Tom Cruise, du jeune outsider au dernier héros de blockbuster

Tom Cruise, du jeune outsider au dernier héros de blockbuster

C’est au fin fond des années 80 que le jeune Tom Cruise a fait ses premiers pas au cinéma. Dans Outsiders, il se mélange à une jeune génération qui comprend Ralph Macchio, Rob Lowe, C. Thomas Howell, Matt Dillon, Patrick Swayze, Emilio Estevez… Leurs destins cinématographiques seront aléatoires.

L’itinéraire de Cruise, c’est un mélange de chance, de risques, de charme et de marketing. A cette époque, Cruise n’a pas le choix et prend ce qui passe. Il était chef de travaux, issu d’une famille bohème, sans père fixe. Son premier rôle est minuscule : Zeffirelli l’engage pour Endless Love. Une journée de plateau. Ce sera Harold Becker qui lui donnera sa première vraie chance. Une audition de deux minutes et sa carrière démarre dans le rôle d’un soldat (au total il incarnera huit militaires dans sa carrière). Pas forcément le plus beau gosse, il était aussi le moins connu de tout le casting « jeunes mecs » de Taps, aux cotés de Timothy Hutton et Sean Penn.

Il enchaîne avec un film de Curtis Hanson (Losin’it aka American teenagers). Toujours un film de bande. Pour lui, à ses débuts, le cinéma était un peu un grand huit: un bon tournage, un mauvais film… Cruise est déterminé et il commence à discerner ce qu’il veut faire. L’argent qu’il gagne paye ses dettes. Et lui procure une sensation qu’il ne connaissait pas: vivre bien. Comme un enfant, il a besoin d’expérimenter les choses avant de les comprendre. Il refuse un film d’horreur et ne cherche que les bons projets dans un cinéma américain qui se cherche après les novatrices années 1970.

On revient alors aux Outsiders. Il entend alors parler d’une audition pour le prochain Coppola, le géant oscarisé et double palmé de Conversation, Apocalypse Now et du Parrain. Cruise aime jouer un rebelle un peu chien fou. Il est déjà concentré, intense, et capable d’aller dans l’excès de son personnage. Plutôt que d’accepter des premiers rôles dans des mauvais films, il continue à vouloir se frotter au groupe, avec de bons cinéastes. L’expérience, comme une troupe de théâtre, a été concluante. il gagne en confiance. Outsiders sera un film culte (et sous-estimé). Pendant le tournage, il passe l’audition pour un autre film, Risky Business. Une comédie ado où il a le premier rôle…

Rock en slip

C’est donc à 21 ans, en 1983, que la carrière de Tom Cruise prend son premier envol. Pourtant, au départ, le metteur en scène et scénariste du film, Paul Brickman (dont c’est le premier et avant-dernier long métrage), ne voulait pas de lui. Il passe quand même l’audition prouvant qu’il n’avait rien à voir avec son personnage de psychopathe de Taps. C’est le bingo: la comédie Risky Business emporte un joli succès, Cruise se voit nommé aux Golden Globes, et surtout il y laisse une scène mémorable. Sol ciré, bougeoir comme micro, rythme rock ‘n roll, chaussettes de tennis… Tom Cruise danse en slip et chemise dans son salon. De quoi affoler le jeune public puritain américain, qui, à cette époque, s’amourache de teen-comedies (celles de John Hugues, notamment, à commencer par La folle journée de Ferris Bueller dans la même lignée).


Cruise est lancé, avec une comédie populaire. Comme lui qui découvrait le cinéma et le show-biz, son personnage apprenait à grandir, à vivre dans un monde d’adultes… La jeune génération des années 1980 émerge à peine. L’heure est aux blockbusters d’action, au cinéma d’auteur. Les vingtenaires ont peu leur place en tête d’affiche à Hollywood. Il sort la même année L’esprit d’équipe, de Michael Chapman. Le voilà joueur de foot américain. All the right moves (son titre original) correspond très bien à son caractère: un battant, un sportif, qui se sort de son milieu grâce au foot.Le film est déjà oublié.

L’acteur mettra du temps à enchaîner avec un autre projet. Ce sera Legend, de Ridley Scott, cinéaste hype depuis le carton d’Alien. Tom Cruise incarne parfaitement le jeune prince romantique et immature du projet fantasy. Un chevalier servant dans un conte de fée baroque. Sur le papier, il s’agissait d’un film ambitieux, attendu. Quand il sort en avril 1986, le flop est intégral. Il acquiert au fil des ans une solide fanbase.

C’est finalement avec le frère de Scott, Tony, que Cruise s’enverra en l’air, très haut, un mois plus tard…

Pour qu’une carrière réussise son looping, ou son décollage, ou même son atterrissage, il faut une suite de films populaires, acclamés, de rôles drôles ou larmoyants, de prix et de dollars ; il faut un film qui révèle, un film qui installe, un autre qui impose le respect, et finalement un autre qui fasse l’unanimité. Tom Cruise aura eu toutes ces chances. C’est ce qui explique qu’il a eu le temps de s’améliorer, de conserver son statut, de plaire au public et de faire taire les critiques. Cela s’est fait sur près de vingt ans. Combien d’acteurs ou d’actrices américains ont traversé plus de cinq décennies au top ?

