Cannes 2021 | Haut et fort, le cri d’une jeunesse marocaine sous tutelle

Cannes 2021 | Haut et fort, le cri d’une jeunesse marocaine sous tutelle

Après Much Loved, acclamé à Cannes et censuré au Maroc, Nabil Ayouch continue de montrer un Maroc loin du miracle économique, soumis au patriarcat et à la religion, à travers une jeunesse qui se libère par le rap.

Nabil Ayouch n’est pas tendre avec son pays, le Maroc. Une fois de plus, il s’intéresse à la face obscure d’une monarchie où police et religion maintiennent leur tutelle sur les citoyens, jusque dans leurs opinions.

Fiche technique
Haut et fort (Casablanca Beats), 1h42
Sortie en salles le 10 novembre 2021
Réalisation et scénario : Nabil Ayouch, Maryam Touzani
Musique : Mike Kourtzer et Fabien Kourtzer
Photo : Virginie Surdej et Amine Messadi
Avec Anas Basbousi, Ismail Adouab, Meriem Nekkach, Nouhaila Arif, Zineb Boujemaa, Abdelilah Basbousi
Distribution : Ad vitam
En compétition au festival de Cannes 2021

Haut et fort, dont on préfèrera le titre anglophone Casablanca Beats, s’ancre dans une classe d’un centre culturel des faubourgs précaires et bidonvilles de la métropole marocaine. Loin de leur vie misérable, Ismail, Nouhaila, Amina, Meryem, Zineb apprennent le rap, son histoire, son essence, son attitude. Ils ont pour professeur Anas, observateur et médiateur, dont on comprend qu’il fut une vedette du rap avant de repartir à zéro, jusqu’à vivre dans sa voiture et vouloir diffuser son expérience pour que le rap continue de faire bouger les lignes dans son pays.

Lutte de classe

On peut toujours reprocher au scénario, très simpliste et bancal, de survoler ses personnages, hormis quelques élèves dont on comprend leur quotidien, et d’évacuer tout enjeu dramatique ou motif psychologique. Haut et fort se situe dans la lignée de films comme le Cercle des poètes disparus ou, surtout, Entre les murs. Feel-good de bout en bout, le film transmet généreusement ses « vibes » pour nous emballer dans ce portrait d’une jeunesse désœuvrée.

C’est ce qui intéresse Ayouch : le débat sur la liberté de penser et de parler (ou chanter), la misère, les aspirations des uns et des autres (la thune en premier plan), l’Islam (sans amalgame), la société patriarcale et la place des femmes… Tous les sujets y passent sous forme de démocratie participative, entre celles et ceux qui rêvent d’une société occidentale « open mind » et respectueuse et d’autres qui cherchent une voie conciliante entre leur foi et leur envie de donner de la voix, dans un contexte où la religion occupe toute la place et toutes les idées.

Si Ayouch ne cherche pas à trancher entre les uns et les autres. Le fait même d’aborder ces thèmes et d’orienter les débats en fonction des rappeurs (ce sont les deux plus religieux qui critiquent le terrorisme, ce sont les femmes qui défendent de leur apparence) est un choix calculé et prudent.

Musical qui slamme

Dans une société où la musique peut-être considérée comme un vice, il ose malgré tout exposer cette jeunesse en souffrance, prête à faire sa révolution en slammant ou en rappant. Avec une caméra en alerte, une image réaliste et peu glamour, il aurait pu tomber dans l’écueil de l’apitoiement. On ressent avant tout les dilemmes de ces artistes en herbe, qui ont conscience de braver quelques interdits en poussant leur « cri » et s’interrogent sur leurs limites. Comme si la liberté d’expression ne pouvait pas être absolue.

Au contraire, il insuffle une véritable énergie, et pas seulement par son montage très séquencé. Il est aidé par la musique qui sert de fil conducteur à tout le film. Haut et fort est un « musical » qui ne s’affirme pas en tant que tel. Certains élèves ont le droit à leur solo (celui d’Ismail face à sa sœur étant le plus beau). Et le réalisateur s’offre une séquence (trop brève et pas assez assumée formellement) à la West Side Story où les jeunes rappeurs et les imams, façon Jets et Sharks, s’opposent en battle de danse.

Résiste! Prouve que tu existes!

Grâce à ses multiples portraits, Haut et fort n’est jamais manichéen. Et il cette force de nous emballer entre paroles, musiques et dialogues, sans temps morts.  « La vie ne nous a pas gâtés mais on va l’arracher ! » entend-t-on. On a envie de croire que leur talent va être contagieux, qu’il va avoir la force nécessaire pour les affranchir de ces pouvoirs séculaires et de cette pauvreté endémique. On ose voir qu’ils ne se résignent pas, qu’ils résistent même, à ces « barbus » violents et rétrogrades. C’est d’ailleurs là que le film trouve sa plus belle intensité. Après cette battle chorégraphique imaginaire et drôle, Nabil Ayouch propose un montage tendu où, pendant que ces jeunes s’éclatent sur scène en toute liberté, des hommes, qui pensent que « la virilité c’est dominer », cherchent à interrompre le spectacle par la force.

A travers Anas et sa classe, le cinéaste rappelle que la culture et les arts sont toujours menacés et qu’il reste urgent de les protéger contre les plus rétrogrades.