
Le final à Cannes
Mission : Impossible – The Final reckoning est le 8e film d’une saga commencée en 1996 et qui s’achève avec panache au Festival de Cannes, hors-compétition. C’est assez rare les longues franchises s’étalant sur autant d’années. Certes James Bond, Star Wars, Star Trek et Jurassic Park font mieux. Mais Mission : Impossible a une spécificité. Les réalisateurs ont changé, mais pas sa star. Un seul interprète pour incarner le héros Ethan Hunt, Tom Cruise (un film sur six de sa filmographie). Il a débuté en endossant le rôle à l’âge de 34 ans, il le quitte à l’âge de 63 ans. Le visage s’est épaissit, quelques rides, mais toujours autant de souplesse et de muscles. Il est même plus vieux que Jon Voight, chef d’équipe du premier film et héritier du personnage emblématique de la série TV, qui n’avait que 58 ans. Après avoir fait sensation à Cannes pour la suite de son premier hit de jeunesse Top Gun, Cruise est de retour pour tirer le rideau de sa poule aux œufs d’or (six des dix plus gros succès de l’acteur sont des épisodes de M:I).

Origines
De 1966 à 1973, les téléspectateurs du monde entier se sont passionnés pour une série, Mission : Impossible (171 épisodes au total) créée par Bruce Geller (à qui ont doit aussi la série Mannix). Tout y est déjà : « votre mission, si vous l’acceptez…« , la musique du générique, les masques et autres gadgets… Steven Hill dans la première saison, puis Peter Graves dans les suivantes (2 à 7) vont jouer les chefs d’équipe. Une actualisation (deux saisons) a été produite entre 1988 et 1990, toujours avec Graves. L’acteur incarne ainsi Jim Phelps, rôle qui sera repris par Jon Voight dans le premier film, réalisé six ans plus tard. Notons aussi le côté stéréotypé de l’équipe (la femme blonde et belle, les spécialistes dans chaque domaine, un homme costaud). Au générique on croise quand même Martin Landau (Ed Wood), Leonard Nimoy (éternel Spock dans Star Trek) ou encore Lesley Ann Warren (Victor Victoria).
Quant à Ethan Hunt, c’est une pure création cinématographique et non un rôle pré-existant.

Lalo Schifrin
Le pianiste jazzman argentin, 92 ans aujourd’hui, a imaginé l’une des musiques de générique les plus mémorables de l’histoire. Quand il la compose, il déjà travaillé sur les musiques de films comme Les félins, Le Kid de Cincinnati, et celle de la série Des agents très spéciaux. Rien de comparable avec cette pulsation que Lalo Schifrin impose au spectateur : une allumette, une étincelle, et la flamme court vers la dynamite prête à exploser. Schifrin a composé de nombreuses bandes originales (Luke la main froide, Bullitt, THX 1138, L’Inspecteur Harry et ses suites, Amityville, Rush Hour, Tango de Carlos Saura, mais aussi Starsky et Hutch).
Rien de comparable avec Mission : Impossible dans la mémoire collective. dans ces années 1960, il est au niveau de John Barry (James Bond), Henri Mancini (La Panthère rose) ou Ennio Morricone (Le bon, la brute et le truand).
Au fil des films de la saga Mission : Impossible, le thème de Schiffrin a été remaniée par Danny Elfman, des membres de U2, Hans Zimmer, Michael Giacchino, Joe Kraemer, Lorne Balfe, dérivant du rock métal à l’orchestrale, de l’électro à l’épique.
Mais clairement, sans cette musique, Mission : Impossible perdrait une grande partie de son charme.
De Palma : le classique
Réalisateur de films de genre cultes (Phantom of the Paradise, Furie, Blow Out, Scarface), Brian de Palma sort de trois flops consécutifs au box office avant de retrouver les faveurs de la critique avec L’impasse. Mais c’est bien le carton du film Les incorruptibles (1987), adapté d’une série TV également, qui séduit les producteurs. Premier à devoir transposer la série TV Mission : Impossible sur grand écran, il pose les fondations de la franchise : un casting de stars internationales, des traitres, le glamour européen, et trois séquences mémorables (l’aquarium qui explose à Prague, le braquage de datas au siège de la CIA dans un décor techno immaculé et le final dans le tunnel sous la Manche, avec train à grande vitesse et hélico). Traitre, femme fatale, bucher des vanités et déjà une équipe désavouée agissant en souterrain : le scénario de Robert Towne et David Koepp récite les grands classiques du film d’espionnage et réhabilite une atmosphère de guerre froide. Notons quand même qu’Internet surgit dans le cinéma de façon concrète (autrement dit dans son usage quotidien), simultanément à un autre film, The Net et Hackers sortis un an plus tôt.