Décolllage immédiat

Au milieu des années 1980, Cruise n’est pas encore une star. Il signe pour deux films, radicalement différents. Le premier en fait un héros ténébreux et vaillant, pilote de chasse dans une bluette esthétique (et pleine de hits, rocks et slows). Le second est une suite d’un film mythique, réalisé par un grand cinéaste, aux côtés d’un immense acteur. Dans l’un il croit avoir les épaules assez larges pour porter le film. Dans l’autre, il ne fait que prendre le relais d’une légende.

Top Gun, carton d’un été signé Tony Scott, réunit des mecs en « mâle » de sensations fortes et exhibant leurs gros zincs, dans un contexte de propagande sur la surpuissance américaine. Ici les couples cherchant un prétexte-fantasme stratosphérique (la moto? l’avion?) pour s’embrasser au ciné et relancer les ventes de Ray-ban. Cela fera de l’acteur une « teen-idole », étoile fulgurente du moment, vedette des posters sur les murs d’ados durant un été. Dans cette pub homo-érotique, ce combat de coqs échaudés où le muscle remplace la cervelle, où les bombers redeviennent à la mode, Cruise fournit sur commande lunettes noires et sourire carnassier (encore) pour sa clientèle. Ca ne vole pas haut, paradoxalement. Mais c’est un immense carton (180M$ à l’époque aux USA), et toujours l’un de ses plus gros succès. De quoi légitimer une suite, Top Gun : Maverick, 35 ans plus tard, qui fait son lancement au 75e Festival de Cannes (et qui vaut à l’acteur une Palme d’or d’honneur). Entre temps, l’outsider est devenu héros de blockbuster.

Mais c’est ce grand écart entre un double-Scott et un Martin Scorsese, qui va singulariser Tom Cruise et lui permettre de conquérir le monde. La couleur de l’argent lui offre le premier de ses rôles d’apprenti, soit le successeur de Paul Newman, et ce, avant la kyrielle de films où il ne sera que le complice d’une star-légendaire. C’est Newman qui recevra l’Oscar. D’une part, il était temps. D’autre part, il écrase littéralement son jeune partenaire, dont l’image et la plastique le piègent dans un rôle de faire-valoir. Mais, avant tout, cela lui amène la respectabilité et l’intérêt des critiques cinéphiles. On lui reconnaît une efficacité dans le jeu et un choix audacieux alors qu’il pourrait jouer la facilité avec des grosses productions formatées. Cependant, dans le film, il continue d’être le frimeur insolent de Outsiders, Risky Business et Top Gun. Il aime faire son show. Etre au centre de l’attention, avoir le désir de voler une scène. Or Paul Newman lui fait de l’ombre sans effort, et pire, le laisse dans le coin du billard.

On sous évalue les choix de Tom Cruise. En regardant sa filmographie, on pourrait penser qu’il fut associé aux meilleurs projets, que son itinéraire fut pavé d’or. Ce n’est pas si simple. Qu’on l’aime ou pas, il y a eu un mélange d’instinct et de calcul, des envies sincères, pas toujours couronnées de succès, et des décisions de carrière pour séduire un large public. C’est le seul acteur de sa trempe à avoir tourné pour Coppola, Spielberg, Scorsese, Scott, De Palma et Kubrick. Le seul également à avoir une franchise ultra-profitable sur son seul nom. Le seul enfin qui n’a jamais dévié du cinéma… pas même pour un film de plateforme.

Cet acteur « sans famille » a surtout pris sa carrière au sérieux, dès le départ. Il a beau défendre Cocktail, en soulignant qu’il a une fin morale mais pas matérialiste, le film, creux, se plante, comparé aux standards « cruisiens ». Cocktail lui vaut ses premières critiques violentes. Son côté gentil (il dit du bien de tout le monde) énerve. Sa face « propre sur lui » (toujours le good guy) l’expose aux critiques, qui préfèreront toujours les personnalités plus atypiques. Il se voit en produit. Mais comprend qu’il doit encore gravir des échelons. Il accepte un projet s’il sent que le studio ne perdra pas de fric. Ce qui ne l’empêche pas d’accepter des « petits » films ou des projets plus ambitieux.

A l’ombre des géants

Or, Cocktail l’enferme dans un créneau « public jeune-scénario insipide ». Il a conscience de son pouvoir, c’est à dire faire aboutir des projets auxquels il tient mais ne veut pas se contenter des rôles qui ont fait son succès (la comédie, l’action). S’il ne se sent pas responsable du box office d’un film, il est prêt, à cette époque, à diminuer ses prétentions salariales, à mettre sa cote dans la balance. C’est ce qu’il fait pour Rainman, de Barry Levinson.

Le film est infaisable: Dustin Hoffman n’a tourné qu’Ishtar (un des pires fours de l’industrie du cinéma) depuis Tootsie (énorme triomphe public), le script est anti hollywoodien (un road-movie avec un autiste), les deux comédiens ont des méthodes opposées pour composer leur personnage. Pourtant, de facto, ils ont bien travaillé pour rendre cette histoire crédible et intense. Le film va battre tous les records cette année là dans le monde. Et pour continuer dans la série « le vieux l’a, pas le jeune« , le film recevra plusieurs Oscars, dont un deuxième pour Dustin Hoffman, laissant Cruise sur le bord de la route. Là encore, Tom Cruise était un registre en dessous, surjouant ses scènes face à un Dustin discrètement précis et génial. Le syndrome du gosse qui veut tuer le père et qui se fait bouffer par lui. Il suit une star et cherche sa place, parmi les légendes du ciné US. Quand il arrivera à leur niveau, Tom Cruise aura retenu la leçon : il ne laissera jamais la place à un jeune acteur montant, préférant savourer le triomphe en solitaire.

