Cannes 2021 | La croisade, Animal, La panthère des neiges : Le cinéma pour le climat ne peut pas être une action éphémère

Cannes 2021 | La croisade, Animal, La panthère des neiges : Le cinéma pour le climat ne peut pas être une action éphémère

Une sélection éphémère et militante. Cannes s’engage en montrant sept films dans « Le cinéma pour le climat », en plus d’une tribune et d’une conférence de presse pour rappeler que la création peut aider à résister à l’effondrement de l’écosystème. Eco-responsable, le Festival a notamment présenté la fiction de Louis Garrel, et les documentaires de Cyril Dion et Marie Amiguet afin d’agir pour le vivant et donner la parole à une jeunesse activiste.

Le Festival de Cannes a créé cette année une sélection éphémère, « Le cinéma pour le climat », composée de sept films. D’emblée, il serait souhaitable que cette sélection soit pérenne. Même avec trois films inédits, avec quelques « classiques », cette initiative mérite d’être prolongée. Après tout la Berlinale a une sélection gastronomie (Culinary Cinema), beaucoup moins engagée.

Si on plaide pour l’installation de cette sélection, c’est d’abord avec un constat. Où est l’écologie, le climat, le vivant dans les sélections cannoises ? Nulle part ou presque (Memoria, Onoda, Cow…). Aucun grand nom du cinéma ne s’empare de ces enjeux, qui concernent pourtant toute l’humanité. L’espèce humaine, dans un monde on ne peut plus chaotique et violent, est au centre de tous les films. Mais jamais son environnement. On nous parle de religion, de politique, d’amour, de la mort, de sexe, de la misère, mais quid de notre rapport à la planète ?

A cette sélection s’est ajoutée une conférence de presse dimanche 11 juillet, avec entre autres, Paloma Moritz, porte-parole d’On est prêt, des réalisateurs sélectionnés et des interprètes des films. Le mouvement On est prêt et l’auteur – réalisateur Cyril Dion ont lancé le même jour une tribune qui veut agir « pour la protection du vivant et la lutte contre le dérèglement climatique. »

« le cinéma doit jouer son rôle pour nous aider à regarder ces réalités en face »

Fondatrice d’On est prêt, Magali Payen, interpelle : « Comment construire ce nouveau monde dont nous parlons tant si nous ne commençons pas d’abord par l’imaginer? Le cinéma a ce pouvoir de nous faire percevoir et désirer les utopies lucides dont nous avons tant besoin… ». Ajoutant : « Et quel meilleur endroit que le Festival de Cannes, événement culturel le plus médiatisé au monde, pour porter encore plus loin ce message, et nourrir l’action ? »

Césarisé pour son documentaire Demain, Cyril Dion croit « profondément que le cinéma doit jouer son rôle pour nous aider à regarder ces réalités en face, mais également pour mobiliser nos ressources collectives et créatives. Mais quelques films ne suffiront pas à changer la donne, nous avons besoin que des centaines d’autres abordent ces problématiques chaque année et proposent d’autres représentations de l’avenir. »

Comme on l’a écrit plus haut, ce n’est pas gagné.

Et puis, si on doit s’en convaincre, Cannes a progressé côté éco-responsabilité : gourdes réutilisables pour limiter l’usage de bouteilles en plastiques, éco-mobilité avec davantage de transports en communs, dématérialisation des tickets… Il y a encore de nombreuses actions à mettre en place pour que le festival soit décarboné, mais chaque petit pas compte.

Dessine moi l’Afrique (La croisade)

Parmi les films sélectionnés, il y a la nouvelle fiction de Louis Garrel, La croisade, avec Laetitia Casta et le jeune (et formidable) Joseph Engel. Ultime scénario de Jean-Claude Carrière, ce presque moyen métrage de moins de 70 minutes part du principe que les adultes n’ont pas agi pour échapper au désastre apocalyptique qui s’annonce, entre égoïsme et matérialisme. Les ados décident de reprendre les choses en main, avec leur propre mouvement altermondialiste (qui opposent radicaux et diplomates), pour reverdir le Sahara. Douce utopie qui affronte leurs parents sceptiques et réacs dans des dialogues bien écrits, où les enfants plient le match en condamnant ses adultes irresponsables. Durant 45 minutes, entre comédie et pédagogie, Garrel démontre intelligemment à quel point l’avenir ne pourra pas se faire sans ces jeunes matures, smarts et effrayés par le monde qu’on leur laisse. Dommage que les vingt dernières minutes quittent ce concept pour une fiction bâclée où l’amour s’avère, quand même, le grand moteur de la vie.

