Vers la bataille d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux : cache-cache introspectif avec la guerre

Vers la bataille d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux : cache-cache introspectif avec la guerre

Pour son premier long métrage, après plusieurs courts remarqués comme Les Vies de Lenny Wilson en 2018, Aurelien Vernhes mêle la petite et la grande histoire au cœur de la guerre d’indépendance mexicaine, qui oppose les troupes du président Juarez à celles de Napoléon III. Les paysages, sublimés, plantent le décor à la fois monumental et sauvage de la double tragédie qui se joue. Il y a celle, intime, du personnage principal, un photographe qui fuit sa propre douleur, obsédé par l’idée de fixer la guerre sur l’une de ses plaques de verre.

Et puis il y a la tragédie collective, sans cesse renouvelée, des combats et de la violence. Celle-là demeure presque totalement cachée, au désespoir du personnage principal. Car plus il cherche le théâtre des affrontements, plus ceux-ci se dérobent à lui. Cela en devient même presque comique tant le sort semble s’acharner sur le seul homme qui recherche la guerre avec tant de fougue : Il croit arriver sur un champ de bataille : c’est une reconstitution. Il entend des détonations et tombe dans une fosse dans laquelle il demeure prisonnier, incapable de voir ce qui se déroule à la surface. Il rêve de fixer pour l’éternité la gloire des combats, mais ne parvient à découvrir que des villageois agonisants, lâchement assassinés. Quoi qu’il fasse, les combats lui résistent : il arrive toujours trop tard.

Il erre donc, impuissant, dans un territoire inconnu et qui lui échappe. Classiquement, cette errance est l’occasion de rencontres. Le film retombe là dans un schéma plus convenu, et plus ronronnant. Il y a le bon Mexicain et le mauvais Français, l’admirateur qui devient un rival, le protecteur qui trahit sa promesse… On est moins convaincu par cette énième histoire d’amitié et de transmission entre deux hommes que tout semblait opposer, aussi louable le symbole soit-il.

Là où le film surprend plus, c’est lorsque surviennent brutalement au milieu de la jungle mexicaine du XIXe siècle des considérations d’aujourd’hui. Deux conceptions s’opposent en effet : d’un côté, la volonté du général français de produire des images de guerre, quitte à s’arranger avec la réalité. De l’autre, l’obsession quasi maladive du photographe, précurseur des reporters de guerre, qui veut témoigner en captant la réalité brute. La tentation des fake news n’est pas neuve : « les premières photos truquées datent de la guerre de Sécession, au milieu du XIXe siècle » rappelle le réalisateur.

Pour autant le film ne tombe pas dans la démonstration dialectique, ni dans l’ode au photo-journalisme moderne. La rencontre finale entre le photographe et la guerre se fera hors champ, et nous n’en percevrons que des bribes. C’est que la question de la guerre, de sa perception et de sa dimension fantasmée, intéresse finalement plus le réalisateur que celle des images. C’est pourquoi il imagine ce jeu de cache-cache incessant, ce portrait en creux auquel rien ne manque, y compris parfois les aspects les plus appuyés (« Regarde ce que la guerre fait aux gens » intime le paysan mexicain à son camarade).

L’ambition d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux est manifeste, mais elle le dépasse parfois un peu. Vers la bataille n’est pas exempt d’afféteries, de facilités d’écriture, voire de maladresses. Pourtant, c’est son désir de rendre palpable les réalités complexes d’une époque (l’omniprésence endémique de la guerre, les balbutiements d’une nouvelle technologie, la nécessité d’aller à l’encontre de ses préjugés raciaux…), intimement imbriquées à la quête de sens d’un homme ravagé par la douleur, qui lui donne tout son sens. On se laisse porter, puis émouvoir, par cette errance dont on ne perçoit que tardivement à quel point elle est désespérée.

Fiche Technique  
Vers la bataille d'Aurélien Vernhes-Lermusiaux (France, 2020) 
Avec Malik Zidi, Leynar Gomez, Thomas Chabrol, Maxence Tual... 1h30
Sortie le 26 mai 2021