Elles braquent des banques, dirigent des grèves, affrontent des malédictions et défient des régimes. Les personnages féminins ne sont plus de simples faire-valoir : ils deviennent le cœur battant des récits. Même si derrière cette visibilité éclatante se cache une réalité plus contrastée, les actrices ont brillé au cinéma, sauvant même quelques films très attendus mais décevants.
Car les chiffres racontent une histoire à double face. Côté pile : l’audiovisuel progresse, avec plus de 40% de programmes réalisés par des femmes selon le CNC. Côté face : le cinéma recule brutalement. En 2024, seulement 24% des films d’initiative française sont réalisés par des femmes – le niveau le plus bas depuis cinq ans. Pas faute d’être mise en valeur dans les festivals, d’avoir un prix (Alice Guy) pour les récompenser. Mais les hommes continuent de dominer le box office (L’attachement de Carine Tardieu avec 780 000 spectateurs est 38e au classement annuel français) et les palmarès.
Cette dissymétrie n’empêche pas de puissants rôles féminins à l’écran, même si ils dépendent de qui écrit et met en scène. Pas de parité derrière la caméra, pas de diversité devant. Quelques héroïnes très visibles ne suffisent pas à transformer un écosystème où près de 70% des films maintiennent des équipes majoritairement masculines aux postes clés. Car, en dehors de Scarlett Johansson dans Jurassic World : Renaissance, et Leïla Bekhti dans Ma mère, Sylvie Vartan et moi, aucun film du Top 20 français n’est porté par une actrice.

Cependant, le cinéma évolue. Fini la femme fatale qui précipitait la chute du héros. Si de nombreux blockbusters s’en sert encore comme faire-valoir ou acolyte, elles démontrent qu’elles peuvent être assignées à des tâches autrefois considérées comme masculines : dans F1, Kerry Condon est directrice technique d’une équipe de Formule 1, dans Jurassic World 7, Scarlett est la cheffe de la patrouille paramilitaire, dans Avatar 3, Zoé Saldana et Oona Chaplin, cheffe de tribu, sont des combattantes, dans Une bataille après l’autre, Teyana Taylor et Chase Infiniti sont des résistantes. Julia Garner en enseignante dans Evanouis ou Rebecca Ferguson en capitaine de la salle de crise de la Maison Blanche dans House of Dynamite ne sont que des composants d’histoires-puzzles. Mais dans tous les cas, elles ne sont jamais le sujet du récit.
On voit bien que les héroïnes de 2025 sont encore trop souvent des projections du fantasme masculin. Mais elles deviennent plus dominantes, plus complexes. Elles sont traversées par des conflits de classe, de race, de sexualité. Le féminin est moins érotisé, moins passif face au danger, plus impliqué dans la narration et les enjeux politiques. Et, en même temps, quand on dit ça, on pense à Nicole Kidman dans Babygirl, pourtant réalisé par une femme, Halina Reijn, qui cumule tous les biais d’une vision obsolète : la dirigeante qui a besoin d’être soumise sexuellement.

Le genre et les genres
Dans Frotter, frotter, Eye Haïdara incarne une gouvernante qui déclenche une grève. Exit le stéréotype de « l’immigrée en situation irrégulière » reléguée au décor social. La femme se rebelle, à l’image de celles dans Mektoub My Love : canto due, où chacune s’affranchit d’un destin a priori scellé (Jessica Pennington, Ophélie Bau). L’émancipation des femmes, la misogynie persistante, l’inégalité des sexes sont abordés sans détour dans Freaky Friday 2 (Lindsay Lohan et Jamie Lee Curtis), La guerre des Rose (Olivia Colman), le final de Downton Abbey (Michelle Dockery), After the Hunt (Julia Roberts et Ayo Edebiri), The Pheonician Scheme (Mia Threapleton, The Insider (Cate Blanchett) ou encore L’amour au présent (Florence Pugh). Et dans tous ces cas, les femmes reprennent l’ascendant sur les hommes, qu’ils soient déconstruits, égocentriques ou dépassés par leur époque. Les ressorts dramatiques sont bien plus intéressants pour les actrices.
À l’image de Pugh dans L’amour au présent, femme bi assumée, la fluidité sexuelle s’invite aussi dans de nombreux films, même si dans l’ensemble tout reste très hétéronormé. Certes, les actrices ne sont plus de simples proies sexys dans l’horreur (Destination finale : Bloodlines, Until Dawn, Presence), ou des princesses à sauver dans l’action et le thriller – trois territoires masculins par excellence.
Désormais, la plupart de ces films traitent aussi de sujets de société contemporains. Ainsi, avec Holland, Mimi Cave mélange social et thriller pour explorer le contrôle des corps et la violence domestique depuis un point de vue féminin (encore Nicole Kidman). De manière plus convaincante, Mascha Schilinski tisse la transmission des traumas dans Les échos du passé à travers quatre femmes (Lena Urzendowsky, Hanna Heckt, Laeni Geiseler, Lea Drinda).

