Sara Forestier
Sara Forestier. Elle trouve que son nom est passe-partout, alors elle emprunte celui de Bahia BenMahmoud pour Le nom des gens. Rencontre avec une actrice nature et généreuse.



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Brillante Mendoza, chef de file du cinéma philippin contemporain, est régulièrement sélectionné dans les grands festivals internationaux depuis le milieu des années 2000 : Le Masseur à Locarno en 2005, John John à Cannes et Tirador à Toronto en 2007, Serbis à Cannes en 2008, Lola en 2009 à Venise, Kinatay à Cannes en 2009 (avec un prestigieux prix de la mise en scène en prime), Captive en 2012 à Berlin, etc. . C’est donc fort logiquement que le festival international des Cinémas d’Asie de Vesoul lui a décerné son Cyclo d'honneur 2014, et lui a proposé de présider le jury international de sa 20e édition, qui proposait justement un regard sur le cinéma philippin.

Disponible et d’une grande simplicité, le cinéaste en a profité pour présenter une rétrospective de son travail, participer à une table ronde sur le cinéma de son pays, et aller à la rencontre des festivaliers. L’occasion de l’écouter parler avec énormément de précision de son travail minutieux de mise en scène, des sujets qui l’inspirent, ou encore de l’état actuel du cinéma philippin indépendant. Rencontre passionnée et passionnante.



EN : Malgré tout, ce qui est aussi intéressant dans le film, c’est de voir qu’il y a une demande internationale pour ce type de films. C’est un cercle vicieux dans lequel les occidentaux et le marché des festivals ont leur part de responsabilité.

BM : Oui, je suis tout à fait d’accord avec ça. C’est pour ça que j’aime l’idée de départ du film, une comédie autour de ces cinéastes. D’ailleurs, c’est une parodie de l’un de mes films, John John, ce qui ne me dérange pas, car les réalisateurs de Woman in septik tank sont tous mes amis. Mais ils connaissent mes réserves sur le film.



EN : On parlait tout à l’heure du fait que vos films sont souvent inspirés de faits réels. Mais comment faites-vous le tri parmi tout ce qui arrive chaque jour ? Comment choisissez-vous parmi tous les sujets qui se proposent à vous ?

BM : Je crois que ça dépend de la manière dont vous recevez ces sujets. Dans le monde, il y a beaucoup de problèmes. Il faut donc être très précis. Il faut savoir exactement ce que l’on essaye de dire avec un film. Par exemple, si je m’intéresse à un sujet concernant des gens pauvres, je dois avoir précisément à l’esprit ce que je cherche à dire sur eux. Pourquoi je veux faire un film sur eux ? Par exemple, dans Lola, qu’est-ce que j’essaye de dire ? Je ne raconte pas l’histoire de gens pauvres. Je raconte l’histoire de gens qui ont un problème : d’un côté, une vieille dame veut enterrer son petit fils mais elle n’a pas l’argent nécessaire. De l’autre, une autre vieille dame veut faire sortir son petit-fils de prison. Voilà leurs histoires. Elles doivent faire tout un parcours pour obtenir ce qu’elles veulent. Et une fois qu’elles l’ont obtenu, c’est la fin de leur histoire. Mais cela ne signifie pas que c’est la fin de leur existence, ou que leurs autres problèmes sont résolus. Dans la narration, il y a une chronologie. En tant que réalisateur, c’est important de ne prendre qu’une situation dans cette chronologie, ou juste un thème. Ce n’est pas possible de parler de tout, sinon c’est le chaos. C’est pour cela qu’il ne faut prendre qu’un moment particulier de la vie du personnage, et se concentrer dessus. On ne peut pas parler de tout, ni résoudre tous les problèmes juste en en parlant dans un film. Mais le fait de choisir cette idée pour son film, cela signifie qu’en tant que réalisateur, on amène les spectateurs à réfléchir. Rien que ça, c’est déjà quelque chose…

EN : Pensez-vous justement, lorsque vous faites des films, qu’ils peuvent changer, non pas le monde, mais la manière dont les gens voient le monde ?

BM : Non, bien sûr, cela ne change pas le monde, mais peut-être deux ou trois personnes… C’est un début. Bien sûr, en faisant ce genre de film, mon but est de changer les choses. Pour moi, c’est un grand défi de traiter ce genre de sujets. Donc si une ou deux personnes voient mes films et changent leur manière de voir le monde, c’est déjà un grand accomplissement.

