Cannes 2025 | Mission : Impossible – The Final Reckoning : Tom Cruise joue les messies

Cannes 2025 | Mission : Impossible – The Final Reckoning : Tom Cruise joue les messies

Ethan Hunt a la clé qui donne accès à l’Entité. Mais il lui faut trouver le lieu où le code source est abrité : un sous-marin nucléaire russe disparu il y a treize ans. Son plan est simple mais le timing est serré. L’Entité prend progressivement le contrôle de tous les arsenaux nuclaires dans le monde. Il ne reste que quatre jours pour éviter une apocalypse…

Plus haut (et plus profond), plus fort, plus long. Mission : Impossible – The Final Reckoning (et en effet, le film tire le bilan de trente années d’aventures d’Ethan Hunt) ne lésine pas sur les moyens pour créer de la sensation, du spectacle, de l’épate.

Mais, au final, cet opus est-il rassasiant ? Pas sûr. D’autant que la promesse du titre est trompeuse.

D’abord, parce que les ingrédients de base de la série manquent cruellement à cet épisode. Les masques? une brève scène au début du film, vite expédiée et sans intérêt réel. La mission impossible que seule une équipe complémentaire peut réussir? Plutôt une partition entre Ethan Hunt, souvent en solo, et le reste des troupes, en coulisses, souvent pour sauver ses miches. La corruption ou la trahison venue de l’intérieur? La piste est à peine esquissée, vite abandonnée.

Ensuite, parce que le scénario, limpide malgré son apparente complexité technique, n’a pas grand chose de surprenant. Comme ce grand final, qui n’est finalement qu’un copié collé de Mission : Impossible 6 dans sa construction: trois menaces, trois équipes, trois actions simultanées (et là aussi on reprend l’idée d’une poursuite aérienne comme celle du compte-à-rebours pour des bombes nucléaires). Il s’agit de rattraper le méchant afin de récupérer un gadget fatal pour que la team arrière puisse couper le bon fil rouge.

Le professionnel

Enfin, parce que Christopher McQuarrie n’a pas fait dans la dentelle. La musique surdramatisante est envahissante (prévoyez les bouchons d’oreille). En manque d’inspiration, il cadre plusieurs fois sur la clé usb (un virus chargé d’empoisonner l’Entité numérique) qui pend au cou de Gabriel (réduit à n’être que l’incarnation humaine et stéréotypée du côté obscur de la force… pardon de l’Entité). Au moins lui assure-t-il une fin digne d’un blockbuster (drôle, furtive, efficace). Si le hors-champs est parfois une excellente idée (comme la scène de boucherie qu’on imagine à travers le regard de Hayley Atwell / Grace), l’ellipse est souvent moins pertinente. Ainsi, après la très longue séquence au fond de la mer de Béring (trop brouillonne au point de ne pas capter les notions d’espace et de temps dans ce huis-clos dans les abysses), le sauvetage (poétique à prime abord) est évacué dans moins de deux minutes. Le réalisateur n’a pas cherché la subtilité : le film doit avancer coûte que coûte au point de se faire dicter le montage et la plausibilité par l’action.

Trois actions à filmer alors que le monde va « collapser » dans 27 minutes (ça dure bien le double sur l’écran). 27 minutes pour sauver un membre de la troupe, blessé, kidnapper l’Entité, désamorcer une bombe nucléaire (et courir en moins de 30 secondes jusque’à la safe zone, mais ça on ne le voit pas), et survivre à de vertigineux loopings dans le ciel sud-africain (en plus d’éliminer les méchants).

On l’aura compris. Le blockbuster est efficace, Tom Cruise assure (même en boxer, en combattant à mains nues), et même si demain peut mourir, l’humain l’emporte. Mais de tous les épisodes, ce huitième est de loin le plus invraisemblable. Ethan Hunt en perd même une partie de son identité. Certains voient en lui l’Elu (coucou Matrix) quand l’histoire en fait un cousin de James Bond (décor final inclus : une antre au fin fond des mines de l’Afrique australe). Il pique ici et là des trucs et astuces à Jason Bourne ou Belmondo. Il serait temps que Cruise, sexagénaire, prenne sa retraite, même si on ne peut être qu’impressionnés par ses cascades et ses prises de risques.

L’As des As

Casse-cou, jouant sur d’infimes probabilités et sa chance, voulant toujours sauver la veuve, l’orphelin et ses amis, le personnage d’Ethan Hunt est un homme qui croit en son destin et le provoque aisément.

Mais, hormis de longs poncifs et des phrases énoncées comme des citations ChatGPT sur le déterminisme et la fatalité (au choix), qui alourdissent largement le récit, il n’apporte plus grand chose à la saga. Depuis le décès d’Ilsa Faust (Rebecca Ferguson) et l’émancipation de Julia (Michelle Monaghan), Ethan Hunt reste bloqué dans son statut de sauveur du monde que l’on doit suivre aveuglément (jusqu’au point, insupportable, où Grace est prête à lui laisser les clés pour dominer le monde par un amour inconditionnel mais pas forcément réciproque). Et ici, plus de Julia, de Ilsa ou de Veuve blanche pour rétrécir le gros melon qu’il prend.

