Aline est sans aucun doute le plus ambitieux des films de Valérie Lemercier. Pourtant on ne retrouve pas grand chose de la fantaisie de la comédienne réalisatrice. En signant un faux biopic sur Céline Dion, elle ne parvient jamais à trouver le bon tempo ni la bonne tonalité pour nous emmener dans son délire trop respectueux et finalement assez « plate ».
Il y a plusieurs styles de films biographiques musicaux. On pense à l’audacieux I’m not there de Todd Haynes sur Bob Dylan, démultipliant le personnage à travers plusieurs interprètes, ou à l’aventureux Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar, s’autorisant des métaphores visuelles. Plus généralement, le genre est composé de films chronologiques autour d’une star ayant vécu des traumas, des tragédies, l’ascension, la déchéance et la rédemption, le tout porté par une bande originale servant à ressusciter des hits et par un comédien ou une comédienne cherchant l’imitation plus que l’incarnation. On pense alors à Ray, Tina, Rocket Man, Bohemian Rhapsody, Judy, ou Respect… C’est souvent convenu, parfois brillant et passionnant, rarement original.
Valérie Lemercier a suivi les règles scénaristiques : la chronologie d’une carrière depuis l’enfance, les tubes en guise de ponctuation et de transition, la ressemblance dans les attitudes… Mais elle fait un pas de côté. Céline Dion devient Aline Dieu (référence à la chanson de Christophe). Elle met ainsi une distance entre le réel et la fiction. Et ça aurait pu donner un grand film si elle avait été jusqu’au bout de cette démarche. Malheureusement, Aline est trop respectueux vis-à-vis de Céline. Ni pastiche, ni parodie, ni même (auto) dérision. Le scénario déroule un récit plat qui réjouira les amateurs de soap-opéras et de feuilletons de fin de journée et rassurera ceux qui n’exigent qu’un conte de fée dont on sait d’avance l’épilogue. On est plus proche de Dalida (exercie raté de Lisa Azuelos) que de Guy (allégorie réussie d’Alex Lutz), qui dessinait le parcours nostalgique d’un chanteur populaire (Delpch, Lenormand ou Bécaud) et s’amusait de la représentation plus que de la factualisation.
Aline n’est pas Guy
Aline aurait pu être Guy, soit un film hommage à une artiste de type Céline Dion, sans s’embarrasser de la contrainte biographique d’une vie qui s’avère assez peu captivante. Il y a bien les « sacrifices » d’une existence choyée et lucrative (ce serait indécent de la plaindre). Mais de ce destin relativement inintéressant (mais admirable), on ne retient que la compassion éprouvée face à sa difficulté d’avoir des enfants et face à son veuvage. Pour le reste, on ne voit ni la chute, ni la rédemption. Ce n’est que l’itinéraire d’une enfant douée puis gâtée, déconnectée du monde et fusionnelle avec sa famille. A force, on cherche trop Céline, et on ne voit plus qui est Aline.
Pourtant, c’est bien là que Valérie Lemercier aurait été intéressante. Immense créatrice de personnages, adoratrice de weirds prodiges, parfaite pour servir et réhabiliter les gens hors-normes, l’actrice/comédienne/scénariste/humoriste/réalisatrice/chanteuse n’a pas son pareil pour nous embarquer dans ses délires. Dans Palais Royal, son meilleur film à date, elle a su réinventer la famille Royale britannique et Lady Di, sans perdre l’esprit fantaisiste et parodique. Qu’elle soit un faux garçon (Le derrière) ou une Tanguy sur le retour (Marie-Francine), elle sait se transformer et aime le jeu. Que le film soit réussi ou pas, il y a un style Lemercier.
Valérie n’est pas Céline
Mais ici, Valérie n’est convaincante en Aline que dans la première partie, lorsqu’elle est truquée numériquement (enfant, ado ingrate, construction de la jeune star). Sans doute s’y retrouve-t-elle naturellement. Quand elle devient une bête de spectacle, on n’y croit jamais. Elle n’a pas le charisme nécessaire, malgré un soin attentif porté aux costumes et aux coiffures. Elle n’en a pas la spontanéité non plus (la séquence du talk-show est un affreux plagiat très en dessous de l’hilarité provoquée par la vraie Céline Dion). Plus gênant, l’actrice se fait dévorer par ses seconds-rôles, à la psychologie et au tempérament bien plus captivants.
Car c’est bien le manager/époux (Sylvain Marcel) et la mère (Danielle Fichaud) qui volent la vedette à la star. En dehors de l’humanité qu’ils apportent à leur personnage, ils parviennent à les habiter. Dotés des meilleurs dialogues, Guy-Claude et Mère Dieu donnent de l’épaisseur et du relief à cette histoire balisée. Ils apportent de l’émotion, du rire, de la couleur dans cet univers factice, bourré de clichés et assez mièvre. La meilleure séquence est d’ailleurs l’affrontement entre les deux, au casino, dans le dos d’Aline. Révélateur…
Il faut attendre la fin du film pour que Valérie/Aline se sépare de Céline. Qu’elle imagine autre chose qu’une succession de morceaux de sa bio wikipédia et des transpositions de magazine people. Autre chose qu’un portrait de femme assommée par sa célébrité. Elle s’offre alors un peu de liberté, une errance dans Vegas, une forme de disparition. Aline n’est plus Céline. Elle est cette icône qui veut s’effacer. Cela donne un peu de singularité au film.
Céline n’est pas Aline
Valérie Lemercier a voulu en faire une femme ordinaire (jusqu’à changer le texte de la chanson « Ordinaire » de Robert Charlebois, qui introduit et clôt le film). Entre temps, elle s’est perdue en chemin. En tendant un miroir à elle-même, l’actrice signe une histoire dépressive, mais pas déprimante, un scénario digressif, mais pas si divertissant. On voit bien tout ce qu’elles ont en commun. Mais à trop idolâtrer la chanteuse, elle ne cherche même plus à y amener sa touche personnelle une fois l’adolescence passée. Même le parcours musical n’est pas vraiment digne d’une telle carrière. Les fans seront frustrés par le manque de certaines chansons, l’absence de certaines rencontres ou d’anecdotes autour de certains choix de carrière ou de certaines grandes étapes. Quitte à « adapter », on aurait rêvé d’un Mamma Mia où ses paroles se confondent avec son existence. Ni Guy donc, ni même Abba.
Ironiquement, en finissant avec une chanson qui n’est pas dans le répertoire de Céline Dion, mais dans celle d’un autre monument de la chanson québécoise, le film cherche là encore à se détacher de son modèle, sans réussir à s’en détacher. L’ennui provoqué par cette romance au premier degré, « plate » comme on dit au Québec, nous aura détachés depuis longtemps de ce récit. D’autant plus regrettable que Lemercier a pour une fois soigné sa mise en scène, à défaut de trouver le bon tempo et la bonne tonalité de ses déclarations d’amour, très stéréotypées.
« Mais comment font ces autres à qui tout réussit?
Qu’on me dise mes fautes, mes chimères aussi
Moi j’offrirais mon âme, mon cœur et tout mon temps
Mais j’ai beau tout donner, tout n’est pas suffisant
S’il suffisait qu’on s’aime, s’il suffisait d’aimer
Si l’on changeait les choses un peu, rien qu’en aimant donner
S’il suffisait qu’on s’aime, s’il suffisait d’aimer
Je ferais de ce monde un rêve, une éternité«
Valérie a beau tout donné, faire de son film un rêve. Tout n’est pas suffisant pour l’aimer.