Il se médiatise (mariage, défense de la forêt amazonienne). Mais il lui manque un film qui l’impose comme un grand comédien. Un rôle de maturité… qui le fasse rentrer dans la cour des grands. D’autant que, de tous ceux de sa génération, il est de loin le seul qui parvient à se faire un nom. Et parmi les futurs gros talents d’Hollywood, Tom Hanks, Kevin Costner, Nicolas Cage ou Bruce Willis commencent tout juste à émerger au box office.

C’est avec la fin de la décennie Reagan, que Cruise se métamorphosera, suivant l’exemple de ses aînés : il cherche un projet qui lui ôte ses habits de beaux gosses. Né un 4 juillet (lui est né le 3 juillet 1962, en pleine guerre du Vietnam) est le film qui le crédibilisera, quitte à décevoir ses fans, au point d’accepter de baisser une fois de plus son cachet pour pouvoir travailler avec l’un des metteurs en scène les plus brillants du moment, Oliver Stone. Le pari est risqué. Le film ne dispose que de 16 millions de $ de budget, le scénario fait peur aux studios, et il sera difficile de « marketer » un film avec un Tom Cruise barbu, impuissant et en chaise roulante. Un script qu’il ressentait jusque dans « ses couilles« . On adapte le vocabulaire…

Si Rainman reste le film-chouchou de son public, Né un 4 juillet sera celui dont il est le plus fier: il devenait autre chose qu’un Big Jim aux épaules pas si carrées. Là encore, dans cette bio de Ron Kovic, héros du Vietnam se battant pour une reconnaissance afin de ne pas sombrer dans une folie annoncée, il y a des éléments proches de la personnalité de Cruise. Kovic se bat contre l’esprit de compétition, tout en devenant un leader. Dans Top Gun – un film trop reganien qu’il reniera lors de la promo du film d’Oliver Stone – il incite se rêve super-héros cool pour défendre sa patrie. Dans le Stone, il se révolte contre la guerre au nom de la nation.

Outre le changement radical dans son jeu comme dans son style de film, Cruise trouvera là sa plus belle reconnaissance critique, et sa première nomination aux Oscars. Mais le film n’est pas aussi abouti que le chef d’œuvre d’Oliver Stone, Platoon. Il manque toujours une masterpiece à la filmo naissante de Cruise. Au moins il acquiert une forme de reconnaissance dans une époque où Hollywood croit encore aux grands films d’auteurs et au star-system.

Days of Troubles

As de la promo, champion du box office (le Stone récolte quand même 70M$ aux USA), Tom Cruise sent sa chance et fait confiance à sa bonne étoile. Il a eu le mérite de refuser une série de suites à Top Gun (à l’époque) pour accepter un film aussi politique et peu hollywoodien. L’acteur y perd son innocence. Comme Kovic. Il est au milieu de son rêve. Cependant, l’année suivante, tout basculera… pour le pire et pour le meilleur.

En terme de Box Office, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, Tom Cruise est face à une pléiade de vedettes : Eddie Murphy, Arnold Schwarzenegger, Steve Guttenberg, Mel Gibson, Tom Hanks ou encore Michael Douglas. Depuis Rainman (1988) et jusqu’à Des Hommes d’Honneur (A Few Good Men, 1992), il n’y aura pas de véritables hits à son palmarès. Cette période de doute, il la vit en plein tumulte. Lui qui a voulu être prêtre quand il était adolescent voit ses péchés s’étaler dans la presse. Divorce (Mimi Rogers), mariage (Nicole Kidman, de 1990 à 2001). Il commence à intéresser la presse sensationnelle. Les potins fleurissent (homosexualité), les rumeurs circulent (stérilité), les débats s’amplifient (scientologie). « Parce que j’ai grandit dans tellement d’endroits, j’ai eu l’habitude des rumeurs sur mo. Je n’avais jamais les bonne schaussures. Je n’avais jamais les bons vêtements. Je n’avais même pas le bon accent! » rappelait l’acteur. Il n’empêche : son image se trouble.

Il écrit l’histoire de Days of Thunder, sorte de Top Gun en voitures, avec d’ailleurs la même équipe que le gros navet avec les gros « navions ». Sans être un flop, le film n’a aucun intérêt, même s’il le conduit vers la voie des films d’action à tension romantique. C’est Paul Newman qui lui a donné goût aux courses de voitures, style Daytona Beach. Arrogance suprême des gens qui ont le pouvoir, mais plus forcément d’ambitions, l’acteur monte le projet autour de son nom. Et fonce dans le mur. C’est sur ce tournage qu’il rencontre la jeune australienne, la roussissime Nicole Kidman. L’acteur ne vit que pour son métier et se trouve des affinités avec ses personnages casse-cou, extrêmes, un peu naïfs, tantôt disciples tantôt combatifs. Un choix malgré tout malheureux quand on sait que Scorsese le voulait pour jouer l’un de ses Affranchis et Coppola pour Le Parrain 3 à la même époque.

