Cannes 2021 | Suprêmes : le cinéma fait revivre la fièvre « authentik » du groupe NTM

Cannes 2021 | Suprêmes : le cinéma fait revivre la fièvre « authentik » du groupe NTM

Un biopic classique pour un groupe emblématique. Audrey Estourgo s’attaque aux enfants terribles JoeyStarr et Kool Shen.

Ces trois lettres sont devenues leur nom, un tag légendaire du rap. Une trentaine d’années plus tard l’emblématique groupe NTM fait l’objet d’un film, en attendant une série télévisée à venir. L’invective plutôt infâmante (Nique ta mère) est désormais une fierté affichée en grosses lettres dans l’histoire de la musique. Et son insolence est restée, malgré les hauts, les bas, les malentendus, les divergences. Entre eux et les fans ça a été plutôt nikoumouk, et entre leur 9-3 et les autres banlieues ils ont surtout été Le Suprème

Le film retrace leurs débuts, depuis l’origine de leur formation et leurs premières scènes dans les MJC en passant par la signature pour enregistrer un disque et le début d’une plus large tournée jusqu’à la date évènement de leur premier concert au Zénith à Paris devant 6000 personnes. Suprêmes reconstitue en une forme de biopic sagement chronologique l’aventure des débuts du groupe NTM, soit le duo désormais célèbre alliant JoeyStarr et Kool Shen.

L’univers de la rue a fait naître deux poètes

Tu contestes, tu contestes, et pourtant la preuve est faite

NTM – Authentik

Suprêmes commence en 1989 avec un lieu de leur future chanson « Paris sous les bombes » : un groupe de jeunes est en train de tagger une rame de métro. On y entend en dialogue « On va laisser des traces et pas que sur les murs » : c’est une des nombreuses facilités scénaristiques pour annoncer leur destin à travers un parcours glorieux vers un happy end de succès.

Didier vivote parfois dehors sans savoir où dormir, Bruno aide son père le temps d’une courte image. Ils se retrouvent en bande devant Rockin’ Squat, qui lui fait déjà un peu de rap avec le groupe Assassin. Didier avec sa fougue se rapproche de Bruno qui lui écrit déjà un peu des textes, ils comptent aussi sur Franck pour envoyer du beats aux platines. Premier passage sur une petite scène devant leurs potes, et l’énergie est là qui ambiance tout le monde. Le noyau dur JoeyStarr, Koo Shen et DJ S est alors formé; et autour d’eux d’autres breakers pour danser ou reprendre des refrains. Le 93 NTM rassemble alors une trentaine de jeunes qui traînent ensemble…

Mais petit à petit mon possee a grandi

Peace à tous les gens de Saint-Denis

NTM – Paix

1990 : un jeune dandy trop souriant arrive dans leur quartier. C’est Franck Chevalier qui, à côté de son emploi chez Jean-Paul Gaultier, leur propose d’être une sorte de manager pour eux, après les avoir vu sur une scène. Il parvient à leur décrocher un rendez-vous dans une maison de disque (Polydor), mais ça se passe mal car on leur propose un parolier extérieur pour chanter autre chose. NTM continuer de représenter leur Saint-Denis sur d’autres petites scènes, leur 9-3 se bagarre un peu d’ailleurs avec les jeunes du 7-8. Un autre jeune trop chevelu les aborde, c’est Sébastien Farran qui veut également être leur manager, en leur faisant comprendre que ça ne sera jamais possible de signer pour un disque en restant un collectif de 30, citant l’exemple des marseillais IAM, qui sont 6. Le Suprême rechigne à se réduire. Une autre maison de disque (Sony) accueille le trio (JoeyStarr, Koo Shen, DJ S) qui repart avec la promesse d’un enregistrement et un chèque. NTM qui avait alors une seule chanson très solide va devoir en produire une dizaine d’autres, et le groupe se recentre alors autour duo JoeyStarr et Koo Shen. L’aventure NTM est dès lors lancée de manière plus professionelle, il leur faut devenir des artistes.

NTM a su rester veridique

Semant la panique, defrayant la chronique

NTM – Authentik

Dans Suprêmes, Koo Shen est la tête pensante et JoeyStarr le détonateur rugissant : les deux se complètent en faisant des étincelles. Koo Shen devient assez vite pro quand il faut enregistrer derrière un micro, JoeyStarr est souvent négligent et en retard, mais l’alchimie devient évidente pour tous. Audrey Estrougo remplit son contrat avec un biopic grand public, mais il manque la niake et la rage qui imprègnent les chansons du groupe. Un cinéma trop bourge qui ne s’intéresse quasiment qu’aux deux artistes et à leurs problèmes relationnels, notamment ceux de JoeyStarr avec son père. La réalisatrice parvient à échapper à une trop simple énumération d’une suite d’évènements chronologiques avec diverses façons de filmer leurs prestations scéniques, et particulièrement un début de concert dehors sur un parking éclairé par des phares de voitures après le refus d’une salle de les accueillir (‘MC Solaar c’est oui, NTM c’est non’).

Alors va faire un tour dans les banlieues. Regarde ta jeunesse dans les yeux, toi qui commande en haut-lieu

La délinquance avance, et tout ceci a un sens, car la violence coule dans les veines de celui qui a la haine

NTM – Le monde de demain

L’évolution de NTM comme groupe de musique est aussi racontée dans le film avec divers extraits de reportages ou d’émissions de télévision, mixant le phénomène rap grandissant et les problèmes de violences dans des banlieues. Déjà des amalgames. Le premier album sort et NTM devient pour les médias la référence principale du mouvement hip-hop qui se développe. Curieusement le film qui raconte la période 1989-1992 comporte quelques erreurs anachroniques de reconstitution (on y entend l’expression ‘éclaté au sol’ employée environ 20 ans plus tard), comme en particulier une séquence apparaissant dans leur documentaire Authentiques qui aura lieu bien après 1998-1999, et zappe aussi des moments-clés de la montée de leur reconnaissance (comme la diffusion du premier clip réalisé par Stéphane Sednaoui).

La grande force du film est d’avoir su viser juste pour son casting, avec en particulier Théo Christine (JoeyStarr), Sandor Funtek (Kool Shen), et pour les managers César Chouraqui (Franck Chevalier) et Félix Lefebvre (Sébastien Farran). Suprêmes essaie d’éviter une célébration trop hagiographique. On regrettera que Koo Shen y soit peut-être un peu plus effacé (peu de choses avec sa famille, et quasi rien de sa romance avec la chorégraphe Lady V) par rapport à JoeyStarr, bien plus présent avec ses divers problèmes (son père, sa mère, même un peu la drogue). Bien que le film ne soit consacré qu’à leur début, son scénario comporte bien la structure classique au biopic de type ‘rise and fall‘ des protagonistes.

Kool Shen et JoeyStarr y apparaissent comme deux acolytes mais aussi comme deux égos concurrents. Suprêmes s’attache justement à montrer cette complicité/rivalité, comme ressors dramatique classique, et à démontrer la forte complémentarité de NTM.

Fiche technique
Suprêmes, 1h52
Sortie en salles le 24 novembre 2021
Réalisation : Audrey Estourgo
Scénario : Audrey Estourgo et Marcia Romano
Avec Sandor Funtek, Théo Christine, César Chouraqui, Félix Lefebvre, Vini Vivarelli.
Distribution : Sony Pictures Releasing France
En séances de minuit au festical de Cannes 2021