Il est la tête d’affiche de deux films radicalement différents : Tromperie d’Arnaud Desplechin, adaptation d’un livre d’inspiration autobiographique du grand Philip Roth, hors-compétition au Festival de Cannes, et Les 2 Alfred, comédie bricolée par son frère Bruno, en salles depuis un mois.
A la mesure de son immense talent de comédien – comprendre savoir se glisser dans n’importe quel rôle avec une aisance déconcertante – Denis Podalydès incarne à la perfection un écrivain cérébral et libidineux dans l’un et un père largué par son épouse et dépassé par son époque dans l’autre. Il est, dans les deux cas, ambassadeur d’un vieux monde. Celui où l’écrit et la pensée étaient les moteurs de la réflexion, de la révélation de soi, loin des jugements et des carcans.
L’imperfection masculine chez Desplechin
Dans Tromperie, il est marié, infidèle, et, d’une femme à l’autre, s’essaie à un numéro d’équilibriste entre les conventions et les transgressions, le confort sage et la déviance énergétique. Les femmes ne sont pas de simples muses. C’est l’essence même de son être, de ses contradictions, de son insatiable envie de séduction. La définition de son existence, qu’elles soient amies ou amantes, jeunes ou âgées. Ce sont les femmes qui lui renvoient, tel un miroir, le reflet de ce qu’il est : un homme profondément imparfait, un brin cynique, finalement peu loyal.
Desplechin théâtralise chacun de ses duos cisgenres et binaires. Les chapitres se suivent et ne se ressemblent pas, et défile ainsi sa déliquescence. Celle d’un mâle qui a besoin de plaire, et qui ne peut compter que sur sa notoriété et son génie littéraire pour arriver à ses fins. Toutes les actrices – Léa Seydoux, Anouk Grinberg, Emmanuelle Devos, bouleversante et Rebecca Marder – composent ensemble les multiples visages d’une femme idéale. Loin d’être pathétique, Podalydès lui apporte une humanité qui sauve le personnage et ce film très bavard et trop sérieux, où la mise en scène soignée et réfléchie de Desplechin sauve de l’ennui complet face à un exercice presque trop narcissique.
La déconstruction de l’homme
A contrario, dans Les deux Alfred, on bascule dans la fantaisie. Cette fois-ci, Podalydès est plongé dans un monde start-up, avec ses drones, ses écrans, sa mentalité libérale et individualiste. Jobs inutiles, boulots cumulés, technologie dictatoriale… Dans un proche futur presque présent, il se voit engager dans une société dont il ne comprend rien, et à des années lumières de ses préoccupations de mari largué et de père noyé par les contraintes. Amusante, sans être délirante, la comédie aurait pu pousser l’absurde plus loin, à la manière d’un film de Jacques Tati, ou assumer le burlesque, à l’instar des premières comédies de Pierre Richard. Las, le scénario est trop simpliste et la ligne conductrice sans réel enjeu. Quelques séquences tentent de donner du relief, sans que rien ne verse dans le loufoque. Pourtant, là encore, Denis Podalydès réussit, avec la salutaire présence d’une Sandrine Kiberlain assez perchée, à donner du rythme, à fournir la juste émotion, à faire exister ce personnage a priori transparent et banal, au point de le rendre touchant.
D’un homme à l’autre, soit un dominant qui doute de lui et un déconstruit qui résiste au système, Denis Podalydès est capable d’apporter le souffle nécessaire pour que des films bancals ne s’écroulent pas sur eux-mêmes. A l’image de sa formidable prestation, remarquée à Cannes également, dans le film de Christophe Honoré, Plaire, aimer et courir vite. En quelques scènes, il y insuffle une dynamique qui change la tonalité de cette romance provinciale. Plaire, aimer et courir vite est un titre qui définirait d’ailleurs très bien ce comédien prolifique et éclectique.