Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida: une exposition qui fait revivre le cinéma égyptien au féminin

Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida: une exposition qui fait revivre le cinéma égyptien au féminin

Le mot Divas n’est pas usurpé pour l’exposition de l’Institut du Monde Arabe. D’Oum Kalthoum à Fayrouz, en passant par Warda et Dalida, ces icônes de la chanson du siècle passé ont propagé (et actualisé) leur art à un niveau international. La plupart de ces artistes, aidées par leur notoriété, ont été à l’avant-garde des mouvements féministes ou anti-colonialistes, tout en état de remarquables animatrices de la vie intellectuelle et de formidables femmes d’affaires. L’exposition Divas nous propose un parcours dans le temps, à travers un siècle, mais aussi à travers les arts : la mode, la musique, évidemment, et le 7e art.   

Tout commence dans les années folles, avec Aziza Amir et Assia Dagher. Ces pionnières étaient productrices, réalisatrices, actrices, danseuses, chanteuses, écrivaines, journalistes…. En 1932, Nadra devient une star grâce à son rôle dans le premier film chantant égyptien, La chanson du cœur de Mario Volpe. Aziza Amir produit, co-réalise (avec Widad Orfi) et interprète le premier film égyptien, muet, en 1927 : Laila. La même année, avec Ahmed Galal, elle filme La fille du Nil. Le cinéma d’alors est une affirmation du féminin dans un monde machiste pour ne pas dire patriarcal et conservateur. Ce sont elles qui détiennent les clés du succès populaire, imprimant ainsi leur pouvoir sur la société. Elles perturbent l’ordre social, en s’émancipant et en montrant des femmes souffrant de la réalité sociale et des dogmes religieux et culturels.

Mais c’est bien la comédie musicale qui va devenir le symbole du cinéma égyptien. Car, par la suite, les plus grandes stars apparaîtront dans toutes ces productions flamboyantes et chantantes, entre grand amour et tragédie, qui n’est pas sans rappeler le cinéma indien, avec musique et danse pour divertir le public. Oum Kalthoum, « L’astre de l’Orient », sera à l’affiche de six films avant de devenir l’ambassadrice un panarabisme de Nasser. C’est le cinéaste Youssef Chahine, qui filme l’un de ses concerts, et, surtout, ses funérailles monumentales et interminables dans les rues du Caire envahies par cinq millions de personnes.

Asmahan, princesse druze, jouera dans deux films. La fin du deuxième, Amour et Vengeance, de Youssef Wahbi, sera changée à cause du décès accidentel, à l’âge de 27 ans (décès alimentant toutes sortes de théories criminelles), de l’une des plus belles voix de l’époque.

Warda Al-Djazaïra, née à Puteaux, d’origine algérienne, fera carrière de Beyrouth au Caire, où elle appelée par le cinéaste Helmi Rafla, avant de vendre des dizaines de millions d’albums, avec des chansons qui sont encore aujourd’hui remixées pour les night-clubs.

Enfin, Fairouz, la libanaise, toujours vivante et toujours adulée, star mondiale, attire aussi les grands réalisateurs. Mais, refusant de quitter le Liban trop longtemps, ce sont les cinéastes – Henri Barakat et Youssef Chahine (Le vendeur de bagues) – qui viennent la filmer à Beyrouth. On peut ainsi la voir en robe bleu turquoise, façon My Fair Lady, s’amuser dans une opérette musicale, genre qu’elle a contribué à créer dans son pays.

Dans les années soixante-dix, le crépuscule approche. La censure, la bureaucratie, les nationalisations, la mort de Nasser, tout cela entraîne un virage vers un cinéma plus social, moins divertissant. Les cinémas ferment. La télévision prend sa place.

Mais avant cela, on est invité à traverser un long couloir qui fait office de mémorial d’un 7e art disparu ; on admire robes glamour et photos extraites de film, couvertures de magazines de cinéma d’antan et cartels explicatifs. « Hollywood sur le Nil » c’est l’âge d’or du cinéma cairote autant que celui des stars. L’Egypte se transforme en quatrième puissance mondiale du cinéma entre la fin des années 1930 et le début des années 1970. Une arme de soft power qui inonde le marché du cinéma arabe, à raison d’une cinquantaine de films par an. Danseuses et actrices, Tahiyya Carioca (120 films !) et Samia Gamal (vue dans Ali Baba et les quarante voleurs) sont adorées. Souad Hosni, « la Cendrillon de l’écran arabe » (la plus éclectique avec des polars et des mélos dans sa filmographie), Laila Mourad, Faten Hamama (qui tourne avec Ezzedine Zoulficar, Henri Barkat, Salah Abou Seif, Youssef Chahine), épouse d’un jeune premier nommé Omar Sharif, Sabah, Hind Rostom (qui elle aussi passe du drame psycho à la comédie) seront les têtes d’affiche d’un cinéma oublié et pourtant si influent à l’époque.

L’ultime star/diva est plus connue pour ses chevelures blondes vertigineuses et ses tubes discos. Dalida. Miss Egypte 1954 est très rapidement courtisée par le cinéma. Son premier rôle, la même année, est celle d’une vamp (brune) dans Un verre, une cigarette de Niazi Mostafa. Sa carrière cinématographique s’interrompt dès le tournage du Masque de Toutankhamon, où elle séduit Gil Vidal. Le réalisateur Marco de Gastyne la convainc de partir pour Paris. Elle se lancera dans la musique. Elle ne reviendra au cinéma qu’en 1986, juste avant sa mort tragique. Youssef Chahine la transforme et casse son image dans Le sixième jour, un rôle dramatique et réaliste d’une blanchisseuse égyptienne.

Chahine est alors l’une des figures de proue du cinéma arabe dans le monde, l’un des derniers survivants de « Nilwood. ». Il nous donnera les pyramides du distributeur Pyramide. Le destin, splendide fresque historique, est récompensé à Cannes pour les 50 ans du Festival, sorte de chant du cygne pour le cinéma égyptien à la fin du XXe siècle.

Depuis quelques années, le cinéma arabe reprend des forces, notamment celui venant du Maghreb. Les DJs et groupes sont électros ou rocks, chantant souvent en anglais. Les divas ont disparu.

L’exposition s’achève avec une partie contemporaine dédiée à la création (et notamment les belles photos de Fouad Elkoury (la spectatrice dans la salle de cinéma , le projectionniste) ou encore les photogrammes détournés, et féministes, de Nabil Boutros.

Dans un film court de douze minutes, avant la fin de l’exposition, on pourra découvrir le travail du photographe Youssef Nabil : I Saved My Belly dancer, sorte de Beau au bois dormant (Tahir Rahim étant l’endormi, Salma Hayek la princesse latino-libanaise), célèbre la danse orientale tout en s’inspirant de ce cinéma égyptien disparu. Un conte coloré et vintage où la danse du ventre est sublimée. Le mouvement, l’image et les chants sont entremêlés et indissociables. Une pointe de nostalgie nous envahit, alors même que Bollywood (Inde) et Nolllywood (Nigéria) dominent désormais les écrans sub-méditerranéens et orientaux.

Ces divas du dancing et du celluloïd méritent qu’on les découvre ou qu’on les redécouvre. Et surtout que leurs films puissent continuer à être restaurés…

A noter

Au Ciné-IMA, dix films sont projetés, parmi lesquels six fictions signées Ahmed Badrakhan, Youssef Chahine et Niazi Mostafa.
Une nuit de la comédie musicale arabe aura lieu le XXe avec quatre films de Shirin Neshat, Ahmed Badrakhan, Youssef Chahine et Henri Barakat.