EN : Lors de votre masterclass au Festival Deauville Asia en 2010, vous parliez d’un projet de film concernant un homme, ouvertement gay, qui pendant la semaine sainte, incarne Jesus Christ dans la procession de la Passion depuis plus de vingt ans. Où en est ce projet ?

BM : Je travaille toujours sur ce projet. Il a été accepté à Hong Kong pour une coproduction qui devrait permettre de finir la post-production..

EN : Vous travaillez toujours sur plusieurs projets en parallèle ?

BM : Non, pas tant que ça. Il y a le documentaire dont nous venons de parler, et un autre petit documentaire sur des gens ordinaires. C’est une émission de télévision philippine dans laquelle j’apparais, qui s’appelle "Small acts, big stories" [Petits gestes, grandes histoires]. Il s’agit de gens ordinaires qui réalisent de petites choses utiles pour la société. Je fais également des recherches sur différents sujets. J’ai réuni un groupe de personnes qui font des recherches sur des sujets que je choisis. On se rencontre une fois par semaine pour échanger sur ce que l’on a trouvé, et en tirer une histoire ou un scénario.

EN : Comment décidez-vous qu’un sujet fera plutôt un documentaire ou plutôt une fiction ?

BM : Je peux déjà le savoir en fonction du thème. Par exemple, si je prends un autre sujet sur lequel je travaille, celui de l’industrie de la broderie aux Philippines. C’était autrefois très populaire, mais elle est désormais en train de mourir. Si j’en fais un documentaire, je vais montrer qu’elle est moribonde, ce que tout le monde sait déjà. Mais je voudrais rendre ça plus intéressant, en ajoutant une narration qui rende l’histoire universelle. C’est comme ça que je décide. Ou alors si je ne connais pas le thème sur lequel je travaille. Si je voulais parler d’un sujet que je ne connais pas, par exemple la boxe clandestine, je devrais faire des recherches. Je devrais m’immerger dans ce monde que je ne connais pas, ce qui est plutôt difficile. Je ne veux pas non plus faire un documentaire sur les mineurs, parce que c’est un sujet polémique, clandestin. Je préfère faire une fiction qui soit extrêmement réaliste. Et ça évite d’avoir des problèmes avec la police ou les autorités.

EN : Dans vos films, et dans le cinéma philippin en général, il y a souvent une violence, qui peut être soit physique, soit psychologique. Comment expliquez-vous cela ?

BM : En fait, le public philippin n’est pas vraiment capable de remarquer ça, tant ils y sont habitués. Ils ne voient pas les choses de la même manière qu’un public occidental. Le public occidental voit la douleur et le sacrifice. Mais pour des Philippins, c’est normal. Cela fait partie de leur environnement. Pour Lola, l’un de mes techniciens m’a dit : "Si cela m’arrivait, mes grands parents feraient exactement la même chose." On me demande souvent ce que le gouvernement dit en voyant mes films. La police, ou les militaires… Et en fait, ils ne disent rien, car pour eux, c’est juste un film. Ce n’est pas quelque chose dont ils doivent se préoccuper puisque cela arrive de toute façon. Pourquoi y accorderaient-ils de l’attention ?

EN : Pour finir, vous êtes président du jury du 20e Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul. Quels sont vos critères pour accomplir votre tâche ?

BR : J’ai déjà été membre de jury, et même président, à plusieurs reprises. J’essaye autant que possible de ne pas donner de critères de ce qu’est un bon film, ni de recommandations. Je pense que nous devons apprécier les films, c’est ce que je dis aux autres membres du jury : profitez des films et surtout, ne soyez pas timides : dites ce que vous pensez des films. Si vous aimez un film, expliquez pourquoi. Nous sommes un groupe très ouvert d’esprit. Je pense que cela devrait toujours être comme ça. On n’est pas là pour juger si un film est bon ou mauvais. On le regarde, et s’il propose quelque chose de nouveau, ou s’il nous fait ressentir quelque chose de spécial, alors c’est un bon film. Notre rôle n’est pas de juger du "bon" ou du "mauvais" car il n’existe pas de film parfait.


   MpM et Kristofy

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