Don’t Look Up : Adam McKay vise les étoiles (et au-delà)

Don’t Look Up : Adam McKay vise les étoiles (et au-delà)

La satire fait long feu dans le nouveau film d’Adam McKay, qui continue de scruter les racines du mal américain avec cette fausse comédie. A trop enfoncer les portes ouvertes, il est victime de ce qu’il dénonce. Et seul le personnage de Jennifer Lawrence sauve sa louable intention de nous embarquer dans ce délire absurde où l’humanité préfère choisir une pilule bleue qu’une pilule rouge alors que l’effondrement est proche…

Une météorite qui s’abat sur la planète? Déjà vu me direz-vous. Hollywood aime l’Apocalypse : Meteor, Armaggedon, ou plus récemment l’efficace Greenland, le dernier refuge. Adam McKay opte pour un registre un peu différent en mêlant satire, politique, nihilisme et cynisme. Ici nul super soldat capable de se sacrifier pour faire exploser le tueur de planète (enfin il y en a un qui essaye mais c’est un pastiche moqueur), point de bunkers pour sauver quelques miettes de l’humanité (même si il y a quand même une solution pour milliardaires).

Don’t Look Up – déni cosmique est un long pamphlet cherchant sa sortie de secours (sans divulgâcher quoique ce soit, ça va dans le mur de l’impasse). La planète va imploser et l’humanité exploser avec elle. Mais on comprend vite et bien que personne ne mérite de survivre.

Avec un casting de stars et une diffusion sur la plus puissante des plateformes du moment, le cinéaste espère attirer un large public pour l’inviter à regarder les coulisses d’un système défaillant, dont l’idiotie semble être le seul gouvernail. Car on peut remplacer la menace de l’astéoroïde par le dérèglement climatique, la propagation d’un virus mutant, ou le désastre écologique et écocide. Ce serait le même principe : une dénonciation au vitriol des complices de ces crimes contre la planète et le vivant (dans lequel on inclut l’espèce humaine).

L’erreur est humaine…

Le gros caillou qui vient du fin fond de la galaxie a deux avantages cinématographiques : ça créé un compte-à-rebours et raccourcit le temps, c’est visuellement plus percutant. D’un côté, les scientifiques (malmenés ces derniers temps par les complotistes et les incompétents). De l’autre, l’élite décideuse et égoïste (politique, médiatique, technologique, capitalistique, hollywodienne). Le peuple, invisible joue les témoins, observateurs, spectateurs, électeurs et n’a pas son mot à dire.

Don’t Look Up assume ce côté binaire. Le film est une loupe grossissante sur l’absurdité de notre époque. Avec de gros stabilo-boss, le cinéaste surligne tout ce qu’il dénonce : l’obscurantisme, l’ignorance, le divertissement creux, la cupidité… C’est la liste des sept péchés capitaux, avec ses ambassadeurs : une présidente américaine trumpienne et clintonienne (en même temps), son conseiller de fils coké et anti-woke, un patron orwellien entre Musk et Zuckerberg, deux présentateurs de talk-shows blasés et vaniteux qui dictent les lois de l’information, des artistes du show-biz autocentrés, ignares et porteurs d’une bonne conscience hypocrite ou vaine.

Dans ce cauchemar, tout le monde est responsable et coupable. Adam McKay enfonce des portes ouvertes autant qu’il dénonce tout ce système manipulateur d’opinions qui remplit le temps de cerveaux disponible avec des inepties. Il défonce proprement le ridicule de cette aristocratie pas très inquiétée. Nul ne se rebelle. Le peuple préfère la consommation à la révolution. Quant aux savants et aux intellectuels, ils n’ont pas les moyens pour affronter à la machine médiatico-démocratique. Tous ces gens ne sont que des « ploucs » qui n’ont pas les codes et qui n’ont pas les armes pour lutter, résister, se faire écouter.

Pas si drôle ce drame

Ce grand déni cosmique n’est d’ailleurs pas si comique. Comment rire devant ce portrait terrifiant de notre civilisation? Comme s’amuser devant l’horreur de la situation? A pousser le curseur vers les extrêmes, Adam McKay ne pousse sans doute pas la farce assez loin. Rattrapé par son sujet et son objet ironique bien identifié, le film paralyse plus qu’il ne divertit. Il manque de la dérision et de la distanciation dans cette dramatisation. N’est pas Mel Brooks qui veut. Le réalisateur a préféré la satire grinçante et méchante à la parodie burlesque et grotesque.

