Mourir peut attendre : un Craigxit disruptif pour le 25e James Bond

Mourir peut attendre : un Craigxit disruptif pour le 25e James Bond

James Bond a attendu presque deux ans pour revenir sur les grands écrans. Six ans depuis le dernier épisode, le bancal Spectre. Mourir peut attendre en est clairement la continuité, s’offrant un dernier tour de piste pour Daniel Craig, mais surtout la reprise des rôles interprétés par Léa Seydoux (sa conquête amoureuse, Madeleine Swan) et, le temps d’une scène tarantinesque, Christoph Waltz (le vilain Blofeld). Depuis Casino Royale il y a quinze ans, Craig a imposé un 007 plus brutal et moins glamour. Son style a trouvé dans Skyfall (2012) l’écrin parfait, un cocktail digne des premiers épisodes de la série.

Mourir peut attendre n’atteint pas ce niveau. Trop long (2h45), mal rythmé, le film souffre de séquences platement réalisées entre deux scènes d’actions souvent brillantes. L’intrigue n’a jamais été aussi plate et peu palpitante. Et pour cause, là n’est pas le sujet. Il ne s’agit pas seulement de sauver le monde contre un méchant sadique mais transparent (Rami Malek, épouvantablement atone) ou de sauver la réputation de M (Ralph Fiennes n’a décidément pas le charisme de Judi Dench dans ce rôle) et du MI:6.

Mourir peut attendre n’est finalement que l’illustration de l’incapacité à se sauver soi-même. On peut éviter une pandémie bactériologique (les scénaristes ont eu du flair en inventant un virus obligeant les gestes barrières), le déshonneur de services secrets jouant aux Frankenstein, une multitude de tueurs (qui font parfois mouche, mais sont souvent amateurs) ou même l’humiliation d’être engagé comme un mercenaire à la solde de la CIA. On ne peut pas échapper à son passé.

Narcissisme

C’est là que ce James Bond est intéressant. Dans la blessure narcissique qui rend schizo le célèbre agent de sa Majesté. Car Daniel Craig a voulu que ce 25e épisode de la franchise (et 5e pour lui) soit une ode à sa création. Narcisse, c’est le premier mot qui vient en sortant de la salle. Jamais un film de la série n’a autant été centré sur l’espion et ses failles. Craig qui pleure, Craig qui encaisse, Craig qui subit, Craig qui pique, Craig qui tue, Craig qui lance la réplique bien écrite…

En cinq films, l’acteur aura réussi le tour de force de transformer James Bond en une série dramatique et psychanalytique autour de ses traumas. Mourir peut attendre reprend le récit en Italie, dans un village où est enterrée Vesper Lynd (Eva Green), son grand amour qui s’est sacrifié dans les eaux montantes de Venise… Le travail de deuil ne semble pas récolu. Dans cette chambre des secrets, Madeleine Swann (Léa Seydoux) se sent de trop, mais elle aussi a quelque chose à cacher. Dans un flash back qui tient lieu d’introduction, on la retrouve enfant, avec sa mère, au fin fond de la Norvège. D’un point de vue narratif, c’est la première rupture avec les autres films de la saga. Un prologue qui nous renvoie vingt ans en arrière, avant de revenir à l’après Spectre, soit cinq avant les événements que Mourir peut attendre veut nous raconter.

Boomer

Après le sublime générique, James Bond n’est qu’un retraité célibataire dans les Caraïbes. L’orphelin écossais a perdu sa mère de substitution dans Skyfall, mis derrière les barreaux son ennemi juré dans Spectre, se sent toujours veuf de sa belle passion française de Casino Royale et s’est séparé sans un mot de son autre amoureuse frenchy. Tout est réglé pour qu’il nous quitte en bon boomer péchant dans les eaux tropicales. C’est sans compter un grand méchant qui détourne un virus tueur du MI:6, une Madeleine Swan piégée par un pacte avec le diable, une CIA aux abois, et quelques découvertes qui vont chambouler la vision du monde de Bond (promis on ne vous spile que dans le dernier paragraphe).

Le plus surprenant finalement c’est de faire croire aux spectateurs que le Royaume-Uni est encore une super-puissance dans ce genre d’histoires. Les Etats-Unis semblent à la ramasse, la Russie et la Chine ne réagissent pas, et James Bond ne s’en soucie guère. On regrette davantage que le film n’ait pas pris en compte la concurrence. 007 n’arrive pas à trouver sa place entre un Jason Bourne résolument solitaire, revanchard et cogneur et un Ethan Hunt (Mission:Impossible) malin, collectif et cascadeur.

