Les Eternels : Chloé Zhao plie (mais ne rompt pas) sous le poids de Marvel

Les Eternels : Chloé Zhao plie (mais ne rompt pas) sous le poids de Marvel

Chloé Zhao s’aventure dans l’univers Marvel. Les Eternels réussit quelques variations dans son récit pour se distinguer des autres films du genre, mais pas assez pour en faire un grand film sur une planète fragile et une humanité vulnérable.

Après le 25e James Bond, le 26e Marvel. Les deux ont comme similarité leur longueur, 2h40 de récit et d’effets spéciaux. Hollywood mise sur des opéras spectaculaires, dont la longueur semble parfois un gage de rentabilité : non pas pour les salles (pour compenser le nombre de séances réduites, on multiplie les écrans), mais pour le spectateur, qui pense en avoir pour son argent (le ticket de cinéma flambe et vaut désormais plus qu’un abonnement mensuel à Netflix où on peut d’ailleurs profiter, dans le même genre, du bien plus intéressant Old Guard, avec Charlize Theron en super agent immortelle).

Le James Bond, Mourir peut attendre, était disruptif. Les Eternels est aussi une promesse de rupture. A voir. Il n’y a rien de vraiment neuf sur la planète Marvel, hormis ces super-héros sortis de comics nés il y a 45 ans. Côté super pouvoirs et « team building », on pourrait croire que ce sont des X-Men, chacun doté d’une force irrationnelle et de tourments individuels. Côté scénario, c’est toujours la même histoire : une menace apocalyptique (rien de moins que la destruction de la Terre sous prétexte que le cosmos est un grand tout qui ne se soucie pas d’une petite planète, même très jolie). On sait par avance que l’humanité survivra… Autrement écrit, s’il y a surprise, ce ne sera pas au moment de l’épilogue.

En engageant Chloé Zhao, remarquée pour trois films indépendants contemplatifs et splendides, dont le récent Nomadland, qui a valu un Oscar à la cinéaste, Marvel affiche sa volonté de vouloir aborder un nouveau cycle de films de super-héros. Ce n’est pas le Joker de DC Comics, ode sombre à la rébellion. Mais le studio a compris avec sa tétralogie des Avengers qu’il fallait faire évoluer le genre.

L’humanité réduite à une poussière du cosmos

A défaut de bousculer la narration, Chloé Zhao insuffle un vent nouveau dans cette épopée qui tient à la fois du péplum mythologique et du film d’action futuriste. Cela tient en trois éléments. Les Eternels sortent Marvel de son décor de métropoles (américaines le plus souvent) pour privilégier les vastes plaines du Montana, un passage dans les étendues glacées de l’Alaska (gros clin d’œil à Wolverine), et un long final dans les îles volcaniques des Canaries, entre vagues, sable, et lave (l’eau, la terre, le feu). Cette dimension envrionnementale est omniprésente et transcende son sujet : l’humain n’est qu’un ingrédient de cette planète…

S’ensuit une vision de l’humanité décentrée des autres Marvels. L’Amérique est quasiment absente du film. On nous renvoie dans le passé, à Babylone et aux Aztèques, à la Mésopotamie et à l’Inde, bref aux civilisations fondatrices, bien avant la naissance des Etats-Unis. Et ce qu’il y a à sauver ce n’est pas une mégapole ou une nation, mais bien la planète. Sans y toucher, Chloé Zhao signe une parabole contemporaine d’une Terre en sursis, prête à imploser. Ces somptueux paysages (y compris ses reconstitutions des temps anciens) magnifient son propos et rapetissent l’espèce humaine à ce qu’elle est : une bestiole immature et complexe.

Casting et récit mondialisés

Pour sauver l’ensemble – l’orange bleue et ses peuples -, il faut donc des super-héros sortis d’une « Matrix » orwellienne, demi-dieux presque immortels (le presque est important). Leur mentor est une puissance cosmique, géant de feu et de gaz humanoïde. Car, même s’ils sont tous extra-terrestres, ils n’en demeurent pas moins humains dans leur aspect. Ces Eternels pratiquent même une inclusion très contemporaine. Marvel est dans l’air du temps. Ce qui frappe, c’est bien leur cosomopolitisme, de la mexicano-américano-libanaise Salma Hayek en leader du groupe au pakistano-américain Kumail Nanjiani, humoriste amenant les scènes comiques du film.

Cette diversité salutaire ne suffisant pas, on croise aussi une héroïne malentendante (Lauren Ridloff) et s’exprimant en langage des signes et un héros gay noir (Brian Tyree Henry), en couple et papa, qui offre le premier baiser homosexuel, bienvenu, de l’univers Marvel. Entre un mariage mixte consommé (Gemma Chan, parfaite cheffe de bande, et Richard Madden, chevalier loyal et sexy) et une relation assexuée, le scénario coche toutes les cases du gender fluid. Sans compter que toute cette troupe mondialisée est bourrée de névroses. Ce qui vaut à Angelina Jolie le meilleur rôle du film. Très discrète pendant la moitié du film, reléguée en arrière plan le plus souvent, pour ne pas dire inexistante, elle profite de ses traumas pour prendre l’acsendant, progressivement, jusqu’à être la résiliente, résistante et survivante qui lui promet une lucrative présence dans la saga.

Les règles du genre

Car, les Eternels sont imparfaits, ambivalents, tiraillés entre leur devoir et leurs envies, capables de double jeu, de se trahir, de se sacrifier et… de mourir. C’est là le seul suspense du film : qui va s’affranchir et qui va franchir le cap du deuxième film, forcément dans le vortex Marvel. Si Chloé Zhao n’a pas eu toute sa liberté pour en faire une œuvre personnelle et « déviante », elle parvient quand même à accentuer la part psychologique des personnages et à les rendre plus vulnérables qu’héroïques. On y ressent même une forme de mélancolie et de force qui font le sel de ses films.

Malheureusement, la contemplation des paysages, le relativisme existentiel, l’éloge de l’Histoire et de la nature, la somptuosité des civilisations passées et les tourments des protagonistes, se cumulent comme une tour de Babylone et forment un gigantesque cheesecake très long, très étiré, presque indigeste. Trop coloré, trop mou, trop flashy, trop mélo, Les Eternels n’a pas su quelle voie choisir entre le respect du carnet de commande hollywoodien (avec un minimum de scènes d’action) et l’aspiration à changer l’univers Marvel (avec un zest de personnalisation). Sans oublier que le scénario est contraint de placer le film dans une temporalité (après les Avengers, avec un Dr Strange dans l’ombre) et de multiplier les explications didactiques pour ne pas perdre les novices. Cela le rend singulier, intéressant, mais pas inoubliable, et sans doute trop kitsch pour être atemporel.

A défaut d’être radicalement différent, Les Eternels peuvent au moins compter sur un casting chic et choc pour faire oublier les Avengers. On devine avec les deux ouvertures après l’épilogue (ponctuant le générique final) qu’on n’en restera pas là. On découvrira Harry Styles, en bien nommé Eros, et surtout le rôle grandissant que prendra Kit Harrington en tant que Chevalier noir maître de l’épée. Reste à savoir si Chloé Zhao aura les mains plus libres pour en faire une épopée digne de la Table ronde…