Annecy 2021 : Ma famille afghane de Michaela Pavlatova, Afghanistan intime

Annecy 2021 : Ma famille afghane de Michaela Pavlatova, Afghanistan intime

Présenté en compétition lors de ce 60e Festival d’Annecy, Ma Famille afghane (My sunny Maad en version originale) est le premier long métrage d’animation de la réalisatrice tchèque Michaela Pavlatova, à qui l’on doit des courts très repérés comme Reci, reci, reci (nommé à l’Oscar), Repete (Ours d’or à Berlin) et Tram (Cristal du court métrage à Annecy en 2012), mais également des longs métrages tournés en prise de vue continue (Faithless games, Children of night). Il s’agit de l’adaptation du roman Freshta de Petra Procházkova, qui raconte à la première personne le quotidien d’Herra, une jeune femme d’origine tchèque qui, par amour, quitte tout pour s’installer en Afghanistan avec Nazir, son futur mari.

Loin d’être un énième portrait manichéen du pays, le film raconte de l’intérieur, avec humour et tendresse, les petites choses de la vie comme les grands bouleversements qui frappent les personnages. On découvre ainsi la vie au sein d’une famille afghane traditionnelle ainsi que la manière dont l’héroïne parvient à trouver sa place dans ce monde si éloigné du sien.

Intimité ténue et sensible

Avec un mélange d’humour et de tendresse, la voix d’Herra guide le spectateur dans cette existence certes très codifiée, mais dont les contours nous sont on ne peut plus familiers. Comme dans toutes les familles, il y a des dissensions et des complicités, des moments joyeux et des disputes. La belle-mère ne manque pas de s’immiscer dans la vie du couple, le grand-père est un homme chaleureux et bienveillant, les enfants sont plein de vie et d’enthousiasme… En Afghanistan comme ailleurs, le quotidien se décline en repas, courses au marché, discussions animées et soirées télé.

On est ainsi immergé dans une intimité ténue et sensible, déroulée sous la forme d’une chronique elliptique, comme si le personnage principal égrainait des souvenirs au fur et à mesure qu’ils lui reviennent. Une fois ce cadre domestique posé, le récit peut alors confronter ses personnages, à la fois entre eux, et à leur propre vision du monde. Il est assez passionnant de découvrir la complexité de chacun et notamment des protagonistes masculins tiraillés entre les valeurs inculquées par leur édition et leurs sentiments, entre le poids de la société et leurs désirs, entre une tradition qu’ils ont intégrée par habitude et la remise en cause induite par la présence d’Herra.

Le film évite ainsi le manichéisme jusque dans la finesse du beau-frère autoritaire et jusque-là antipathique, qui se décompose soudain sous nos yeux lorsque sa famille l’oblige à priver ses enfants de leur mère, comme le veut la coutume en cas de séparation.  Nazir, l’époux de la jeune femme, doit lui aussi composer avec ses contradictions. C’est à la fois un mari aimant, et même amoureux, et un pur produit d’une société qui exige la soumission de la femme à son père ou époux. Par petites touches, et avec beaucoup de délicatesse, Michaela Pavlatova dessine ainsi une relation de couple assez bouleversante, qui oscille entre une tendresse qui a peu de champ pour s’exprimer (à l’exception d’une très belle scène d’amour dans le secret de leur chambre) et une incompréhension mutuelle parfois difficile à surmonter. 

Portrait nuancé et inattendu

On est touché par le refus de la réalisatrice de porter un regard définitif ou explicatif sur l’Afghanistan, comme c’est trop souvent le cas dans les oeuvres récentes se penchant sur le pays. Ici, l’intrigue reste au plus près du point de vue des personnages, afin d’éviter les fantasmes et poncifs habituels sur le pays. Si Ma Famille afghane adopte le regard d’une occidentale sur la société afghane, il s’agit donc du regard légitime d’Herra, qui l’appréhende de l’intérieur, en connaissance de cause, et non dans une posture de supériorité ou de néo-colonialisme paternaliste. Sans pour autant édulcorer les difficultés, nombreuses et souvent dramatiques, le film brosse ainsi un portrait nuancé et assez inattendu d’une réalité dont on ne connaît généralement que les pires facettes.

Le travail esthétique réalisé par Michaela Pavlatova fait beaucoup dans la relative douceur du film. Choisissant un trait extrêmement simple, et une animation dépouillée qui repose beaucoup sur le plan fixe et l’économie de mouvement, elle permet au récit de prendre son temps, et d’aller à l’encontre de la frénésie qui, plus encore dans l’animation qu’ailleurs, devient parfois un tic d’écriture.

Clairement moins recherché formellement que des longs métrages comme Parvana ou Les Hirondelles de Kaboul, Ma Famille afghane rompt un peu avec l’idée que l’animation doit être « jolie » ou spectaculaire, pour se concentrer sur l’expressivité du dessin en tant que tel, et des multiples nuances qu’il apporte à la narration. Le pari semble réussi, tant on se laisse emporter par la fluidité du récit, et par l’émotion très subtile qui affleure sans cesse. 

Fiche technique
Ma Famille afghane (My sunny Maad) de Michaela Pavlatova
(République tchèque / France, 2021)
1h20

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