Cannes 2021 | Titane de Julia Ducournau : les corps en suspens

Cannes 2021 | Titane de Julia Ducournau : les corps en suspens

C’est l’ovni de la compétition officielle de ce Cannes 2021, en premier lieu parce que c’est le type de film qui est habituellement plutôt réservé à une séance spéciale de minuit. C’est d’ailleurs un bon signe que le jury doive voir une plus large variété de films, allant du drame intimiste de presque trois heures à un « cinéma de genre » un peu plus déchaîné.

Fiche technique
Titane, 1h48
Sortie en salles le 14 juillet 2021.
Interdit aux moins de 16 ans.
Réalisation et scénario : Julia Ducournau
Musique : Jim Williams
Photographie : Ruben Impens
Avec Agathe Rousselle, Vincent Lindon, Garance Marillier, Laïs Salameh
Distribution : Diaphana
En compétition au festival de Cannes 2021

Après l’éclat de Grave à la fois en France et à l’international, ce nouveau long métrage de Julia Ducournau était donc attendu, promettant de tout brûler sur son passage : Titane est en effet bel et bien incandescent au plus haut point, et en même temps clivant. Son histoire était restée mystérieuse : une série de crimes, un père qui retrouve son fils disparu depuis 10 ans, et la définition du Titane comme étant un métal hautement résistant et donnant des alliages très durs. Le film commence en effet d’abord avec la brillance du métal, puis des morts et le personnage interprété par Agathe Rousselle pour nous emmener ensuite ailleurs avec le feu qui embrase, le personnage ambigu de Vincent Lindon et peut-être une renaissance.

Julia Ducournau s’intéresse depuis ses débuts aux formes du « body-horror », soit différentes variations de métamorphoses du corps et ses conséquences à la fois pour soi et vis-à-vis des autres. C’était le cas déjà avec son court-métrage Junior (une adolescente voit son corps changer bizarrement), son premier film Mange (la vengeance d’une jeune femme après avoir été humiliée à cause de sa boulimie) et bien entendu Grave (une envie cannibale de manger de la viande humaine). Cette fois, Titane va bien plus loin en s’intéressant à plusieurs corps en transition : une enfant doit retrouver sa mobilité, une femme découvre quelque chose d’étrange qui se développe en elle, un homme s’injecte un produit pour retarder sa déchéance physique, un jeune adolescent doit cacher la nature de son corps…

Audace folle

Titane démarre sur les chapeaux de roues par une suite de séquences et d’évènements qui sont habituellement ce que l’on voit plutôt à la fin d’autres films : une jeune femme qui déraille et qui tue. Julia Ducournau joue avec les codes du « genre » : un peu de « rape & revenge », un peu de « slasher », et une série de meurtres dans une maison avec une énergie très tarantinesque. Avec ce premier tiers qui multiplie les scènes chocs avec une gourmandise notable, il surprend déjà, affichant son ambition d’aller plus loin, et même au-delà. Ce n’est qu’après que le film révèlera sa nature : une nouvelle exploration du genre « body-horror » à travers une héroïne qui va devenir une forme hybride de féminité-masculinité-maternité…

La réalisatrice explore cette hybridation avec une folle audace, et filme inlassablement les corps pour nous interroger : ceux d’Alexia, d’Adrien, du père, d’une petite amie… ou encore des pompiers qui dansent. D’ailleurs, presque tous apportent une modification à leurs corps (tatouages, piercing, piqures, musculation…) pour le faire changer à leurs yeux et à ceux des autres. Avec en corollaire diverses questions de séduction/répulsion liées à la sexualité et aux injonctions de la société, qui décide précisément à quoi chacun doit ressembler.

Slasher « grave »

Mais si Titane brûle quelque chose, c’est avant tout nos rétines, tant on y voit un désir ardent de cinéma. Julia Ducournau ne recule pas devant une mise en scène frontale de la violence, et notamment de la violence auto-infligée. Là où les séquences de meurtre sont presque ludiques, à prendre au second degré, et s’inscrivant dans une certaine tradition du cinéma de « genre », tout ce qui a trait à l’auto-mutilation est filmé de manière plus grave, dans des séquences parfois étirées jusqu’à la nausée, qui en disent plus que les dialogues sur les remous intérieurs des principaux protagonistes.

Car Titane est aussi l’histoire d’une rencontre, et du désir de croire, à tout prix, que l’impossible peut se produire. Il glisse ainsi peu à peu du slasher ironique au chemin de croix cathartique, douloureux et solitaire, perçu comme une délivrance plus que comme une rédemption.