Retour au style Dupontel après une échappée dans la fresque historique à la Jeunet, Au revoir là-haut. L’un des plus brillants scénaristes et metteur en scène du cinéma français revient à ce mélange si personnel de comédie loufoque, de personnages décalés et de chronique sociale. On peut retrouver dans Adieu les cons des liens avec Bernie, Le Vilain ou encore 9 mois ferme. Cette cohérence dans son œuvre est ici transcendée par un ingrédient qu’il maîtrise beaucoup mieux avec ce film : l’émotion.
Fiche technique Adieux les cons, d'Albert Dupontel (2020) 87 minutes. Avec Virginie Efira, Albert Dupontel, Nicolas Marié, Jackie Berroyer, Bastien Ughetto. En salles le 21 octobre 2020, nouvelle sortie le 19 mai 2021. 7 César dont celui du meilleur film.
C’est ce qui ressort de ce film inclassable. L’envie, généreuse, de faire plaisir au spectateur. Pas seulement avec le rire, mais aussi avec les larmes. Adieu les cons se repose sur plusieurs piliers, reliés entre eux par des arcs narratifs parfaits. L’écriture est soignée. En 87 minutes, toutes les histoires sont bouclées et aucun personnage, même secondaire, n’est laissé sur le bas-côté.
Adieu les cons, malgré sa veine nihiliste, est un tourbillon hérité de la « screwball comedy » à l’américaine où l’on croise diverses affluences : des Monty Python (forcément, avec , en bonus, Terry Gilliam en guest-star) au cartoon, de Thelma et Louise (la cavale) à Francis Veber (deux êtres que tout opposent vont s’unir dans une même cause). Il y a Suze, qui n’en a plus pour très longtemps, et qui veut réparer une erreur de jeunesse. Virginie Efira, doit-on encore le dire ?, est assurément l’une des plus grandes actrices de sa génération et du moment. Capable de passer par toutes les nuances, du plus sombre au plus lumineux, et apportant avec justesse tous les sentiments nécessaires pour faire passer la bonne émotion. Elle croise un Jean-Baptiste, solitaire au bord du gouffre, qui rate son suicide (on croirait du Pierre Richard). Ensemble, malgré eux, ils vont devoir surmonter leurs gaffes, affronter la bêtise humaine, s’allier à des comparses tout aussi exclus de la société qu’eux : un archiviste aveugle, un vieil homme alzheimer, sans oublier un nerd handicapé de l’amour et passablement… Tous des psychotiques, comme l’auraient clamé les deux vieilles pies dans L’extravagant Monsieur Deeds.
Enfermés dehors, traqués, dépités par ce monde qui s’effondre, ils vont tous faire corps autour de Suze pour enquêter et atteindre sa quête : retrouver le fils qu’elle a accouché sous X il y a 30 ans. Dupontel aurait pu s’égarer à travers ce labyrinthe urbain et nocturne. Mais il n’y a pas un gramme de gras, tout s’entrelace parfaitement et s’enchaîne sans temps morts. Jusqu’à l’issue imprévisible et qui laissera K.O. debout, il prend soin des lumières, du cadrage, des mouvements de caméras et de ses acteurs. Un escalier en colimaçon ou un ascenseur transparent immobilisé, les reflets d’une ville en construction ou les intérieurs qui traduisent parfaitement la personnalité de celui ou celle qui y habite, tout est conçu pour qu’une idée soit transformée en plan de cinéma.
Plus pessimiste que ses autres films, Adieu les cons n’en est pas moins un « feel-good movie » qui touche au cœur. Quand un médecin demande gentiment un câlin, quand une femme dialogue avec son soi plus jeune imaginaire, quand un quinqua geek parano se reconnaît dans un jeune geek associal, en l’observant seul dans son appartement… Si Albert Dupontel n’a pas oublié sa propension géniale à créer des répliques drôles, des situations burlesques ou des catastrophes absurdes, il a su insuffler de l’humanité et de la compassion. On éprouve de la sympathie et bien plus. Et on comprend bien que l’amour, poétique ou tragique, taiseux ou tactile, est la seule valeur qui aide à survivre dans une société profondément injuste et souvent méprisante. Ce gros « Fuck you » qu’il (ba)lance souligne avec panache son anarchisme et soulage nos colères à travers une comédie cathartique.