Et si le film de l’année était la mini-série « It’s a Sin » ?

Et si le film de l’année était la mini-série « It’s a Sin » ?

En cinq épisodes d’une heure environ, It’s a Sin fout littéralement une claque. Scénario ciselé et bien construit sur un sujet engagé, personnages empathiques dont on saisit toutes les nuances, casting parfait, portrait d’une époque, musique comprise, habilement reconstituée.

Deux ans après Years and Years, Russell T Davies frappe une fois de plus en plein cœur. Après sa dystopie entre Black Mirror et Minority Report, où il décryptait intelligemment le présent en se projetant dans un proche futur très réaliste jusqu’à nous bouleverser, le créateur continue de maîtriser son observation affutée et ironique de la société mais aussi le mélo poignant entre bonheurs partagés et drames inconsolables.

Cette année, nous aurons été plaqués à nos fauteuil avec des récits de deuil, de solitude et dans une certaine mesure de liberté retrouvée avec de grands films comme Drive My Car, Memoria, Compartiment n°6, Annette, Serre moi fort, L’événement, Mères parralèles ou La main de Dieu, pour n’en citer que quelques uns.

It’s a Sin en est la parfaite symbiose. La mort est omniprésente avec ce sale virus (VIH) qui se propage (écho à notre vécu subit depuis deux ans). La solitude s’empare même des plus sociables quand il s’agit d’affronter la maladie ou le manque d’amour. Mais les survivants peuvent apprendre une leçon de tout cela : la liberté et l’instant présent sont des valeurs très précieuses qu’il ne faut pas renier ou gâcher.

Left to my own devices

Ce club de cinq jeunes qui s’installent à Londres au début des années 1980 et vivent dans l’insouciance, entre le marteau de la politique de Margaret Thatcher et l’enclume du conservatisme anglais, vibre à 120 battements par minute. Au milieu, il y a la musique (pas seulement celle des Pet Shop Boys), l’amitié, l’amour, le sexe (au moins on comprend pourquoi dans Sex Education on nous apprend à faire un lavement anal), les aspirations… bref un groupe de marginaux qui cherchent à vivre leurs désirs et leurs rêves loin des diktats familiaux, moralistes, politiques, religieux.

A l’origine, il y avait huit épisodes d’écrit. Mais le sujet – le début des années SIDA et les premières victimes, l’homosexualité frontale – a effrayé les diffuseurs. Pourtant ce chef d’œuvre du genre, aussi poignant que drôle, plein d’humanité, est un tour de force flamboyant dans le storytelling et la transposition d’une génération. Et même si le Sida est moins létal aujourd’hui grace aux thérapies qui ont évolué, la société ostracise encore les séropositifs. Il est intéressant de voir l’écho d’une pandémie à l’autre, les craintes et la désinformation qu’elle engendre. Chronologiquement il est un prequel de 120 Battements par minute, dont plusieurs scènes se croisent.

Malgré ce contexte dur (émotionnellement, socialement humainement), la troupe d’acteurs fournit l’énergie et la sincérité nécessaires pour nous emporter dans cette fresque qui ne manque ni d’humour ni de vitalité. Olly Alexander, Nathaliel Curtis, Shaun Dooley, Omari Douglas, Callum Scott Howells incarnent chacun une facette de la communauté. Certains choissant une vie cachée, d’autres assumant son excentricité. Extravagances et coups de massue, romance et suspense se mixent comme un cocktail délicieux à la fois grisant et piquant.

Was it worth it?

Mais c’est le personnage de Lydia West, révélée dans Years and Years , qui crève l’écran. Elle est la fille dans la bande de gays. Elle hérite a priori du rôle le plus ingrat. Portant, elle est le lien, la bienveillance, la représentante de tous ces invisibles qui ont tenu la main de leurs amis mourants. Elle crève nos cœurs par sa force et sa sensibilité et symbolise parfaitement cette série. Hervé Guibert écrivait : « Le plus douloureux dans les phases de conscience de la maladie mortelle est sans doute la privation du lointain, de tous les lointains possibles, comme une cécité inéluctable dans la progression et le rétrécissement simultanés du temps. » Avec son personnage de Jill, elle est celle qui nous perfemet de croire encore que l’horizon est visible et le lointain possible. Même quand la nuit tombe définitivement.

Pas besoin d’une météorite qui s’effondre ou d’un multivers. Un jeune homme qui meurt dans sa chambre d’enfant nous rappelle combien nos existences sont fragiles. It’s a sin n’a rien d’un péché mortel. C’est le virus qui est fatal. Pas de jugement dernier, pas d’enfer ou de paradis. La série nous montre que la plus belle des vertus reste l’amour, le regard de l’autre. Par-delà les genres, les âges, les nuages…