Après Tangerines, primé à Deauville, et The Florida Project, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, le jeune quinquagénaire Sean Baker arrive en compétition, avec une chronique texane où sexe, drogue et losers font mauvais ménage.
Sean Baker continue son exploration d’une Amérique à la marge, précaire et subissant son destin. En pleine campagne présidentielle de 2016, au fin fond du Texas, à côté de gigantesques et monstrueuses raffineries, un homme débarque chez sa femme et sa belle-mère, bien amochées par la vie, et qu’il n’a pas vu depuis des années. Il vient de fuir Los Angeles, où il fut longtemps une star du porno hétéro sous le nom de Mikey Saber (le bien nommé). En s’installant à Texas City, il trouve son fric en dealant et s’amourache d’une mineure allumeuse, Lolita des temps modernes.
Red Rocket est typiquement un film indépendant américain calibré pour les grands festivals internationaux. Le grain de l’image, le milieu social, l’observation psychologique, jusqu’au sexe omniprésent : tous les stéréotypes techniques et artistiques sont là pour démontrer qu’il s’agit d’un film produit en dehors des studios.
Grand gamin bien gaulé
Jusqu’au casting, avec en tête d’affiche des losers un peu ploucs et très limités, qui ressuscite (comme chez Quentin Tarantino ou Paul Thomas Anderson) une ex-star du porno gay, Simon Rex, devenue célébrité virale après quelques petits rôles dans des films de genre. En slip (rouge) ou à poil (frontal et très bien monté), l’ex twink assume désormais son côté daddy entretenu. Sean Baker lui a taillé un rôle sur mesure, un peu crétin, fragile, mytho, et rêveur. Simon Rex incarne parfaitement ce grand gamin qui ne veut pas grandir et qui cherche à retrouver le chemin vers son ancienne gloire.
Ici la transgression ultime est de dormir nu (« au naturel »), et pas forcément de faire l’amour avec une rouquine de moins de 18 ans, sincèrement exhibitionniste. L’American Dream a pour seul horizon la laideur urbaine des alentours. Le personnage du serial baiseur et les situations burlesques donnent cependant une tonalité qui n’a rien de misérable.
L’ombre des frères Farrelly
Red Rocket est une comédie décalée (proche de celles des frères Farrelly, mais plus cul), parfois dopée au viagra, parfois calmée avec un bon joint, où les relations personnelles sont faussées, à l’exception de celle de la jeune fille accro au cul et de ce dragueur relou. Tous névrosés ou carrément barrés, tous peu commodes et abrutis par leur mode de vie, le film rebondit avec quelques astuces de scénario pour nous amener à une romcom peu conventionnelle. Entre son épouse vengeresse et sa « fraise » érotomane, on n’ose croire qu’un film américain va s’affranchir de toutes les règles du cinéma hollywoodien. Il suffit d’une fuite nocturne en pleine ville pour que Rex/Saber décide de son destin, la queue ballotant entre les jambes. Le réalisateur choisit toujours de déplacer le curseur pour choquer les puritains dans ce conte de fée où se croisent une jolie princesse et des sorcières toxiques.
Cette sucrerie légère et un peu amère, est assez réjouissante, comme cette musique pop qui ouvre et ferme le film. On rit volontiers. On aurait presque pitié du sort de son acteur X. Mais une chose est sûre, Sean Baker a dévié de ses précédents films, plus marqués socialement, plus créatifs artistiquement et plus dramatiques formellement. Cependant, Red Rocket a mis l’aspect social en arrière plan dans cette chronique caustique. Le cinéaste propose plutôt une hystérie névrotique et nymphomane dans une Amérique hypocrite, avec ses citoyens agressifs, cupides, défoncés, qui ont perdu toute valeur morale.