Mais ce qu’on peut saluer c’est surtout la qualité visuelle de ce film néo-noir, davantage basée sur l’intrigue méli-mélo et le suspense que sur l’action. De loin, le plus beau Mission : Impossible et le plus ténébreux. Et le plus important succès du réalisateur au box office. Cruise souhaite qu’il revienne pour la suite, mais le cinéaste décline l’invitation.
Woo : l’opératique
Et si, finalement, Mission : Impossible, contrairement à James Bond, devenait une variation sur le même thème. Une saga attirant les plus grands cinéastes, où chacun d’entre eux s’amuserait à réaliser sa propre version? C’est finalement ce qu’on aurait pu croire quand John Woo est choisi pour succéder à Brian de Palma. C’est presque ce qu’on espére quand, pour les quatre premiers films, à chaque fois, un nouveau réalisateur s’empare du concept. Mais ce n’est pas ce qui est arrivé, finalement. Pourtant, ça aurait eu de la gueule. Car, qu’on aime ou pas la vision de Woo, ce deuxième M:I montre bien le potentiel cinématographique des aventures d’Ethan Hunt. Reste que ce M:I II est clairement à part et n’a rien à voir avec les autres. C’est d’ailleurs une déviation visuelle et narrative qui surprend encore.
Quand Woo s’empare du film, il a à son actif vingt ans de films hong-kongais (dont certains cultes et géniaux), trois films américains (les efficaces Hard Target et Broken Arrow, l’excellent Face/off). Il transpose alors logiquement tout son cinéma dans cette super-production hollywoodienne (qui reste son plus gros succès au box office mondial). Un abus de ralentis, des pigeons qui s’envolent, des arts martiaux, des motos qui défient les lois de la gravité, une romance kitshissime mais très classe, de la pyrotechnie enflammée en veux-tu en voilà, etc. On oublie l’image glacée pour des tons plus chaleureux (Grand ouest américain, Séville, des explosions, un labo très néons-flashy-fluo). L’équipe n’est pas accessoire mais réduite à son minimum. Tout est focalisé sur un trouple : deux hommes et, au milieu, une femme qui attise ce combat de coqs. Là où Woo est brillant, en dehors des scènes de combat qu’il maîtrise à la perfection, c’est bien dans ce duel au soleil. En reprenant le concept des masques de Face/off, qui est aussi dans l’ADN de M:I, il perturbe le trouble-jeu où l’on ne sait pas toujours qui est qui, de Hunt ou de son Némésis.
Et puis, pour réhabiliter totalement ce M:I si singulier, braqué par le réalisateur hong-kongais pour le mettre à sa propre sauce, il faut mentionner Tom Cruise. Cheveux plus longs, bronzé, au sommet de sa beauté physique à 38 ans, avec son air d’égérie pour un parfum masculin, la star n’a jamais été aussi magnifiée à l’écran. Plus que cascadeur casse-cou, il est ici doté d’une personnalité sexuée (un des rares films où il drague et conclut à l’écran), sauvage et séductrice. Tout cela assemblé a de quoi rendre Ethan Hunt plus mythique qu’héroïque.
Abrams : le romantique
Producteur des épisodes IV, V et VI, réalisateur et co-scénariste de l’épisode III, J.J. Abrams est finalement une transition et une caution dans l’univers Hunt. Il signe alors son premier film en tant que cinéaste, avant d’enchaîner la résurrection de Star Trek et l’apogée finale de Star Wars. M:I III est le film le moins successful de la franchise (voir plus bas). Injustement sans aucun doute. D’abord, après la virée singulière de Woo, le réalisateur s’emploie à revenir aux fondamentaux. Une réelle équipe, une taupe à l’intérieur de la CIA, de vrais dilemmes pour Ethan, un glamour sophistiqué (la séquence au Vatican), une série de gadgets, des plans complexes élaborés, et une mondialisation de l’intrigue. Ensuite, il y distille une histoire perso (le personnage de Julia, qui se marie à Hunt) qui détermine les ressorts de la psychologie du héros, et qui sera l’un des fils conducteurs jusqu’à Fallout (Julia conclut l’épisode IV et revient dans le VI). Hunt apparaît donc comme mari, amoureux, s’échinant à mener une double vie impossible (espion et époux), jusqu’au moment où les deux s’entrelacent.
