches, qui sera quand même concrétisé par une version théâtrale pour la télévision. Le cinéma tarde un peu à lui trouver des rôles à sa mesure. Un Jane Austen (Emma, avec Anya Taylor-Joy), passage obligé pour tout acteur anglais, un rôle ramantique dans un rom-com banale (Only you), un drame familial plus convaincant (Hope Gap, traduit en français par Goodbye, avec Annette Bening et Bill Nighy), un film d’époque à gros cast (Mothering Sunday / Entre les lignes, avec Olivia Colman, Colin Firth…), ou encore un drame social irlandais (Aisha, avec Letitia Wright). Autant de personnages bien campés par l’acteur, qu’il soit amoureux, ex-prisonnier, ou fils d’un couple en séparation. Mais rien de transcendant pour s’imposer dans le paysage.

Le virage est opéré en 2023 avec trois films radicalement différents. En second-rôle, il fait face à Kate Winslet dans Lee. Ce biopic assez fade sur la photographe Lee Miller lui permet de se confronter à la star dans des tête-à-têtes exclusifs.
De duo, il passe à trio dans Challengers de Luca Guadagnino, réalisateur italien, transnational et queer. Joueur de tennis, avec Mike Faist (autre gloire montante) en rival aussi bien sur le cour que pour faire la cours à Zendaya. Fluidité érotique et préparation athlétique pour ce jeu (de jambes) pas comme les autres. Il apprend le tennis comme s’il devait affonter Rafael Nadal. Dans l’un des films les plus réussis du cinéaste, Josh O’Connor démontre qu’il peut-être sexy en plus d’être en haut de l’affiche à fort buzz. À cause de la grève des scénaristes et des acteurs, le film, qui devait faire l’ouverture de la Mostra de Venise en 2023, voit sa sortie reportée au printemps suivant.

Quelques semaines avant l’arrivée en compétition cannoise d’un autre film cette fois-ci 100% italien, La chimère d’Alice Rohrwacher, chérie des festivals et égérie du cinéma d’auteur translpin.
Ces deux choix, inspirés, le positionnent loin d’Hollywood mais haut dans la cinéphilie mondiale. Avec la Chimère, drame bohème et poétique, il impressionne. Pas seulement pour son interprétation d’un Orphée, pilleur archéologique en quête de son Euridyce. Avant tout parce qu’il se glisse naturellement dans un univers cinématographique codifié loin des stéréotypes du cinéma anglo-saxon. Il est chef de bande, mais il en fait surtout pleinement partie. Tel un funambule sur son fil, il déambule tout au long du film sans jamais tomber dans une caricature ou, pire, en restant l’étranger de l’aventure. Son perfectionnisme le pousse évidemment à apprendre l’italien comme s’il fallait qu’il soit Mastroianni ou Gassman.

Cannes va peut-être devenir sa résidence secondaire puisque, hormis deux films inédits en France – Bonus Track, rom-com musical british, dont il a co-écrit le scénario, et Rebuilding, présenté à Sundance début 2025, où il joue un fermier victime d’un incendie meurtrier – il est doublement en compétition pour la 78e édition du Festival.
Braqueur de cœurs
Chez le sud-africain Oliver Hermanus (Beauty, Queer Palm à Cannes en 2011), avec The History of Sound. Josh y est David, étudiant en composition musicale au début du XXe siècle. Il croise Lionel, jeune chanteur du Kentucky, interprété par le non moins « hot » Paul Mescal. Ils tombent amoureux mais la guerre les sépare avant de se retrouver en 1920 dans les forêts de la Nouvelle-Angleterre, collectant des chants folkloriques oubliés… Une nouvelle histoire gay pour O’Connor, huit ans après Seule la terre.
Lui ne voit pas les choses sous cet angle réducteur : « La vérité, c’est que je lis des scénarios et quand je suis touché, je suis touché, point. The History of Sound, c’est un film qui aborde de très nombreux sujets. Ça parle de deuil, ça parle d’amitié, ça parle aussi de musique. Ça raconte comment la vie change quand on tombe amoureux de quelqu’un et que votre relation avec cette personne change. Dans Seule la Terre, le personnage est incapable d’aimer et d’être aimé. La sexualité d’un personnage, son histoire personnelle, son origine, sa famille – tout ça, ce sont des facettes de sa personnalité, et je les prends tous très au sérieux.«