Il signe ensuite pour un film à grand spectacle, western romanesque dans la lignée des épopées dramatiques de David Lean, où il joue le « valet » amouraché de sa patronne, son « Boy », incarnée par sa désormais épouse, Nicole Kidman. Horizons Lointains (1992) est réalisé par Ron Howard, cinéaste de personnages, de visages. Cruise adopte l’accent irlandais et n’hésite pas à se dénuder pour allumer le spectateur et la spectatrice. Le film clôt le Festival de Cannes, où il monte les marches pour la première fois. La star est ovationnée. Le film, moins. La fresque ne marque pas et est un four financier. Il tombe de son cheval.

Quinte flush

La même année, il joue un avocat militaire, dans l’adaptation d’une pièce de théâtre. A Few Good men (Des hommes d’honneur) le remet en selle. Gros succès, quelques nominations aux Oscars, des louanges pour Jack Nicholson, monstre devenu sacré, des médias focalisés sur Demi Moore, star du moment. Tom Cruise est trop appliqué et trop efficace pour réellement convaincre avec son jeu trop « Actor’s studio ». Même s’il s’en défend : « Je ne suis pas le genre d’acteur de la méthode Stanilasvsky. Je veux juste communiquer avec les autres durant une scène« . Et pourtant, quand il saisit une pomme lors d’un dialogue, c’est bien un truc d’acteur pour donner du relief à un échange, et ça ne suffit pas à donner de la consistance à la scène. Mais il sauve l’honneur, et, honnêtement, réussit à incarner son justicier de tribunal.

Fort de cette ligne supplémentaire sur son CV, il se fait embaucher par un autre cabinet d’avocat: The Firm. Devant la caméra de Sydney Pollack, un nouveau grand nom dans sa filmographie, face à un Gene Hackman exceptionnel et là encore bien plus expérimenté pour impressionnier chacun de ses séquences avec un personnage ignoblement cynique, Cruise continue de jouer les candides idéalistes avec un certain brio. Et un nouveau carton au B.O.

La spirale triomphale peut commencer. Un recyclage admirable, où il choisit d’oublier son image de John Wayne patriotico-américain pour préférer celle d’un Jimmy Stewart pionnier-rêveur. Schizo, Cruise? Possiblement. Carriériste, assurément. « J’ai pris toutes les décisions par moi-même, que ce soit dans ma carrière ou dans ma vie personnelle » affirme-t-il régulièrement. « Pour le cinéma, il faut savoir que je donne tout. C’est pourquoi je travaille si dur. J’ai toujours dit aux jeunes acteurs d’accepter cette responsabilité. Ce n’est pas si difficile.« 

Ces années là, il créé sa société de production, avec Paula Wagner. Il cumule des années à deux projets: le blockbuster estival, le film à Oscars pour les fêtes. L’un où il joue de son allure WASP, costume sombre bien coupé, frange bien laquée et moralement irréprochable. L’autre où il s’amuse à paraître sulfureux, comédien, nuancé, mais rarement vilain (il faudra attendre Magnolia et surtout Collateral).

S’il clame qu’il a conscience de pouvoir tout perdre, que seules les rencontres humaines comptent, que son art est son unique motivation, qu’il apprend tous les jours grâce aux plus grands, Cruise n’est pas un ange. Il contrôle tout, jusqu’à imposer son seul nom (en grande taille) au dessus du titre du film.


Dans La Firme, adapté d’un best-seller de John Grisham, thriller juridico-manichéen, il incarne un avocat aux dents longues qui se repent de ses erreurs. L’Associé du Diable. Hors-champs, l’acteur exige que son nom soit exclusif en haut de l’affiche, en grande taille, au dessus du titre. Out Gene Hackman, qui par contrat a les mêmes prétentions : la star de French Connection n’est plus mentionnée dans les posters. Cruise s’entoure jusqu’à la surprotection, rejette les critiques, vire à la star mégalo. Nul ne peut plus l’atteindre sans affronter l’invincible armada qui lui sert de bouclier. De sa soeur à sa spécialiste en Relations publiques. Un monde de requins…

Ou des Vampires. Mais là c’est Cruise qui se fait sucer. Tom Cruise ne plaît pas aux fans du livre culte de la série d’Anne Rice. Sans doute injustement victime de son statut et de sa réputation. Mais le pire est ailleurs dans ce film: il se fait voler la vedette par Antonio Banderas, jeune étalon espagnol révélé par Pedro Almodovar et que les Américains découvrent, et surtout Brad Pitt, jeune chair fraîche que les médias essaient de placer en rival. La star n’obtient pas les résultats espérés avec son interprétation relativement grotesque, et Entretien avec un Vampire s’avère une production aseptisée. Cependant c’est le troisième film d’affilée qui dépasse les 100 millions de $ au BO. Valeur de plus en plus sûre, il va prendre son ultime risque, une mission dîte impossible, mais essentielle à son désir de contôle: producteur.

Et de 4. Et de 5. Cruise en haut de l’affiche de cinq blockbusters consécutifs. Seul Harrison Ford avait fait mieux à l’époque. Ces succès positionnent la star parmi les plus connues dans le niveau mondial. Professionnel jusqu’au bout, mais soucieux de son image, de plus en plus. Plaintes contre les tabloïds, interviews de plus en plus rares, perfectionniste (pour ne pas dire autre chose) sur le plateau de Mission: Impossible, son nouveau bébé. Sa franchise, qu’il va étirer durant près de 30 ans.

