« Cruella » : quand le Diable s’habille glam-rock

« Cruella » : quand le Diable s’habille glam-rock

On la voyait toujours binaire : folle et méchante. Mais Disney a voulu revampé l’un de ses plus célèbres vilaines (née dans l’imagination d’une écrivaine britannique, Dodie Smith). C’est même un coup d’éclat glam-rock inattendu dans l’univers des productions du studio. On est immergé dans le blockbuster pour ados et influenceurs et influenceuses, avec un mix du Diable s’habille en Prada (patronne tyrannique et perverse narcissique, fashion world) et du Joker (côté nantis et aristos).

On ne naît pas Cruella, on le devient à cause des autres, pour se faire une place au soleil. Elle fut d’abord Estella (comme dans Les grandes espérances). L’étoile, pour briller, va devoir se métamorphoser (pour ne pas dire se réincarner) en De Vil (Devil, le diable). Pour cela, on nous déroule un film pétaradant, extravagant, explosif, entre mélo familial et punch-lines, mimiques bien étudiées et trahisons bien programmées.

Emma Thompson dans Cruella

Cruella est une grosse production, rythmée qui laisse parfois à bout de souffle, portée par deux Emma.  La Stone, dans le rôle de la jeune souillon (façon Cendrillon), ambitieuse, indomptable et sans remords, qui impose son charme et son charisme habituel avec un jeu aussi précis que ludique. La Thompson, reine des abeilles (façon belle-mère de Blanche-Neige), qui en impose même de dos, même sans rien dire, même avec deux tranches de concombres sur les yeux pour une sieste toujours avortée. Lutte des générations (et des classes) à travers deux actrices radicalement différentes (et d’époques différentes).

« Une jupe bien coupée peut sauver une vie ».

Cette alchimie fonctionne bien, même si elle a un air de déjà vu. Le match des pauvres marginaux contre les riches bourgeois vaniteux et capricieux est plié d’avance. Même si on se demande par quel subterfuge Cruella va damer le pion à la baronne. L’enfer est pavé de bonnes intentions qui tournent mal. Cependant, les scénaristes se sont régaler à imaginer une histoire oedipienne, avec twist (anticipé hélas) final qui épice cette liaison dangereuse entre deux femmes dominatrices et puissantes. Disney creuse un peu plus le sillon des héroïnes badass, de Maléfique à Black Widow. Et c’est assez jouissif.

Musiques et costumes loin de l’univers Disney

Mais, si Estella/Cruella veut faire de l’art et du grabuge, le film reste beaucoup plus propre que son personnage (jusqu’à évacuer toute forme de libido ou de sexualité dans un Londres post-sixties pourtant très libéré).

Emma Stone punk no-future dans Cruella

Non la schizophrénie et la provocation sont ailleurs. Le film ne serait qu’un honnête divertissement prévisible et convenu s’il n’y avait pas, pour commencer, la bande originale musicale : une compil rock et punk du Londres des années 1970 insufflant une énergie et un esprit rebelle à l’ensemble. Jusqu’au mythique et logique Sympathy for the Devil. Et ensuite il y a cette fabuleuse direction artistique, notamment côté costumes, illustrant parfaitement le caractère de chacune, leur folie et leur génie créatif (jusque dans les coups bas). Trois cent costumes fabuleux, empruntant autant à Vivianne Westwood (big hommage à l’impératrice du look punk, qui mixait noblesse ancienne et matières contemporaines) qu’à Gaultier, Courrèges ou Mugler.

Cruelle mais juste

Estella/Cruella symbolise un nouveau monde et s’acharne à envoyer l’ancien dans les oubliettes. L’orpheline et l’impitoyable se livrent une guerre des nerfs où les dalmatiens ne sont pas encore 101. Loin du film où Glenn Close incarnait la diva aliénée aux cheveux bicolores, ce Cruella est le portrait lisse et esthétique d’une sale époque, d’une jeunesse qui explose les codes en se les appropriant, mais surtout l’hommage à une culture seventies, désormais broyée dans le mainstream mondialisé. Tout cela rend le diable bien sympathique…