Si bien que le film est assez bancal. On peut louer l’intention, mais on regrette le premier degré qui le rend caricatural. Il n’y a pas la folie théâtrale de Dr Folamour (Stanley Kubrick) ou la beauté subtile de Melancholia (Lars von Trier). Don’t Look Up s’inscrit davantage dans un cinéma altmanien, où le comportement humain dans un microcosme fermé agit comme une formule chimique, qui, ici, va échouer comme une expérience de Jerry Lewis.

Ce curieux objet mal identifiable n’a rien d’un film catastrophe: il est l’incarnation de la catastrophe. Cela ne retire rien au plaisir de voir ces grands acteurs donner chair à une Olympe au bord de l’effondrement. Mais il est étrange qu’un film aussi engagé et frontal s’accomode exactement de tout ce qu’il dénonce. Les Gafas? Le film est diffusé sur Netflix. Le charity business du show biz? DiCaprio, Streep, Hill, Rylance, Grande sont bien là pour porter un message qui va dans leur sens (il faut sauver la planète contre les puissants). Le format des chaînes d’info imposant émotion, distraction et clashs? C’est exactement le format que propose le scénario avec une Blanchett en parfaite Fox New Girl…

C’est ce qui dérange, en dehors de scènes superflues, d’un montage qui se relâche parfois, d’un simplisme un peu trop facile et d’un scénario souvent trop prévisible. On est dans une ambiance ambivalente, toute à la fois sucrée, salée, amère, acide, épicée. On ne parvient pas à libérer nos zygomatiques ni à verser quelques larmes, à avoir l’estomac serré ou la cervelle en ébullition. Le film veut juste tendre un miroir à notre misérable condition humaine, qui se complait dans le confort et le déni (justement). Le peuple a choisi la pilule bleue de Matrix, pas la pilule rouge. Le spectateur aussi.

Star System

Adam McKay et Lana Wachowski, même combat? Sans doute : ils utilisent les codes hollywoodiens pour mieux nous avertir des dangers d’une société où nous déléguons tout à des élus stupides et égocentriques, des milliardaires qui maîtrisent nos algorithmes et n’ont foi que dans leurs technologies, à des journalistes devenus potiches et amuseurs publics. On n’en sort pas réconfortés… Adam McKay ne cherche d’ailleurs pas à nous rassurer ou nous consoler : il nous offre une vision volontairement pessimiste de notre époque. Ouvrez les yeux nous demande-t-il. Mais il a conscience que nous détournons le regard et, au pire, que nous profiterons de la fin du monde pour faire la fête, s’offrir un utlime bon dîner ou baiser… Adam McKay vise haut mais n’atteint que la stratosphère de son sujet. On peut regarder les étoiles ou les yeux de l’autre, finalement, on en vient à regarder le sol, cette Terre condamnée à disparaître. On observe les étoiles d’Hollywood s’aligner pendant qu’un résidu de cosmos va s’écraser sur nous. Même combat à l’écran et dans la réalité.

Pourtant le film est assez malin pour contourner ses défauts et s’avère forcément plaisant grâce au show de ses acteurs. S’il évite le navet, c’est grâce à cet instinct primaire de vouloir pousser le bouchon si loin que la fiction est dépassée par l’actualité. Alors: qu’est-ce qui sauve cet objet politique trop signifié?

Génération désenchantée

Jennifer Lawrence. Bizarrement, grâce à son personnage de Kate Dibiasky, jeune astronome aux cheveux rouges et mal fagottée, assez radicale et puriste jusqu’au bout, cette tragi-comédie change de dimension. Elle est la découvreuse de la météorite, la lanceuse d’alerte qui se bat pour la vérité, une sorte d’alter-élitiste qui refuse d’être influenceuse. Elle comprend, comme le spectateur, que tout va virer au fiasco. Que l’idéal est perdu à cause de quelques décideurs aveuglés par leur puissance. C’est de loin le personnage le mieux écrit (même son running gag est le plus réussi). « Il faut détruire Dibiasky » entend-t-on, en parlant de cet astéroïde qui porte son nom. Mais on comprend bien que le système veut surtout museler et « tuer » la jeune trouble-fête. Fataliste, elle va attendre la fin du monde sans fracas, en Christ crucifiée sur l’autel de l’individualisme. Elle y croisera d’ailleurs un apôtre (Timothée Chalamet qui improvise joliment un jeune skater mystique) pour adoucir sa fin du monde…

De loin, ce couple mélancolique et lucide, permet au film de laisser entrer un peu de lumière dans ce final crépusculaire. Il y a, évidemment, un épilogue post-générique, qui remet le film droit dans ses bottes de farceur. Sans aucun doute la séquence la plus drôle (même si sa mise en scène est assez ratée), qui démontre bien que les algorithmes ont toujours raison… On en revient à Matrix : l’humanité se dépense beaucoup, mais les machines (et la Nature) vaincront.