On peut aussi souligner quelques séquences anthologiques : l’intro haute-tension, Philip Seymour Hoffman (rien que lui vaut le détour) plongé dans le vide à bord d’un jet, la poursuite d’hélicos (rituel qu’on retrouve dans l’épisode VI) au milieu de éoliennes, l’attaque du pont de Cheasapeake (copiée collée sur True Lies) ou encore le saut d’un gratte-ciel à l’autre à Shanghaï. Contrat rempli. On devrait ajouter deux choses. Abrams se sert de « la patte de lapin », enjeu mystérieux de tout le film, comme d’un Macguffin hitchcockien (autrement dit, on se fout de savoir ce que c’est mais on devine que ça ne doit pas tomber dans de mauvaises mains), jusqu’à cette ellipse audacieuse où le film ne nous montre pas comment Hunt la dérobe! Enfin, comme ses prédécesseurs, le réalisateur s’approprie Mission : Impossible en matière de mise en scène. C’est le seul épisode où la caméra tremble, où le montage est ultra-nerveux, où tout semble fait pour traduire la panique dans les moments les plus tendus. Autrement dit, ça n’a rien d’une production insipide filmée par un « faiseur ». Il a imposé un style, sans doute trop inspiré des Jason Bourne pour être complètement original.
Bird : le dramatique
Brad Bird est un ovni dans la franchise comme dans l’histoire de cinéma. Pensez donc : le cinéaste est avant tout un réalisateur de films d’animation. Des épisodes des Simpsons mais surtout Le géant de fer, Les indestructibles et Ratatouille. Aussi, le choix de Brad Bird est iconoclaste, pour ne pas dire incongru. Procole fantôme est, à ce jour, son seul long métrage en prises de vues réelles. Et ce fut un pari gagné. On voit bien comment la mise en scène du Pixar Les Indestructibles l’a aidé à filmer des séquences spectaculaires comme l’explosion du Kremlin, toute la partie à Dubai (vertigineuse au sens propre et figuré), de l’ascension du Burj Khalifa à mains nues à la poursuite dans la tempête de sable, et le duel final dans un parking de Mumbay. On a mal pour les personnages, qui ne sont pas des cartoons, mais se prennent des coups ultra-violents tout en défiant les lois de la physique. Mais Brad Bird maîtrise les techniques et a le sens du cadre (ne pas avoir la peur du vide avec lui). Il sait construire ses plans. Tout est bien agencé pour que les situations et les actions soient classiquement compréhensible. En alliant parfaitement l’égo d’un Cruise qui se prend pour Belmondo, les situations intimement dramatiques et les gaffes comiques, et les gadgets de l’équipe, il se focalise sur le récit invraisemblable pour le rendre saisissant. On est à l’opposé des effets stylistiques de Woo et de la mise en scène agitée de Abrams. Il signe finalement le plus divertissant des épisodes de la franchise, mais surtout lui permet de ressusciter après le semi-échec du précédent opus. Mieux, il installe un style Mission : Impossible qui se prolongera jusqu’au dernier film.
McQuarrie : le basique
Christopher McQuarrie rencontre Tom Cruise sur le tournage de Walkyrie. McQuarrie est le scénariste réputé de Bryan Singer (Ennemi public, Grand prix du jury à Sundance, Usual Suspects, Oscar du meilleur scénario original, X-Men) mais aussi du remake The Tourist, film de double jeu et de faux semblants. Il n’a alors réalisé qu’un seul film, Way of the Gun, en 2000. L’homme est recruté par Cruise pour écrire Protocole Fantôme. La star ne le quittera plus. MacQuarrie lui écrit Edge of Tomorrow, La Momie et Top Gun : Maverick. De même, il adapte et réalise le premier Jack Reacher. Il en vient à réaliser durant dix années les quatre derniers films de la franchise Mission : Impossible, soit la moitié de la série. Aucune prise de risque dans la mise en scène. Tout est question de montage. C’est efficace. On peut au moins lui reconnaître que les défis les plus dingues de Cruise en matière de cascades l’oblige à inventer des plans qui font sensation. L’acteur accroché à un Airbus en décollage, une poursuite dans Londres que n’aurait pas reniée de Palma, une chute libre au dessus de Paris, une poursuite dans la capitale française digne de Frankenheimer, une chasse en hélico (toujours des Airbus), un train qui déraille au dessus d’un gouffre, etc. On ne peut pas dire quil y ait une signature McQuarrie mais on peut reconnaître qu’il sait aménager visuellement ses scénarios complotistes pour épater le spectateur.