Alpha

Mais là encore, Mourir peut attendre doit se voir comme un Requiem, celui de Daniel Craig. Le pauvre homme est bon pour le divan et ne parvient pas à exprimer ses sentiments (sauf vers la fin). Tout lui échapperait presque. Il ne se reconnaît plus, devenant raisonnable côté cocktail et coucheries. On l’imaginerait presque avec une vapoteuse. Lourdement, les scénaristes en font des tonnes pour équilibrer son aura de macho sexiste.

Malheureusement, en voulant surfer sur la culture dite « woke », ils font plutôt l’éloge du mâle alpha cisgenre blanc et quincagénaire. Madeleine Swan, femme indépendante et émancipée? Une maman larmoyante. Nomi, qui a hérité du matricule 007, femme noire castagneuse et douée? Elle loupe toutes ses missions, vaincue à chaque fois par Bond sur son terrain, et finit en nounou. Q (Ben Wishaw), qui joue les assistants virtuels à distance, homosexuel délicat? On ne le verra jamais avec son compagnon et ne peut-être qu’une aide cérébrale. Paloma (Ana de Armas), adjointe le temps d’une mission? Nunuche mais pas trop, quand elle se sert de flingues. On reste dans la stimulation de la testostérone…

Un comble. Car, libido en berne et addictions évacuées, James Bond se pose trop de questions pour nous faire bander. Le scénario construit alors un drôle d’échaffaudage. Il y a les séquences d’action (la poursuite dans le village italien, magistrale, la chasse en forêt scandinave, magnifique, la mitraillerie cubaine, splendide). Elles ponctuent plus qu’elles ne donnent de l’élan. Il n’y a rien de neuf sous le soleil. Mais entre ces scènes, il y a surtout beaucoup trop de psychologie, entre mélo romantique et explications didactiques, qui font pencher l’édifice vers un récit crépusculaire et classiquement dramatique.

Ego trip

Daniel Craig voulait sans aucun doute un chapitre ultime qui scelle son destin avec celui d’agent. Après moi le déluge. Il a accompagné la mue de son personnage, de dur à cuire à cœur d’artichaut, du permis de tuer au droit de pleurer. Plus vulnérable, plus sensible, James Bond a compris que son Royaume ne valait même plus un cheval. To kill or not to kill. Et là on est obligé de divulgâcher un peu le film…

A trop vouloir capter la lumière, à trop l’humaniser, l’espion a perdu quelques plumes. Pour ce feu d’artifice final et dissonant, Daniel Craig a voulu s’éclipser sans passer le relais. Tout juste sait-on que le matricule 007 peut être accoler à quiconque. Il n’en est pas propriétaire, « c’est juste un chiffre« . L’épilogue condamne la franchise à un reboot pour la suite. Egoïste, Craig a cherché une conclusion détonnante. La disruption est double: d’un côté, l’héritière n’est pas Nomi (Lashana Lynch) mais Mathilde. James Bond n’oubliant pas le doudou de sa fille, ça choque. Mais après tout, en bon conservateur, pourquoi pas lui adjoindre une famille.

Héros fatigué

Et puis, il y a ce sacrifice amer. Pauvre Madeleine, il n’a que Vesper en tête. James Bond, piégé par le méchant, incapable de pouvoir vivre sa vie de papa, décide que mourir ne peut plus vraiment attendre. Il sait bien que le Royaume-Uni est foutu. Il sait bien qu’il ne peut plus faire l’amour avec qui il veut, s’enniver au Bollinger, ou s’affranchir de paperasses. Son monde est finit. Même pas un « bon courage » à son successeur. Il préfère des adieux avec panache. Un Craigxit flamboyant qui sauve cette longue et pesante épopée. Dans le genre, la mort de Wolverine dans Logan avait plus de classe et de retenue. A trop vouloir céder aux caprices de celui qui aura mené 007 aux sommets du box office, les producteurs n’ont pas su concevoir un film qui transcende la franchise la plus ancienne du 7e art. Cette apocalypse ratée donne surtout un film mélancolique, et même élégiaque au sens littéraire, c’est à dire tendre et triste.

Pardoxalement, on regrette davantage James Bond, devenu super-héros insipide, que Daniel Craig, sans doute trop las pour nous séduire avec un scénario et une réalisation apathiques. A tout prendre on préférait les points de suspension de la fin de Spectre que ce point final finalement peu original.