Producteur, acteur-star d’un des films de l’année (une série TV emblématique, une musique de générique iconique, un casting international chic, et un immense cinéaste avec Brian De Palma…), il impose sa vision (comprendre : son montage), et sait se mettre en valeur. Epaules affaissées, pas très action-hero, jouant de ses machoires, il débauche les francophones Emmanuelle Béart, Jean Réno, et Kristin Scott-Thomas ainsi que son ami de 20 ans, Emilio Estevez. Brian de Palma lui concote des scènes d’action sur mesure : explosion d’un aquarium, braquage d’une chambre forte (visuellement remarquable), course-poursuite d’un hélico et d’un train à grande vitesse… Au final, il fabrique un hit à 350 millions de $ de recettes. Cruise s’est trouvé son « Jack Ryan », son « Indiana Jones », son « James Bond », et par conséquent son assurance Box Office.

Mais s’il éblouit les spectateurs avec ses prouesses sous le Tunnel sous la Manche (à défaut de nous embraser lorsqu’il embrasse Béart), c’est avec son personnage de Jerry Maguire, qu’il va tenter d’obtenir une reconnaissance jamais vraiment acquise.

Jerry c’est un mec qui a tout, qui perd tout, qui reconquiert tout. Un loser sentimental et un battant sans morale. Un Américain typique, obsédé par le fric, mais qui, morale de l’histoire, est en quête de famille. Un mec qui ressemble à l’image qu’on a de l’acteur, qui affronte les médisants, et croit en sa foi. Il cherche un sens à sa vie, entre son portefeuille d’actions et ses bonnes actions. Il a le droit à l’erreur, ce qui le rend parfait, et dans la mythologie américaine, tout le monde a le droit à une deuxième chance. Cruise obtient ainsi son deuxième Golden Globe et sa deuxième nomination aux Oscars (mais c’est le second-rôle de Cuba Gooding Jr qui l’emporte). S’il séduit les spectateurs de tous âges aux USA, il indiffère les cinéphiles européens. Entre ses larmes pour Renée Zellweger (la vraie révélation du film) et ses hurlements par cellulaire, Cruise symbolise le yuppie version 90s, l’occidental tel qu’il doit être. Tel qu’on ne peut plus l’être. Les années Reagan ont fait place à l’ère Clinton et l’ordre du monde a changé.

L’amorce du grand virage

Il le comprend vite. Toujours en symbiose avec son temps, avec la pop culture du moment, il s’interrompt trois ans. Ce qui fait transpirer les chefs de studios. Aucun film avec Tom Cruise ne sort en 1997 et 1998. Il laisse la place à Bruce Willis, Ben Affleck, Will Smith (qui lui chipe Ennemi d’Etat), Jim Carrey, Ben Stiller et Tom Hanks. Il refuse La talentueux Monsieur Ripley (qui échoit à Matt Damon). Et quand la Warner choisit Keanu Reeves plutôt que lui pour Matrix, il déménage à Londres. Et il se tait. Ou plutôt il se mure dans un secret…

Il a commencé en bande. Il va poursuivre seul en haut de l’affiche. Tom Cruise vise le leadership, et transforme sa carrière en une suite d’événements.

Nous sommes en 1999. A peine 15 ans après Top Gun. Le parcours est déjà impressionnant même si l’acteur divise toujours les cinéphiles : il y a les fans admiratifs et ceux qui font la moue, et critiquent notamment sa personnalité et l’influence de la scientologie.

Stanley Kubrick est une légende. Suite à de nombreux projets avortés, il prépare son prochain film, neuf ans après Full Metal Jacket. Malgré son autarcie, et une forme d’autoritarisme, Kubrick est considéré comme un Maître. Le cinéaste Sydney Pollack (La Firme) lui donne le fax des Cruise-Kidman (et on croisera le réalisateur dans une scène d’anthologie du film). Kubrick voulait un duo d’acteurs, ultra-médiatiques, populaires, et hollywoodiens, pour une histoire de sexe, de fantasmes, de chair, et de peurs. Bref une envie de briser le tabou tout en mettant en image la mécanique psychanalytique qui régit les désirs et les frustrations. C’est Eyes Wide Shut.

Il pense donc instantanément au couple Tom Cruise – Nicole Kidman. Le duo ambitieux ne peut pas refuser cette offre d’un réalisateur aussi rare que prestigieux. Le destin leur donnera raison. Un sacrifice de deux ans. Deux ans de tournage, de prises faites et refaites, de casting qui change, de perfectionnisme, d’hystérie, et de mutisme. Le film sortira après le décès du réalisateur, sous la haute surveillance de Steven Spielberg (qui réalisera l’un des scénarios de Kubrick, A.I. Intelligence artificielle). Œuvre posthume et requiem d’un rêve érotique, secrètement gardée par le studio.