De plus en plus chers, de plus en plus longs
110 minutes pour le premier film. 53 minutes de plus pour le septième opus. Le dernier film bat tous les records avec 169 minutes! À chaque épisode, ou presque, Ethan Hunt a grapillé du temps pour se défaire des menaces. En cause? Un peu plus de relations interpersonnelles, des scènes d’action spectaculaires rallongées et une certaine complexité des intrigues entre l’équipe de l’IMF, les ennemis et ceux qui jouent double jeu (voire triple).
Pas étonnant que les budgets explosent au fil des ans. 80 millions de dollars en 1996, 290 millions de $ en 2025. Ça va crescendo. Ainsi les deux derniers films auront coûté quasiment ce qu’ont dépensé les Mission : Impossible III, IV, V et VI. Quand on aime on ne compte plus. Même quand il s’agit de lifter numériquement la star vieillissante.

Ving Rhames, le fidèle
Outre Tom Cruise, un seul acteur est visible dans tous les épisodes. Ving Rhames arrive dès le premier film, dans la deuxième équipe d’Ethan Hunt, et il ne le quittera plus (même s’il n’est qu’un caméo dans Protocole Fantôme). Fidèle ami, il incarne un geek de haut-vol qui a surtout pour fonction d’orienter Hunt vers les bons choix et de lui rappeler quelques fondamentaux du métier ou de la mission. Protecteur, il est à la fois imperturbable et complice. Lui seul semble savoir comment Ethan fonctionne. Rhames a été enrôlé par De Palma, qui l’avait déjà fait tourner dans Outrages en 1989. Au milieu de nombreuses séries B, l’acteur a quand même été dirigé par Paul Schrader, David Mamet, Wes Craven, Ivan Reitman, Barbet Schroeder, John Singleton, Walter Hill, Zacjk Snyder, Doyg Liman… Il a surtout été remarqué chez Quentin Tarantino (Pulp Fiction), Steven Soderbergh (Hors d’atteinte) et Martin Scorsese (À tombeau ouvert).

Les alliés, souvent malmenés
Outre Ving Rhames, Tom Cruise peut compter sur ses équipes et ses proches, en plus de sa chance légendaire et de son amour du risque. Mais rejoindre l’IMF n’est pas un job serein.
Kristin Scott-Thomas, l’ami de Tom, Emilio Estevez, et Ingenborga Dapkūnaitė, tous membres de l’équipe originelle, finissent tragiquement dès la première mission du premier film. Thandie Newton – qui a croisé Cruise dans Entretien avec un Vampire – est une membre à part, à la fois extérieure et impliquée totalement dans la deuxième mission, jusqu’à risquer sa vie. La team la plus sexy de toute la saga – Jonathan Rhys-Meyers et Maggie Q – a plus de chance : ils survivent (mais ne réapparaîtront plus dans les suites). Seul Simon Pegg, sorte de rôle guest en backoffice, deviendra pérenne jusqu’au dernier film. Le pauvre, une fois sur le terrain, devra porter dans le 5e film une ceinture d’explosifs programmée à distance, et dans le 6e film manquera d’être pendu.

Episode 4, Paula Patton, un petit tour et puis s’en va, perd son mec assassiné froidement (Josh Holloway), et se prend une méchante balle dans l’abdomen. Jeremy Renner, déjà aperçu en Faucon dans les Marvel et reprenant le temps d’un film la franchise Jason Bourne au même moment, s’en sort beaucoup mieux : il revient dans le film suivant, mais il souffre d’un trauma existentiel qui le bride dans son action. Surtout l’acteur ne pouvait plus jongler entre sa vie personnelle, son agenda surchargé par les Avengers et des mois de tournage à l’étranger.