Pas de gorilles dans la brume, mais Jane Goodall dans les bras…

La jeunesse est aussi au cœur du nouveau documentaire de Cyril Dion, Animal. Sur le même principe que Demain, il préfère trouver des solutions, filmer des actions positives, aller chercher des militants qui agissent. Lui aussi s’adresse à la jeunesse, en prenant deux porte-paroles activistes de 16 ans, la londonienne Bella Lack et le francilien Vipulan Puvaneswaran. Cyril Dion les emmène en Inde, au Kenya, aux Etats-Unis, près de Nantes ou dans le Jura, en Normandie et à Bruxelles, et même au Costa-Rica pour rencontrer des experts – la plus connue étant la primatologue Jane Goodall -, lobbyistes, politiques, éleveurs, etc. Ils se confrontent ainsi à des réalités violentes (élevage industriel, pollution du plastique) comme à des actions enthousiasmantes (ferme responsable, restauration de la forêt primitive, protection des espèces en voie d’extinction). Bella, qui a tendance à mépriser l’Homme, devient moins misanthrope. Vitupan, plus axé sur le réchauffement climatique, comprend que l’écosystème est un ensemble à l’équilibre précaire.

Le réensauvagement nécessaire

Jamais manichéen ou moral, le documentaire fait comprendre tous les mécanismes possibles pour limiter la casse causée par le réchauffement climatique et la destruction du vivant (certaines images sont d’ailleurs insoutenables). Contrairement à La croisade, Animal ne va jamais jusqu’à évoquer la surpopulation de la planète. Mais l’humain et sa croissance économique sont bien responsables de cet écocide. Un changement de modèle, déjà amorcé dans quelques pays, serait de mesurer la croissance en bien-être (la santé, l’éducation et le lien social) plutôt qu’en richesse financière. Réparer et restaurer ne suffiront pas.

Compagnon de Dion au sein des éditions Actes Sud (qui organise aussi un festival sur ces enjeux, « Agir pour le vivant », à Arles fin août), l’éthologue et philosophe Baptiste Morizot s’invite dans le film, pour évoquer l’équilibre naturel et notre rapport au vivant, notamment les animaux. Il s’agit de se reconnecter à ce monde. Ne pas croire que nous sommes une espèce à part et supérieure. Partager la planète, et, comme il en faisait l’injonction dans son dernier essai, se « réensauvager ».

Le chat du Tibet est une petite panthère des neiges…

Le réensauvagement et l’animal sont d’ailleurs, aussi, les piliers de La Panthère des neiges. Le récit de Sylvain Tesson avait été un best-seller, auréolé prix Renaudot, en 2019. Il était accompagné par Vincent Munier, photographe animalier, et Marie Amiguet, cinéaste. Un récit désormais en 3D, avec l’écrit, la photo et finalement un film.

Nous voici transportés au Tibet, dans l’attente de croiser la secrète et rare Panthère au pelage grisonnant. Contemplatif et assez lent, le film est généreux en somptueux paysages et en espèces animalières (chat, ours, rongeurs, renard, antilopes, oiseaux…). Hormis quelques nomades et sherpas, l’espèce humaine a laissé vierges ces immenses étendues froides (-30 degrés la nuit en hiver) à 5000 mètres d’altitude. Il faut être à l’affût et patient. Le vivant est en action. Il observe aussi les scruteurs, étrangers. De bien belles images, doublées d’une voix off qui lit des passages du livre, c’est à dire les réflexions de l’auteur. La patience est mère des vertus. Les deux aventuriers solitaires et les spectateurs seront récompensés.

L’homme est un prédateur

Mais, de cette expédition dans l’Himalaya, ou du tour du monde d’Animal, ou encore de la dissertation distrayant de La croisade, on retiendra finalement que le vivant est précieux, que l’animal est vital, et que l’homme va devoir cesser de se comporter en criminel, pour devenir davantage respectueux et apprendre à coexister avec cette biodiversité qu’il menace, dans cet écosystème qu’il détruit.

Aussi, en admirant le Sahara chez Garrel, les forêts renouvelées du Costa Rica chez Dion ou les hauts-plateaux du Tibet chez Amiguet, on ne peut que souscrire au message envoyé par cette sélection cannoise : Le cinéma pour le climat ne peut pas être une action éphémère, ni se contenter de documentaires. Tout le monde doit s’en emparer. Car le problème perdure et la lutte est encore longue.