A nu, et en sous-vêtement, le couple tombe les masques. Filmé dans toute son intimité (au point d’en confondre la fiction et le réel), ils s’aiment, se déchirent, errent, s’interrogent et se réconcilient dans une allégorie de l’humain, individualiste et énigmatique. Pour ce film d’auteur, d’art comme peu de réalisateurs en font, ils en assurent seuls la campagne marketing. Mais l’échec du film en salles et la réception tiède de la critique empêchent le film de passer à la postérité. Si Cruise a réussi à cumuler en deux décennies le plus grands cinéastes, il lui manque encore le grand film qui couronne une carrière, celui qui fait consensus. Il tente une dernière fois de tutoyer les Oscars malgré tout. Si ce n’est pour son premier rôle de mari infidèle chez le vétéran Kubrick, ce sera peut-être un second-rôle de prêcheur sexuel chez le jeune talent Paul Thomas Anderson.

Le succès d’estime de Boogie Nights met la star en confiance pour l’une de ses dernières prises de risques. Avec Magnolia, Le cinéaste écrit une épopée urbaine, un puzzle relationel, une fresque dramatique où Tom Cruise accepte d’être noyé dans un casting, sans être la vedette principale. Son personnage apprend qui est son (salaud de) père juste avant la mort de celui-ci. L’acteur épate en nous offrant un show spectaculaire de « leader » de la semence et de la sexualité, le mâle alpha qui fait croire que les mecs en ont. Un viriliste évangilisant les hétéros blancs en leur proposant sa méthode particulière de développement personnel. Parodie de sa propre existence? En tout cas, pour la troisième fois l’Oscar lui échappe malgré une nouvelle nomination. Un comble pour celui qui aura partagé l’affiche avec huit acteurs et et neuf cinéastes oscarisés… Il n’en fait plus un objectif. « Les récompenses c’est merveilleux. J’ai été nommé de nombreuses fois et j’ai gagné quelques prix. Mais mon but n’est pas d’en avoir plus. Si j’en ai tant mieux. Si je n’en ai pas, ça ne retire rien à mon parcours« .

Après EWS, on le sent orienté vers le sexe. Ici le boxer noir moulant porté chez Kubrick est remplacé par un slip blanc sexy, en guise de provoc, écho à Risky Business. Tom Cruise s’exhibe, impudique, voulant choquer, et finalement se laisse aller à jouer un homme troublé par ses propres sentiments. Il n’a jamais été aussi peu aimable et aussi incroyable. L’armure se fêle et laisse passer la lumière. On croit à l’Oscar. Il n’aura, là encore, que le Golden Globe. Mais avec ce genre de seconds rôles, il s’affirme comme un grand comédien, et, paradoxalement dévoile qu’il est prisonnier de son propre système.

Dans ce registre de la star invitée jouant avec un amusement certain un personnage excessif et tonitruant, Tom Cruise réitérera par trois fois l’aventure : sous forme anecdotique dans Austin Powers in Goldmember (2002), sous forme parodique (et hilarante) dans Tropic Thunder (2008) et sous forme électrique dans Rock Forever (2012), en s’inspirant de Freddie Mercury pour son personnage. Pour notre plus grand plaisir.

Une diversification contrôlée

Dans un registre plus dramatique, il va commencer à se raréfier. Oubliant les grands succès de son passé, on ne compte que quelques tentatives dans le cinéma sans cascades, avec des personnages plus ou moins intenses, et un récit qui n’a pas pour enjeu de sauver le monde ou de rétablir la justice. Il y a Vanilla Sky de Cameron Crowe en 2001, remake médiocre malgré la présence autour de lui de Cameron Diaz et Penelope Cruz (avec qui il va avoir une liaison durant trois ans), Lions et agneaux en 2007, thriller politique efficace avec Robert Redford et Meryl Streep, Walkyrie en 2008, tragédie historique et réelle où il navigue entre un cinéma d’espionnage et un héroïque perdant, et Barry Seal en 2017, inspiré d’une histoire vraie et qui lui permet de renouer avec un rôle plus authentique. Les succès sont variables mais pas impressionnants. Et parfois cela frôle l’accident industriel comme avec La Momie, un ratage total.

Pour le reste, depuis 2002, Tom Cruise se « belmondise » et va aligner les grosses productions à effets visuels, castagnes, sensations fortes et avec son nom au sommet, comme une marque. On en oublierait presque le réalisateur.

Bien sûr, il varie les plaisirs. Il se déguise. En guerrier japonais dans Le dernier samouraï, surfant sur la mode de l’époque des films de combats asiatiques et de drames épiques en costumes. Si les cartons sont avant tout internationaux grâce à ses fidèles fans de par le monde, la plupart des films n’affichent plus des socres mirobolants au box office américain. Même si l’action-movie Knight and Day, les thrillers SF Oblivion et l’excellent Edge of Tomorrow ou les deux polars brutaux de la série Jack Reacher sont de bons films dans leur genre, du type à être multi-diffusés sur les chaînes télévisées et plateformes de vidéo à la demande, aucun n’atteint les 100M$ au box office.

Tom Cruise se veut sauveur du monde ou d’une blonde (parfois brune), justicier dans l’ombre ou soldat repenti, le tout dans des productions coûteuses (et soignées) où le nom du cinéaste devient accessoire (et souvent il s’agit d’un réalisateur fidèle à la star). Rien de déplaisant dans ce parcours, puisque Cruise prouve, même en vieillissant qu’il est capable de tenir le premier rôle, d’être crédible dans n’importe quelle situation, de maintenir son statut d’acteur hétéro bankable. C’est d’ailleurs le seul qui reste encore à l’abri des vrais échecs et qui n’intéresse pas les partisans du wokisme. Intouchable? Presque.