Enfin, à partir de l’épisode 7, il y a les cas spécifiques de Pom Klementieff, bras droit (et tueuse psychopathe) du grand méchant, et de Greg Tarzan Davis (agent suspicieux de la CIA qui traque Hunt), qui vont virer leur cuti dans le final pour accompagner Cruise dans son ultime combat.
Et puis, il y a les boss. Censés être alliés, souvent suspectés de double jeu, voire de trahir le pays, et régulièrement peu aimables à l’égard de l’IMF. Henry Czerny (premier du genre dans l’ambiguïté, de retour pour les deux derniers films), qui est le premier à désavouer Hunt, Anthony Hopkins (faussement doucereux), Laurence Fishburne (raide comme un piquet), Tom Wilkinson (tué au bout d’une scène), Alec Baldwin (plutôt contre l’IMF, finalement pour, tragiquement tué par un traitre au bout de sa deuxième apparition dans la saga), Angela Bassett (main de fer, gant de papier de verre), ambitieuse sans remords mais incapable de discernement, ou encore Cary Elwes, qui finit égorgé à force de vouloir être calife à la place du calife.

Enfin il y a le carré de dames. Dans l’ordre chronologique, Mariela Garriga (épisode VII et VIII, mais préhistoire des aventures de Hunt), qui est assassinée par Esai Morales. Michelle Monaghan (épisode III, IV et VI), fiancée puis mariée puis divorcée de Hunt, toujours très complice malgré tout, même si elle subit quand même un kidnapping, une tentative de meurtre et une menace nucléaire sur son lieu de travail. Rebecca Ferguson, notre préférée, agent du MI6 infiltrée, qui s’allie, s’oppose, rivalise, aime Hunt tout au long des épisodes V, VI et VII, où elle aussi termine son existence en combattant Morales. Ilsa Faust (le pacte est forcément faustien avec une femme comme elle) reste la grande invention de la franchise. Solitaire et trahie, son panache et sa manière de combattre (tout en cuisses musclées) mériteraient presque un spin-off. Elle meurt en sauvant la petite dernière, Hayley Atwell, voleuse douée qui rappelle le personnage de Thandie Newton, et qui choisit volontairement de rejoindre l’IMF. Clairement Tom Cruise ne préfère pas les blondes. Peut-être qu’il a été un peu éhcaudé par Emmanuelle Béart, amour ambivalent du premier film.
Les ennemis, parfois de l’intérieur
Premier film : le vilain est a priori mort (mais ressuscite). Jon Voight est le premier chef d’équipe de l’IMF (Hunt n’est que le second), et apporte son aura de grand acteur des années 1970 (bien que l’homme ne soit pas forcément fréquentable au quotidien). Il manipule son joli monde, aidé par sa compagne (Emmanuelle Béart) dont le cœur palpite entre le bad daddy et le beau gosse trentenaire, et un nouveau membre de la team, Jean Reno (et son couteau). Au milieu de tout ça, Max, femme d’affaires qui se vend au plus offrant sans aucune éthique, incarnée par la merveilleuse Vanessa Redgrave, qui nous régale avec son jeu félin et un brin ironique et distant, tout en classe british. Max est aussi l’heureuse mère de deux détraqués, Alanna, la Veuve blanche, et Zola, qu’on va découvrir dès Rogue Nation. Ils sont respectivement interprétés par Vanessa Kirby, idoine en femme fatale dysfonctionnelle moins raisonnée et plus instinctive, et Frederick Schmidt. Ils ont hérité de la PME familiale, se souciant peu des intentions de leurs clients, tant qu’ils sont protégés et s’enrichissent. Notons l’habile jeu de Kirby, qui reprend quelques mimiques de Redgrave pour assurer la filiation génétique. Et définitivement, Cruise a un problème avec les blondes…

Un ancien agent de l’IMF (Dougray Scott) sert de méchant dans l’épisode 2, et même Brendan Gleeson, a priori le salaud du récit, en est sa victime. Même punition dans le troisième film, où le supérieur de Hunt, John Musgrave (Billy Crudup à qui il ne faut pas donner le bon dieu sans confession malgré son charme) n’a pas trop de scrupules à utiliser les uns et les autres pour assouvir ses ambitions. Même si, dans cette histoire, le vrai dingue dangereux et antipathique c’est le marchand de poisons, admirablement habité par un Philip Seymour Hoffman, qui surclasse tous les méchants de la saga.
