Cannes 2021 | Moneyboys et Les nuits de Zhenwu, plongée dans une Chine « underground » et maudite

Cannes 2021 | Moneyboys et Les nuits de Zhenwu, plongée dans une Chine « underground » et maudite

L’histoire d’un prostitué homosexuel par Ylin Chen Bo bouscule les tabous de la société chinoise. Tandis que celle d’un récolteur de dettes par Na Jiazuo révèle la précarité d’une population oubliée par le développement économique de l’Empire du milieu. Leurs deux films s’inquiètent pour cette jeunesse sacrifiée et résiliente…

Deux premiers films chinois présentés à Un Certain regard au festival de Cannes 2021 se font écho avec des sujets a priori différents.

Moneyboys d’Ylin Chen Bo, tourné à Taïwan, loin de la censure chinoise, suit un escort homosexuel (et son groupe d’amis) dans un pays où la prostitution et l’homosexualité sont deux perversions pouvant conduire en prison ou à l’hôpital. Fei est jeune et beau, et, après quelques années d’expérience, passe de son village rural aux immeubles crasseux d’une ville moyenne jusqu’à pouvoir vivre dans un bel appartement d’une grande métropole. Partagé entre deux amours et son business, il devra faire un choix cornélien douloureux.

En 1997, Cannes avait montré East palace, West palace, garde à vue quasiment sadomasochiste entre un homo piégé dans les urinoirs et un flic très tenté par son coupable. Le film a été évidemment censuré en Chine. Et le gouvernement a confisqué le passeport de son réalisateur, Zhang Yuan.

Moneyboys

24 ans plus tard, rien n’a vraiment changé dans l’Empire du milieu. Moneyboys s’attaque à deux tabous mis sous le tapis et qui transgressent les valeurs familiales et conservatrices du pays. Clairement, malgré les faiblesses d’un scénario qui abuse des ellipses, et même s’il s’intéresse davantage au parcours psychologique de son personnage qu’à son métier, le film ose montrer le quotidien de couples LGBT – faux mariage, dîner entre amis, faire l’amour ou la cuisine, etc.  – jusqu’à les banaliser avec tendresse. C’est la grande force de Moneyboys, en plus de sa mise en scène (on y revient plus tard).

Car, d’abord, parlons des Nuits de Zhenwu de Na Jiazuo. On est ici dans un film noir, beaucoup plus classique, virant sur le mélodrame. Dans une ville provinciale en déchéance, un jeune homme aide un ami à collecter les dettes pour un « boss » de moyenne envergure.  La Chine est ici loin de la vision glorificatrice qu’elle cherche à imposer : des hôpitaux payants, des commerces fermés, des rues désertes, … Survivre est une affaire quotidienne, et l’on s’attache à ce qu’on peut : les sentiments en premier lieu. On s’agrippe aux rêves brisés.

Il y a eu de nombreux films sur le sujet. Rien de nouveau à l’Est. Cependant, le cinéaste y apporte des touches allégoriques, une tension sourde d’où peut surgir la violence (psychologique et physique) et un comportement animal à son personnage central, Dongzi, oiseau prêt à s’échapper et chien errant.

Dans ces bas-fonds, où même le jour il fait sombre, rien ne semble permettre l’espoir d’une meilleure vie. L’agressivité ambiante scotche les destins au bitume et au béton environnants. La réalisation souffre d’une certaine prétention, au point d’en faire un film inutilement confus, et jamais vraiment à sa place. Flirtant avec le cinéma onirique asiatique et le drame mafieux sans réel enjeu, il se perd dans le brouillard, à l’instar de son héros.

Les nuits de Zhenwu

Mais Moneyboys comme Les Nuits de Zhenwu ont aussi beaucoup en commun. Ils révèlent une jeunesse chinoise oubliée, cachée, qui n’a ni les moyens ni l’éducation pour s’en sortir dans ce pays. Que l’on vende son corps ou que l’on paie de son corps pour récolter du fric, ces jeunes hommes (et quelques femmes), maigres et musclés, rêvant de moto (ou de scooter), n’ont pas beaucoup d’échappatoires. Le nécessaire exode rural vers des villes plus modernes les a tous conduits à se déraciner.

Jeunesse sacrifiée

Ils sont maudits. D’une malédiction insaisissable qui les rend impuissants à s’épanouir ou s’émanciper, finissant dans la solitude la plus profonde. D’une froideur implacable.

Dans les deux films, il n’y a nul jugement moral, ni même émotions. Au contraire, Ylin Chen Bo et Na Jiazuo accompagne avec bienveillance ces pauvres jeunes hommes vulnérables et sensibles, même si la dureté gagne du terrain dans leurs têtes.

Na Jiazuo utilise pour cela une mise en scène assez classique, même si certaines séquences (notamment le prologue et celles de la fin) sont brillantes. Plutôt que d’inventer une nouvelle esthétique nocturne asiatique (néons et compagnie), il préfère emmener le spectateur dans des rêveries ou des plans de coupe fixant la détresse ou le désespoir de ses personnages. Déséquilibré en matière de récit comme de grammaire cinématographique, le film se perd à de nombreux moments, sans savoir comment rattraper le spectateur. Au moins, quelques scènes ne manque pas d’humour burlesque…

Les nuits de Zhenwu

De la dérision, il n’y en pas chez Ylin Chen Bo. En revanche, l’utilisation de plans fixes remplit par « l’action » et les acteurs et de travellings naturels pour donner du mouvement (un bateau qui traverse une rivière, un bus qui roule…) lui confèrent une habileté à nous impressionner. Le cadrage est précis et le montage maîtrisé. S’il est moins convaincant dans le scénario, il sublime l’intimité et les tourments de son gigolo, qui sacrifie son bonheur et celui des autres, à cause de son impossibilité à aimer tout le monde.

Néanmoins, qu’on soit dans la vie de Fei ou celle de Dongzi, il n’y a nulle trace de joie et de sérénité dans la Chine moderne. On comprend mieux pourquoi les réalisateurs préfèrent finir sur une image festive ou apaisée, après les avoir plongés dans les souterrains d’une société qui refuse de les reconnaître.