Reste que le public est pour l’instant réticent à des versions plus radicales, comme on l’a vu avec deux fiascos : une version féminine des Trois Mousquetaires et une histoire vraie de braqueuses dans Le Gang des Amazones. Mentionnons aussi Les filles désir où deux jeunes marseillaises, dans un groupe d’ados, doivent composer avec leur réputation et leur séduction.
Les héroïnes sont de plus en plus ambivalentes, parfois peu sympathiques, mais profondément humaines.
Female-gaze
Ce n’est pas nouveau mais on comprend aussi pourquoi des stars passent derrière la caméra. Filmer des femmes ou se donner de vrais beaux personnages devient un impératif dans cet écosystème formaté. Scarlett Johansson avec Eleanor the Great filme une octogénaire new-yorkaise prise au piège de son mensonge (June Squibb) et Kristen Stewart adapte The Chronology of Water en offrant un rôle splendide à Imogen Poots pour aborder l’inceste, le trauma, le rapport au corps…

Ce « female gaze » a atteint un certain paroxysme à Cannes avec Lynne Ramsay offrant un rôle complexe et désinhibé à Jennifer Lawrence dans Die, my Love, Carla Simón filmant le point de vue de la jeune Llucia Garcia en quête d’identité dans Romeria, Julia Ducournau permettant à Golshifteh Farhani d’être à la fois mère et sœur au centre d’Alpha, une dystopie emplie de douleurs, Chie Hayakawa qui ne quitte pas la jeune Yui Suzuki tout au long de Renoir, drame endeuillé, ou Hafsia Herzi, autre actrice-réalisatrice, qui révèle Nadia Melliti coincée dans ses contradictions de jeune sportive, musulmane et lesbienne dans La petite dernière.
Citons aussi Erige Sehiri qui se focalise sur un trio de femmes (Aïssa Maïga, Laetitia Ky et Debora Lobe Naney) dans Promis le ciel, Louise Hémon qui offre un beau personnage à Galatea Bellugi dans L’engloutie, et Alice Douard qui réunit Ella Rumpf et Monia Chokry dans Des preuves d’amour. Des femmes filmant des femmes – dans leur quotidien, avec leur vulnérabilité, leur colère, leur désir ou leur délire – plutôt que des muses. Ni idéalisées ni réduites à leur utilité pour le parcours masculin : et ça fait du bien.
Pourtant, les films se sont rarement révélés à la hauteur de ces personnages, à l’exception de Romeria.

Il faut aller chercher ailleurs les grands personnages féminins de l’année. Pamela Anderson qui renaît dans The Last Showgirl de Gia Coppola, aux côtés d’une Jamie Lee Curtis toujours plus surprenante depuis quelques années. Une stripteaseuse déchue, vieillissante. Julia Roberts dans After the Hunt de Lucas Guandagnino en prof prise au piège d’un dilemme entre ses ambitions, les évolutions de la société et les mensonges de chacun qui réveillent le sien. Léa Drucker en a cumulé trois. Policière conservatrice infiltrée dans un collectif féministe dans Le mélange des genres, elle change de bord dans Dossier 137, où elle ne reste pas si droite dans ses bottes de la police des polices. Dans L’intérêt d’Adam, elle doute tout autant en infirmière, face à une Anamaria Vartolomei épatante en mère possessive et désemparée.
Le beau rôle ne suffit pas
Le cinéma français a été servi en femmes fascinantes, travailleuses ou nanties. Isabelle Huppert a connu son plus gros succès, dans un rôle principal, depuis 21 ans, avec La femme la plus riche du monde (900 000 entrées). Le film est une comédie de classe classique mais elle contribue clairement à son intérêt, tout comme son duel avec Marina Foïs, qui incarne sa fille plus rigide.