Pourtant Michael Nyqvist ne démérite pas en fou à lier qui se croit ange de l’apocalypse dans le 4e film. D’autant qu’en arrière-plan, on a Léa Seydoux en tueuse à gage. On se rassure : le premier termine après une grosse chute dans un parking vertical, la seconde est simplement balancée dans le vide , une centaine d’étages au dessus du sol. Dans les James Bond, elle s’en sort mieux…
Seul ennemi qui revient dans deux films, Salomon Lane, sadique magistral (Sean Harris), est un ancien agent des services britanniques. Un terroriste de haut niveau qui s’octroie l’aide d’Henry Cavill (qui abandonne alors Superman), brute épaisse et traitre en puissance, recrue des forces spéciales de la CIA en plus d’être au service du Syndicat. Les deux périssent dans l’Hymalaya sans pitié de la part des justiciers.
Dernier dément démiurge en date, Esai Morales en Gabriel dopé à l’intelligence artificielle « L’entité » (qu’on devrait considérée comme une vilaine). Il a toutes les caractéristiques des méchants impossibles en mission à la Thanos (dans les Marvel pour ceux qui n’ont pas la réf). Il veut être maître du monde, n’a aucune culpabilité sur ses actes les plus atroces, il a déjà deux féminicides à son actif dès l’épisode VII, et d’ailleurs, il se fiche complètement de la vie humaine (et en joue même). En bonus, il a un lien avec l’histoire intime de Hunt.
Un monde global et glamour
Le plus étrange pour cette franchise américaine est qu’elle n’a quasiment rien d’américain. Hormis Langley, siège de la CIA, les récits font rarement étape aux USA. Les Rocheuses (M:I 2) pour des vacances sportives, Washington (M:I 3) où s’installe le couple Hunt, Seattle et San Francisco (brièvement) pour la conclusion de M:I 4.
Ethan Hunt, par son rattachement à la CIA, opère « overseas« . L’Europe est l’épicentre des activités de l’IMF. Londres, en premier lieu, qui revient dans trois films. L’équipe se balade à Prague, Séville, Berlin (deux fois), Rome (deux fois), Budapest, Moscou, Paris (deux fois aussi), Vienne, Venise et les alpes autrichiennes. Une vraie série de cartes postales. On doit y ajouter un piège à Kiev, les environs de Minsk, Belfast et une planque à Amsterdam. Mais on ne voit aucune de ses quatre villes à l’écran.
Comme James Bond, Ethan Hunt s’offre aussi des excursions plus lointaines : Abou Dhabi, le Yémen et Dubai au Moyen-Orient, le Cachemire et Mumbay dans le subcontinent indien, Shanghaï et Xitang en Chine, Sydney en Australie, La Havane en Amérique latine, Casablanca (et alentours) en Afrique.
Cinématographiquement, on retient surtout que les réalisateurs ont préféré le glamour au réalisme (contrairement à Jason Bourne) pour filmer les plus belles villes du monde. On est plus proche de James Bond. L’Asie, Casa et les émirats, sont ainsi représentés sous leur aspect le plus moderne (architecture, prospérité), aucun des monuments symboliques des capitales européennes n’échappent à une image sophistiquée et une valorisation quasi promotionnelle. De l’opéra à Vienne aux soirées dans un palais vénitien en passant par le tour de Paris en moto et un cocktail au Vatican, difficile de ne pas tomber sous le charme de la vieille Europe. Car tout est chic dans M:I. Même les chiottes du Grand Palais. On prend le TGV ou l’Orient Express, des BMW (qui ont vite remplacé les Audi et Porsches) ou des jets privés. Même l’Inde semble un pays de milliardaires (le « nouveau » maharajah dispose d’une vingtaine de portables et offre une bouteille de champ à tous ses invités). Et derrière cela, il y a toujours ce clin d’œil désuet attachant : la cabine téléphonique, le disquaire, ou une réception à l’Ambassade.