« C’est écrit. Vous êtes l’élu. »

Alors, oui, ne prenons pas tout cela trop au sérieux. Et laissons le plaisir l’emporter sur le cinéma. Pourtant, il y a quelque chose de malaisant à voir cette propagande américaine à l’ancienne prendre le dessus dans ce Final Reckoning. L’avenir du monde dépend une fois de plus d’une présidente US (Angela Bassett, toujours aussi royale) et d’un électron libre de même nationalité, comme si, dans ce cas précis d’apocalypse globale, les autres nations n’avaient pas d’autres choix que d’attendre la décision de l’une et la réussite de la mission de l’autre.

Là encore, c’est un virage que prend la série, et pas le plus favorable. Mais, sans doute, celui qui est le plus dans l’air du temps (trumpiste et impérialiste). « Le monde change, la vérité disparait, la guerre est proche ». Le scénario n’a jamais autant collé à son époque (Fake news, fanatiques polarisés, révoltes populaires), là où les autres films de la série se voulaient moins « temporels ».

Le marginal

Avant tout, ce qu’ont voulu Cruise et McQuarrie c’est bien de boucler la boucle, avec un film qui laissera porte ouverte sur un avenir incertain. Un avenir qu’il ne faut pas insulter, une finalité qu’il ne doit pas être définitive. Mourir peut attendre, comme dirait l’autre, le britannique avec ses martinis, tout aussi patriote et persuadé lui aussi que seuls les Anglos peuvent sauver la planète. Pour conclure ce cycle de missions impossibles, débuté par un échec à Prague, les deux producteurs ont choisi de nous faire un best-of rapide et thématique (Tom à moto, Tom et ses tours de magie, les femmes de Tom, Tom et ses exploits, Tom et ses sauts, etc.) pour nous faire comprendre qu’Ethan Hunt a sacrifié sa vie et a toujours été loyal au nom des intérêts supérieurs de son commanditaire. Mais il s’agit, également, de relier tous les épisodes entre eux pour parvenir à ce huitième film et justifier son mantra : notre destinée est la somme de tous nos choix.

Logiquement, les clins d’oeil aux épisodes précédents sont nombreux, et réjouissants. Même si on peut déplorer que le deuxième film, celui de John Woo, ne trouve aucun écho dans le récit global « huntien », ceux de De Palma (avec le 22 mai 1996, date de sa sortie en salles, comme message crypté, le retour d’un second-rôle bien trouvé mais aussi la révélation d’une filiation inattendue) comme d’Abrams (avec le come-back de « la patte-de-lapin », objet non identifié qui servait d’enjeu et de monnaie d’échange dans M:I III). « Tout ce que vous êtes, tout ce que vous avez fait, a conduit à ça. »

L’incorrigible

C’est évidemment dans ce pillage de ressources passées que The Final Reckoning trouve une partie de sa personnalité cinématographique et en fait un épisode singulier, plus réussi que sa première partie (The Dead Reckoning). Tout est une histoire de code source et l’objectif est bien de « rebooter » la machine. Ce piratage du passé conduit à une version alternative de la franchise, avec une nouvelle équipe et possiblement, car rien n’est impossible, un retour reformaté.

Maintenant que le Jugement dernier a été évité, que les cavaliers de l’Apocalypse se sont évaporés et que l’Entité est en 5D, il serait temps de s’éclipser. Car on voit bien qu’il est difficile de se renouveler Ethan, et même d’évoluer. Les cascades ne suffisent pas. Même si on est happé par ta mise en danger dans une sorte de 20 000 lieues sous les mers ou ton sens du défi « trompe-la-mort » dans un ballet digne des merveilleux fous volants.

Certes, c’est suffocant et vertigineux. On se rassure quand on voit que tout le monde a de bons réflexes. Mais on s’inquiète aussi pour tes points retraites (sans compter que ton visage s’empate chéri). Ce rendez-vous à Trafalgar Square (sais-tu ce qui est arrivé à l’amiral Nelson) n’est pas anodin. Toujours aussi malin – «  Ce petit con a réussi » -, tu choisis de ne pas choisir. Le mot de la fin ressemble davantage à ce qu’aurait du être le titre du film : « Rien n’est écrit ».

Mission : Impossible - The Final Reckoning
Cannes 2025. Hors-compétition.
En salles le 21 mai 2025
Durée : 2h49
Réalisation : Christopher McQuarrie
Scénario : Erik Jendresen, Christopher McQuarrie
Image : Fraser Taggart
Distribution : Paramount Pictures France
Avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Ving Rhames, Simon Pegg, Esai Morales,
Pom Klementieff, Greg Tarzan Davis, Angela Bassett, Henry Czerny, Janet McTeer, Rolf Saxon...