Les trois coups

Et pour cause, à l’orée des années 2000, Tom Cruise a misé sur trois cartes différentes. Son plus grand film, son plus beau rôle, et son plus grand succès.

En 2002, il aligne le dernier grand cinéaste du nouvel Hollywood à son tableau de chasse : Steven Spielberg. Minority Report, dystopie adaptée d’un récit d’anticipation de Philip K. Dick, est un chef d’œuvre de science-fiction, d’action et de thriller. Outre son esthétique soignée, son propos politique et son architecture narrative proche de films comme La mort aux trousses ou Le fugitif, en font un film à la fois classique et populaire, malin et spectaculaire. Un blockbuster évident où Tom Cruise trouve toute sa place, déploie son talent à jouer les persécutés déterminés, les héros en quête de vérité. C’est sans aucun doute là où toute sa palette de jeu est la mieux utilisée, qui plus est dans un grand succès international et une œuvre cinématographique qui ne vieillit pas d’un pouce.

Avec Minority Report, le duo Spielberg/Cruise produit une référence dans le genre. De quoi rempiler trois ans plus tard avec La guerre des mondes, là encore gros blockbuster SF, mais dans un genre plus apocalyptique, remake d’un film culte revu à la sauce numérique des années 2000. Le film est un cran en dessous en terme de qualité et d’originalité. Mais reste une bonne fête à pop-corn. C’est, en dehors de la franchise Mission : Impossible, le plus gros hit de la carrière de Cruise. Le plus gros hic aussi. En promo, Cruise se lâche. Poursuivi en Europe par les anti-sectes qui lui reprochent ses liens avec la Scientologie, son image s’abime. Aux Etats-Unis, on le voit bondissant sur le canapé d’Oprah Winfrey comme un gamin insupportable. Ses caprices sont révélés au grand jour. Pêtage de cable qui ne lui sera pas préjudiciable auprès du public, mais qui conduira certains cinéastes à ne plus tourner avec lui… A commencer par Spielberg.

Juste avant, en 2004, la star accepte de partager l’affiche du nouveau film de Michael Mann avec un comédien en pleine ascension, Jamie Foxx. Collateral est une virée nocturne dans Los Angeles,qui fait ainsi écho à celle d’Eyes Wide Shut dans le New York kubrickien. Mais si Kubrick le faisait errer dans son subconscient psychanalytique, Mann préfère le balader dans sa psychopathie meurtrière. D’Eros on passe à Thanatos. Collateral est un thriller brillant, implacable, psychologique et glaçant. Tom Cruise n’était pas le premier choix de Michael Mann, mais les deux hommes vont très bien s’accorder lors du tournage.

Pour l’acteur, c’est un changement de registre radical : il incarne le méchant, un tueur à gages. Il se transforme physiquement (cheveux gris et raides : tout est toujours capillaire dans ses personnages, qui aura testé tout au long de sa filmographie le mi long et le tondu à ras). Autre bouleversement : Tom Cruise meurt à la fin. Osé pour un homme qui a toujours été un héros. « Le personnage de Vincent m’a intéressé parcequ’il est tellement anti-social, tellement destructeur, jusqu’à amener le chaos où qu’il aille, que c’en est une force de la nature » expliquait-il… Et le résultat en valait le prix. Il trouve non seulement son meilleur rôle mais surtout, il l’incarne avec une absolue justesse. La face cachée, à la fois froide et noire, de Tom Cruise, entraperçue dans quelques séquences de ses films précédents, ou dans Magnolia, est révéléepar Michael Mann, qui le durcit et le sublime jusqu’à le rendre ambivalent : antipathique et séducteur, en même temps.

Le joli succès international du film ne pousse cependant pas Tom Cruise dans cette direction. Hélas.

La quarantaine flamboyante, Tom Cruise est au sommet. Il a enchaîné les cartons (sept films dépassant les 200M$ dans le monde, tous au-dessus des 100M$ aux USA) depuis le deuxième Mission : Impossible en 2000, western moderne où se dillue un peu trop l’ADN de la série dans une mise en scène baroque de John Woo. A partir de 2006, il reprend en main la franchise, en revenant aux fondamentaux et en la confiant à des cinéastes plus malléables, capables de suivre la star dans ses délires d’acteur-cascadeur, le scénario dans ses outrances (tour du monde à la James Bond, casting choral, enjeux invraisembables, technologies innovantes), et le cahier des charges d’un studio prêt à mettre un pognon de dingue dans chacune de ces aventures. A la même époque, il se remarie avec Katie Holmes (l’amour durera six ans, et un enfant). Depuis dix ans, Tom Cruise est célibataire (officiellement). Mais revenons au cinéma.