Dans un registre radicalement différent, il est en tête d’affiche du nouveau film de la cultissime Kelly Reichardt, The Mastermind. La réalisatrice américaine, Carrosse d’or en 2022, déjà en compétition la même année avec Showing up, imagine ici un braquage dans le monde de l’art alors que l’Amérique se déchire sur la guerre du Vietnam et que les femmes s’unissent dans un mouvement de libération.
Changement de genres
Dans Vanity Fair, l’acteur raconte là encore le soin qu’il apporte à la préparation de ses rôles : « J’ai reçu un mail de Kelly légèrement paniquée qui me demandait :« Au fait, on fait comment pour les scènes où tu fais de la menuiserie ? » Je l’avais un peu pris par-dessus la jambe, en me disant que ce serait simple. Pour le film History of Sound, j’ai dû apprendre un peu de piano, ce qui m’a beaucoup plu, et j’ai même dû chanter avec Paul Mescal, qui est un très bon chanteur. J’ai dû essayer de me mettre à son niveau.«

Après ces deux passages cannois, l’acteur continuera son ascension avec le troisième opus d’À couteaux tirés, autour des enquêtes du détective Benoît Blanc, nouvelle franchise autour de Daniel Craig (pour Netflix). Wake Up Dead Man de Rian Johnson réunit autour de Craig et O’Connor (en prêtre), Glenn Close, Josh Brolin, Mila Kunis, Jeremy Renner, Kerry Washington et Andrew Scott. Rien que ça.
Et depuis cet hiver, il tourne avec Steven Spielberg. Le réalisateur l’a enrôlé pour être le partenaire principal d’Emily Blunt (le cast comprend aussi Colin Firth et Colman Domingo) de ce film de science-fiction prévu en salles en juin 2026. Mais pas de quoi se laisser fasciner par la ville des anges. « Pour moi, Hollywood, c’est irréel, et même quand je suis à L.A., je ne suis pas dans mon élément. Tout me paraît irréel. J’ai grandi au théâtre, et le théâtre restera mon premier amour. » Même si on l’attend toujours pour son retour sur les planches…

Au programme de ces prochains mois, il devrait ensuite retrouver Luca Guadagnino dans Camere separate, une romance étalée dans le temps et à travers l’Europe, où il s’amourachera de Léa Seydoux.
Des ronds dans l’eau
Discret, Josh O’Connor trace son chemin, sans trop faillir. Il s’active dans de nombreuses contributions caritatives (santé mentale, malades hospitalisés, enfants victimes de conflits, especès sauvages menacées). Il se décrit libéral mais clairement de gauche, républicain mais admiratif d’Elisabeth II. Il est retourné dans la contrée de sa jeunesse, loin du bruit et de la fureur londonienne. Il peut y dessiner, lire (il aime Paul Auster et le Candide de Voltaire), écouter de la musique (il apprécie Max Richter), broder, faire de la céramique (art qu’il a hérité de sa grand-mère Romola Jane Farquharson).
Seule la terre et les pieds bien ancrés dans le sol : « J’aime créer, mais j’aime aussi être dans mon jardin, m’occuper des plantes et les regarder vivre et mourir. J’espère que ce contraste m’aidera à garder les pieds sur terre » explique-t-il dans The Guardian. Naturaliste – il est fan du livre Waterlogged de Roger Deakin – ce piètre nageur aime être dans l’eau : « Dans ce livre, une des choses que je préfère, ce sont les descriptions des moments où il fait la planche et il se laisse porter par le courant. Il observe les arbres et voit leur structure comme des veines, il est à l’écoute de tous les bruits autour de lui – voilà, ça, c’est le genre de nage que j’aime. » À l’écoute du monde, plutôt que d’en faire l’écho des bruits environnants.
