
C’est l’invité d’honneur du Festival CinéLatino de Toulouse, qui pour l’occasion programme une rétrospective de ses longs-métrages. Soit 11 films de fiction et documentaires.
Le Focus Karim Aïnouz organisé avec cette rétrospective va mettre en évidence la curiosité d’un cinéaste qui aime aller au delà des frontières tant géographiques qu’identitaires (avec plusieurs personnages queer peuplant ses récits).

Karim Aïnouz est né au Brésil d’une mère brésilienne et d’un père algérien qui se sont eux rencontrés et aimés aux Etats-Unis avant de se séparer. Il grandit au Brésil mais étudie aux Etats-Unis. Après ses 18 ans, il fait plusieurs voyages en France pour y voir son père, ce qui explique qu’il parle français. Cependant, il habite longtemps en Allemagne, à Berlin. Il ne va découvrir l’Algérie paternelle qu’après ses 50 ans (voyage qu’il raconte dans le très touchant Marin des montagnes en 2021).
Après de beaux succès brésiliens (Madame Sata, sélectionné à Cannes, Praia do futuro, sélectionné à Berlin, et La vie invisible d’Euridice Gusmao, sélectionné à Cannes), et au total 25 courts et longés métrages réalisés (en plus de séries et de scénarios pour d’autres comme Walter Salles), il devient un fidèle de la Croisette. D’abord avec son premier film en langue anglaise (Le jeu de la reine, Jude Law et Alicia Vikander), puis avec Motel destino l’an dernier. On murmure que son prochain film pourrait aussi atterrir à Cannes puisqu’il finalise la post-production Rosebush Pruning (avec Elle Fanning, Riley Keough, Jamie Bell, Elena Anaya et Pamela Anderson).
Soit autant de films audacieux, rarement similaires, où ses personnages sont en quête d’une rencontre ou en lutte pour leur liberté.
Une rencontre avec Karim Aïnouz durant Cinélatino animée par La Cinémathèque de Toulouse a réuni les festivaliers pour l’écouter revenir sur son parcours.
Les débuts…
« Les métiers du cinéma, c’était quelque chose d’assez lointain pour moi. J’avais des envies de choses visuelles mais pas narratives. J’ai touché un peu à la peinture mais sans talent. A l’époque à New York, il y avait une tendance pour développer un cinéma expérimental, sans narration logique. J’ai fait quelques petits jobs d’assistant sur divers tournages, mais un de mes premiers jobs vraiment formateur a été de faire le son sur un court-métrage. La construction sonore dans le montage d’un film m’a beaucoup intéressé. L’architecture m’a aussi appris une certaine discipline; avec des étapes à suivre comme projet/dessin/élaboration/mise en oeuvre… C’est une discipline qui se rapproche un peu de la fabrication d’un film. »
Le travail en collaboration …
« Marcelo Gomes et moi, on s’est rencontré à une période de préparation de nos premiers long-métrage, on lisait les scénarios des projets de l’un de l’autre. Marcelo Gomes m’a aidé sur mes films, je l’ai aidé sur ses films. L’auteur qui est auteur tout seul c’est quelque chose de très français. Walter Salles m’a aussi aidé à la production de plusieurs de mes films comme Madame Satã (2002) et Le Ciel de Suely (2006), et j’ai participé au scénario pour son film Avril brisé. J’ai fait quatre films avec la chef-opératrice française Hélène Louvart : La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (2019), Le jeu de la Reine (2023), Motel destino (2024) et Rosebush Pruning le dernier en cours de post-production. On a eu des discussions à propos des cadrages, comment filmer les acteurs dans l’espace des décors ou cadrer les acteurs en suivant leurs mouvements. La symétrie des lignes ça peut être ennyueux. Notre collaboration a évolué en se concentrant sur les mouvements des acteurs plutôt que des cadrages induits par les décors.»
La forme fiction ou documentaire…
« La distinction entre fiction et documentaire c’est trop binaire. Mon premier film Madame Satã a commencé un peu comme un projet de documentaire à propos de João Francisco, ce vrai personnage qui d’ailleurs racontait lui-même ses histoires. La fiction s’est imposée naturellement. Etant jeune je trouvais que la fiction c’était surtout le territoire de la télévision et que la réalité ou une forme de réalité c’est le territoire du cinéma. J’ai longtemps été contre le rajout de musique dans le montage d’un film de cinéma. Une bande musicale dans un film c’est quelque chose d »établi dans le cinéma européen et américain, mais moins au Brésil. Mais en fait la vérité c’est aussi dans l’artifice. Je vais inventer du réalisme, alors je vais accepter l’ajout de musique. »
Carnet de voyages…
« Dans le documentaire Marin des montagnes, je cherchais en quelque sorte l’Algérien que je ne suis pas. C’est devenu mon film le plus libre sur la forme. À la base, il s’agit d’un film d’abord personnel, avant d’être un film pour un public. L’autre film documentaire de l’Algérie Narjes A. a été tourné en quasiment 24 heures (les manifestations du 8 mars 2019 contre un 5ème mandat du président Bouteflika), c’est en fait moins un documentaire et davantage une forme de reportage. Il se passait un mouvement de rebellion en Algérie contre le pouvoir, un genre de mouvement auquel j’aurais souhaité prendre part au Brésil quand le pays est redevenu otage d’une forme de fascisme (l’investiture du président Bolsonaro). Pour ce projet special de voyage Viajo porque, volto porque ti amo co-réalisé ensemble avec Marcelo Gomes, on a inventé une histoire de fiction rajoutée en voix-off sur les images après le tournage, mais les images n’avaient pas été filmées dans ce but. Ce film a été écrit après le tournage de ces images. Écrire une histoire fictionelle après un tournage, c’est aussi quelque chose qu’avait déjà pu faire par exemple d’autre cinéastes comme Chris Marker ou Chantal Akerman. La narration interroge sur ce qu’il va se passer après, et ce qu’il va se passer après, et ce qu’il va encore se passer après…»