Le troisième M:I, réalisé par J.J. Abrams, pose les fondations de ce que deviendra finalement la série. Si le film réalise le box office le plus décevant de la série (400M$ dans le monde), il s’avère plus dans l’air du temps, plus efficace et l’un des plus passionnants à suivre, en mêlant un risque intime (Ethan Hunt est amoureux) à un enjeu banal (une ogive nucléaire menace San Francisco). Quand Brad Bird est enrôlé pour le quatrième opus, cinq ans plus tard, l’équipe de M:I se constitue progressivement. Les films deviennent des suites, Ethan Hunt est de plus en plus sur le fil du rasoir et les séquences de plus en plus impressionnantes. Avec la concurrence d’un James Bond revigoré (par Daniel Craig) et d’un Jason Bourne (grâce à Matt Damon) devenu la référence dans le genre, sans parler des Marvel qui monopolisent les écrans, Tom Cruise veut miser sur son plan retraite et s’investir pleinement dans cette carte maîtresse. Il a encore l’âge, la forme physique, la crédibilité pour jouer aux casse-cous et têtes brûlées. Le film empoche près de 700M$ dans le monde. Tom Cruise reste l’acteur bankable comme Hollywood n’en fait plus.

En 2015, il enrôle Christopher McQuarrie, avec qui il a déjà tourné le premier Jack Reacher. Les deux hommes sont sur la même longueur d’ondes. Le cinquième Mission : Impossible fige l’équipe définitive de la team, avec l’arrivée de Rebecca Ferguson, révélation du blockbuster, révolution féministe de la franchise et alter-ego (un challenge en soi) de Tom Cruise. Le plus james bondien des M:I flirte aussi avec les 700M$. Une séquence improbable et périlleuse où Cruise s’accroche à un avion en train de décoller fait encore référence en matière de cinématographie. Tout comme la séquence à l’opéra est virtuose et hitchcockienne en matière de mise en scène.

A chaque fois, l’acteur-producteur et le réalisateur mettent la barre plus haut. Côté casting, les vedettes se bousculent pour jouer les vilains de service. Côté action, on imagine les scènes les plus folles. Le sixième opus, en 2018, est, à ce jour, le plus gros succès de Tom Cruise au box office (près de 800M$ dans le monde). Le pitch rebondit sur de multiples trahisons, une équipe devenue soudée et solide, des actions toujours plus démentes (notamment à Paris). Tom Cruise, dont le visage commence à changer, se blesse sur le tournage. Il faut dire qu’il approche de la soixantaine. Il est loin le beau gosse de Top Gun. Mais il a encore de l’allure. Jusqu’à quand?

Mission : Impossible est son assurance vieillesse. La suite a été tournée dans la douleurs (accidents, covid, retards multiples) et doit sortir (finalement) en 2023 (avec deux ans de retard). Il va devenir compliqué pour l’acteur d’être un éternel Ethan Hunt capable des péripéties les plus incroyables et des poursuites les plus trépidentes. Le huitième film, qui devait être tourné dans la foulée, avec un casting relativement identique, a finalement été reporté. Le tournage n’a débuté qu’au printemps 2022, pour une sortie en 2024.

Normalement, les deux épisodes devraient être les derniers, et une sorte d’adieu à la série. Ce qui laisse un grand vide à Tom Cruise. Il y a bien sûr le projet avec Doug Liman, où l’acteur et le réalisateur veulent être les premiers à tourner une fiction dans l’espace. Vers l’infini et au-delà… Toujours plus haut, la star ne semble pas vouloir décrocher de sa stratosphère et poursuivre les missions impossibles pour épater les spectateurs. Même s’il iniste sur le fait que l’action ne suffit pas pour faire un bon film. Il faut une histoire et des personnages qui incitent les spectateurs à s’impliquer dans le récit.

Doug Liman prépare aussi une suite à leur succès Edge of Tomorrow, avec, toujours, Emily Blunt (depuis l’actrice est devenue une tête d’affiche hollywoodienne), Live Die Repat and Repeat. Encore et encore et encore… Tout cela reste des projets non entamés.

Pas près à être un retraité se refaisant uen santé cinématographique dans des films moins chers, moins ambitieux, moins dangereux, et paradoxalement moins risqués pour son statut de super-héros de blockbuster, Tom Cruise a soixante ans et, pour l’instant, rien au programme. Comme s’il était incapable de prendre un nouveau virage, celui qui lui permettrait, à l’instar d’une Meryl Streep aujourd’hui, ou d’un Robert de Niro il y a un vingt ans, de rester en selle pour continuer à divertir. Sait-il qu’il n’est pas comme Lestat, un vampire à la vie éternelle?

Car s’il n’est pas le plus grand comédien de sa génération, il est assurément la seule star née dans les années 1980, avec Tom Hanks, à être rester à un tel niveau. Si, en matière d’audace, de talent, de singularité, il s’est fait doubler par Leonardo DiCaprio, Matt Damon ou Brad Pitt, il est le seul à pouvoir rivaliser au box office avec les super-héros des adaptations Marvel ou DC.

Malgré son apparente arrogance, malgré l’opacité intouchable de sa personnalité trouble, malgré son appartenance à une secte, le prince au sourire carnassier a su construire une filmographie où chacun y trouve son compte. Qu’on l’aime ou pas, il y a toujours un film avec Tom Cruise qui nous plait, un hit avec Tom Cruise qu’on aime revoir. Le jeune outsider des années 1980 s’est mué en géant hollywoodien. Il a son propre empire. Il résiste aux envahisseurs, reste fidèle (pour l’instant) au cinéma (celui en salles) et a conscience qu’il est une espèce sur le déclin. En donnant la réplique à Newman, Hoffman ou Nicholson, en se faisant filmer par Coppola, Scorsese, De Palma, Spielberg ou Kubrick, il n’ignore pas que les stars sont des dinosaures en voie de disparition.