Cannes 2021 | Avec Lingui, Mahamat Saleh Haroun se fait l’avocat des femmes

Cannes 2021 | Avec Lingui, Mahamat Saleh Haroun se fait l’avocat des femmes

Lingui est présenté en compétition à Cannes. Un film sur la sororité qui aborde deux sujets tabous en Afrique: l’avortement et l’excision.

Lingui signifie les liens sacrés. De retour au Tchad, Mahamat Saleh Haroun filme so n pays comme s’il le redécouvrait, avec sa ville bruyante où fourmillent motos, voitures et bus, où toutes les distances paraissent gigantesques reliant les quartiers où les chemins et ruelles sont en terre battue et les grandes voies bétonnées.

Lingui est une histoire de femmes. Là encore c’est la première fois depuis Daratt en 2006 que le cinéaste remet des personnages féminins au centre de ses intrigues. C’est dans l’air du temps. Le Prix Goncourt des Lycéens a été décerné il y a quelques mois à Djaïli Amadou Amal pour son roman polyphonique, Les Impatientes, qui raconte les violences faites aux femmes (mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie) en Afrique subsaharienne. Ici, c’est aussi une histoire de femmes à travers un patriarcat toxique, une religion dogmatique, l’impossibilité d’avorter et toutes les conséquences d’être fille-mère dans une société où la réputation est construite par les hommes.

Fiche technique
Lingui, les liens sacrés. 87 mn.
En salles le 8 décembre 2021.
Réalisation et scénario: Mahamat Saleh Haroun
Musique: Wasis Diop
Distribution: Ad Vitam
Avec Achouackh Abakar, Rihane Khalil Alio et Youssouf Djaoro
En compétition à Cannes 2021

Une mère seule élève sa fille adolescente, en vivant de manière assez précaire de son artisanat. Elle se tue à la tâche pour lui offrir une éducation décente. Répudiée par sa famille et abandonnée par le géniteur lorsqu’elle est tombée enceinte il y a quinze ans, elle est seule, avec un voisin a priori bienveillant qui la courtise et la religion pour seule compagne. Malheureusement, sa fille est à son tour chassée du lycée, quand elle tombe enceinte. Elle veut avorter dans un pays où l’acte est illégal, immoral et dangereux. La mère va devoir revoir sa conception de leur vie et ses propres règles, jusqu’à s’en affranchir, pour sauver sa fille…

Trop d’ellipses

Mahamat Saleh Haroun ne retrouve pas la poésie et la force de ses grands films, Un homme qui crie et Grigris. Certes, il s’applique à sublimer son pays, grâce à une superbe photo. Mais le scénario est assez cousu de fil blanc et, hormis l’impeccable Achouackh Abakar dans le rôle de la mère, l’interprétation affaiblit certaines scènes. Sur le plan visuel, le réalisateur livre quelques belles séquences (la jeune fille dans le marais, la libération par la danse de la mère). Sur le plan narratif, à travers son sujet « dardennien » , le spectateur sera moins surpris, anticipant même le déroulé du récit.

Il y a quelque chose d’inabouti. Si Lingui est plaisant et beau, il manque de force et d’émotions. Le mélodrame social se regarde comme un beau conte, sans jamais se dépasser. Sans doute manie-t-il trop l’ellipse (au point que le scénario s’en trouve relâché) et préfère-t-il se concentrer sur son allégorie féministe. Car ces liens sacrés sont ceux qui unissent ces femmes qui doivent contourner les Lois et les règles qu’on leur impose. Dans la clandestinité ou en toute complicité, elles s’arrangent entre elles pour les avortements ou les excisions. Cette sororité et solidarité est le moteur du film. Loin de la bourgeoisie locale (à l’exception d’une scène pendant un anniversaire autour d’une piscine), dans un milieu accumulant les stéréotypes et avec une histoire généreuse en clichés, Mahamat Saleh Haroun filme ces femmes puissantes, résilientes, résistantes. Le mâle, en revanche, est vu comme un affreux monstre capable de toutes les horreurs.

Si Lingui manque de nous étonner, il nous rappelle, malgré tout, que la condition des femmes, et leurs combats, sont toujours nécessaires et utiles à défendre. Ce film prouve que le cinéma reste une arme formidable pour refléter cette réalité et (ex)porter un message féministe et égalitariste, notion qu’il ne faudrait pas oublier, même en Occident.

https://youtu.be/k3JXNQsAax8