Publics et critiques
En France, aucun M:I n’a réussi à dépasser le premier film (4,1 millions d’entrées). M:I II a quand même réussi l’exploit de séduire 4 millions de spectateurs. mais après, les scores ont été inégaux. Parce qu’il se passait en grande partie à Paris, M:I 6 a séduit 3 millions de français. M:I 4, M:5 et M:I 7 ont navigué au dessus des 2 millions. Etrangement, le troisième film a été un fiasco (1,9 M).
Ce box office est assez similaire avec la hiérarchie américaine, si on tient pas compte de l’inflation des prix du ticket de cinéma. Le plus profitable fut là encore le premier film (463M$ à la valeur d’aujourd’hui), juste devant la suite par John Woo (450M$). Après il y a un léger trou d’air où M:I 4 (298M$) surclasse M:I 6 (273M$) et M:I 5 (261M$). En queue de peloton, M:I III l’injustement mal aimé (230m$) et M:I 7 (178M$).
Cela souligne trois choses : 1) quand l’enjeu de la mission est trop personnel, le public n’accroche pas. 2) un film en deux parties est toujours un gros risque (n’est pas Avengers qui veut) 3) malgré le pas de côté de John Woo, celui-ci le seul à rivaliser avec le film originel de De Palma.
Reste que la franchise a récolté un total de 4,2 milliards de dollars dans le monde. Tous ont largement été rentabilisés par des cumuls internationaux allant de 400 à 800M$.

Un public fidèle, même si moins enclin à aller au cinéma pour voir les péripéties de Tom Cruise (sans doute prêt à attendre de le voir chez soi), mais un accueil critique inégal. Les trois premiers films n’ont d’ailleurs pas forcément convaincu les critiques (à l’époque moins nombreux et plus élitistes). À l’inverse les quatre derniers opus l’ont plutôt emballée, avec un léger avantage à Fallout. Que faut-il en déduire? Le spectaculaire l’emporte sur la signature singulière d’un cinéaste. Mais surtout, en conservant à peu près la même équipe tout au long des films, on plébiscite une vraie série dans sa continuité, avec des personnages qui évoluent et des enjeux qui s’entremêlent.
Pourtant on est très loin de l’esprit de M:I. Tom Cruise et ses cascades ont vampirisé l’aspect plus noir et plus thriller installés par De Palma, Woo et Abrams. C’est bien Bird qui révolutionne la franchise pour en faire un James Bond américain.
Reconnaissons quand même que Protocole Fantôme (pour Dubai), Rogue Nation (pour Casablanca) et Fallout (pour Paris) offrent un spectacle brillant. Mais n’oublions jamais que le premier film reste de loin le mieux réalisé et que le troisième, plus boudé que les autres, est de loin le plus singulier et le plus intéressant dramatiquement. C’est ce troisième film qui annonce d’ailleurs tous les autres. Pas seulement avec l’arrivée de Simon Pegg mais aussi par la démesure des actions, les premières à être vraiment hors-normes.
Nos critiques à leur sortie
- Mission : Impossible
- Mission : Impossible II
- M:I III
- Mission : Impossible – Protocole Fantôme
- Mission : Impossible – Rogue Nation
- Mission : Impossible – Fallout
- Mission : Impossible – The Dead Reckoning

Le sous-texte géopolitique
À la fois Jason Bourne et James Bond. L’ennemi est à l’intérieur (CIA, agence rivale, ou ex des services secrets) et extérieur (généralement un fou mégalo adepte des expériences scientifiques les plus dingues). Autre point commun avec 007, la création de The Syndicate (annonce dans l’épilogue de Protocole Fantôme jusqu’à son extinction dans Rogue Nation), qui fait furieusement écho à Spectre, l’association de vilains que combat l’espion britannique.
Pour le reste, Ethan Hunt est assez neutre. En Chine, le régime communiste n’existe pas. La Russie n’est pas « l’ennemie« . Il prend soin d’une policière française blessée par balle. En fait, les gouvernements et autres régimes n’ont aucune appartenance. Tout comme les frontières. Le monde de l’IMF est globalisé, tout juste a-t-on besoin de passeports et de transports. Le décalage horaire n’existe pas.