Et ainsi de suite : La venue de l’avenir avec Suzanne Lindon, Chien 51 et L’accident de piano avec Adèle Exarchopoulos, La pie voleuse avec Ariane Ascaride, Vie privée avec Jodie Foster, Partir un jour avec Juliette Armanet (et Dominique Blanc), Les enfants vont bien avec Camille Cottin, Love me tender avec Vicky Krieps, Mrs Dalloway avec Cécile de France ou La Tour de glace avec Marion Cotillard. Et bien sûr Valeria Bruni Tedeschi dans L’attachement, où elle incarne avec une justesse confondante une voisine solitaire, solidaire et solaire. Autant de films portés par des comédiennes. Elles sont le moteurs du récit, tout comme Valeria Golino dans Fuori, Angelina Jolie dans Maria, Janel Tsai dans Left-handed Girl, Nykiya Adams dans Bird ou Eva Victor dans Sorry baby. Ou dans un registre plus hollywoodien : Cynthia Evivo et Ariana Grande dans la suite décevante de Wicked et Renee Zellwegger dans le quatrième opus de Bridget Jones, le plus évitable de la série.
Mais toutes illustrent bien ce que nous avons ressenti tout au long de l’année. De beaux rôles dans des œuvres qui n’étaient pas à la hauteur de leur talent d’actrices. On se souvient d’elles davantage qu’on ne se souvient des films.

Il y a évidemment quelques exceptions : Melanie Thierry dans La chambre de Mariana, Paula Beer dans Miroirs n°3, Emma Stone dans Bugonia, Shu Qi dans Resurrection, et Felicity Jones dans The Brutalist trouvent à la fois un personnage subtil, contradictoire, jamais binaire, dans des drames mis en scène avec brio. Tilda Swinton et Julianne Moore amies à la vie, à la mort sont fusionnelles avec leur film, La chambre d’à côté de Pedro Almodovar. De même, Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas sont deux sœurs évidentes dans Valeur sentimentale de Joachim Trier, dans lequel on croise aussi Elle Fanning loin de son registre hollywoodien. Sans oublier la grande Fernanda Torres, qui porte littéralement le film de Walter Salles, Je suis toujours là. Dans ces beaux films où les hommes sont absents ou toxiques, les actrices brillent de tout leur éclat. C’est aussi le cas dans des films où le masculin domine. François Ozon a dopé la présence des femmes dans L’étranger tout comme Jafar Panahi intègre deux personnages féminins majeurs dans sa cavale morale, Un simple accident. Là encore, elles ne sont plus de simples faire-valoir mais bien des femmes qui décident de leurs choix ou de leurs destins.
« Golden » Year
À défaut de parité derrière la caméra, au moins, cette année, le cinéma aura surtout marqué les esprits grâce à des femmes devant la caméra. On cherche même les grands rôles masculins (et les grands acteurs) qui ont marqué les esprits en 2025. Ils se comptent sur les doigts d’une main.

Et preuve s’il en est que ce fut un excellent cru pour les héroïnes : dans l’animation, les femmes ont aussi pris le pouvoir avec la petite Amélie et la métaphysique des tubes, Dounia dans le grand pays blanc, Ozi et la voix de la forêt, la schtroumpfette dans la dernière aventures des petits hommes bleus, Gabby et la maison magique, Heidi et le lynx des montagnes, l’officière de police Judy dans Zootopie 2, et surtout les chanteuses et chasseuses de KPop Demon Hunters qui « kick the ass » d’un boys band zombie.
Mais tout enjeu est politique : tant que la parité derrière la caméra sera un mirage, ces héroïnes resteront les exceptions brillantes d’un système qui ne veut pas vraiment changer. 2025 aura fait basculer quelque chose : les grands rôles féminins dominent l’imaginaire cinéphile de l’année, ils relèguent les personnages masculins au second plan quand ils ne sont pas éjectés par leur comportement gênant. À charge maintenant pour l’industrie de rattraper ses personnages : si le cinéma veut rester vivant, il devra ressembler à ces femmes qui l’ont porté – multiples, contradictoires, insoumises.