Dans ces missions impossibles, les gouvernements sont faibles, coincés dans une éthique culpabilisante ou manipulés par des ambitions cachées. Les véritables ennemis sont des individus, en solo, associés à d’autres pas moins violents, ou carrément organisés en bande. Ils ont de l’argent, ils pillent des secrets défense, des formules chimiques, des virus, des armes nucléaires. Toujours la même histoire de la menace apocalyptique déclencée par un extrêmiste qui veut le bien du monde en le détruisant. Le fantasme du reboot. Finalement, l’ennemi ressemble davantage à un démiurge Elon Musk qu’à un dictateur de type Vladimir Poutine.
Une menace profonde, invisible, qui autoriserait l’usage d’une force opérationnelle en dehors des lois et des conventions. Un interventionnisme clandestin qui fait peu de cas de la casse engendrée. La fin justifierait donc les moyens. Le tout en comptant sur deux facteurs : la chance et la confiance. « Trust me« .
Rude et pléthorique concurrence
Mission : Impossible débarque en 1996. La guerre froide est terminée. Le mur de Berlin est tombé. La Chine s’ouvre à l’Occident. Mais surtout le spy-thriller n’est plus vraiment à la mode. Il y a bien eu les deux adaptations de Tom Clancy, avec Harrison Ford en Jack Ryan, au début des années 1990 pour relancer un peu le genre. Mais depuis 1989, James Bond est porté disparu après deux semi-échecs. L’espion britannique s’offre une nouvelle vie, et beaucoup de fraîcheur, avec l’arrivée de Pierce Brosnan dans GoldenEye, en 1995. Ainsi, quand le premier M:I arrive, le public semble prêt à un agent américain similaire qui cherche à sauver le monde (en équipe mais avec gadgets, cascades et grand méchant fou.
La rivalité avec 007 est calculée. Aucun Brosnan n’affronte la même année les Cruise. Quand Daniel Craig est recruté en 2006, le match a lieu, et James Bond l’emporte largement. Ils referont le match en 2015 avec Rogue Nation vs Spectre. Là encore l’espion british récolte 200 millions de dollars de recettes mondiales de plus que l’agent américain.
Entre temps, d’autres films du genre se sont imposés avec plus ou moins de succès. Jason Bourne en premier lieu, qui a fortement influencé la mise en scène des thrillers d’espionnage. Avec cinq films, la franchise est la seule à avoir relativement rivalisé avec les deux titans. Hollywood a aussi essayé de ressusciter Jack Ryan, avec plus de succès en série qu’au cinéma. Kingsman s’en est plutôt bien sorti avec ses deux films. John Wick est devenu une série B à succès. Des tentatives comme The Man from U.N.C.L.E., Spy, Charlie’s Angels, 6 Underground, The Gray Man ont oscillé entre le fiasco, le charme rétro et le divertissement efficace mais trop faignasse. Mention quand même à Anjelina Jolie, Charlize Theron, Jennifer Lawrence et Scarelett Johansson (respectivement dans Salt, Atomic Blonde, Red Sparrow et Black Widow) qui s’en sont bien mieux sorties, jusque dans leurs combats virilistes.
Ce qui est certain c’est que le retour de Bond et l’arrivée de Hunt au milieu des années 1990, auxquels s’ajoutent les films de Tony Scott et les Jack Ryan à cette épriode, ont créé un filon qui est aujourd’hui largement décliné en série TV. Hollywood n’en finit pas d’explorer la géopolitique et les complots internationaux. Ce n’est pas nouveau, mais rien que depuis le début des années 2020, The Night Agent, The Recruit, Slow Horses, Lioness, ou Black Doves ont continué d’exploiter l’idée d’un monde où l’ennemi passe sous les radars et s’épanouit au dessus des puissants, quand il n’est pas caché dans le système.
Toute cette concurrence oblige finalement Ethan Hunt à se dépasser, Tom Cruise à se surpasser, et Mission : Impossible à se surclasser. Avec The Final Reckoning, il est peut-être temps d’envisager une retraite, pour éviter de se lasser. En attendant que la Paramount et Cruise décident comment la relancer d’ici quelques années. Pour les fans du genre, rassurez-vous, Universal songe à faire revenir Jason Bourne, et Amazon MGM Studios travaille sur un nouveau James Bond. Quant à Tom, la soixantaine rugissante, il a décidé de faire un léger virage dans sa filmographie en revenant aux grands drames d’auteurs : il sera à l’affiche de Judy d’Alejandro González Iñárritu en 2026.