FICA de Vesoul 2022 : rencontre avec Kôji Fukada

FICA de Vesoul 2022 : rencontre avec Kôji Fukada

Devant un de ses films on avait remarqué que « ce qui est épatant dans la mise en scène de Kôji Fukada c’est sa faculté, et sa facilité, à ne jamais appuyer les situations, adoucissant les scènes qui auraient pu être effroyables, banalisant les révélations qui auraient pu être surjouées ou sublimant les sentiments pourtant si intériorisés ». C’était pour Harmonium (sorti en salles en 2017) mais c’est aussi le cas pour ces autres films sortis avant comme Au revoir l’été (2014) ou ensuite comme L’infirmière (2020). Le cinéaste japonais a aussi varier les genres avec une comédie ironique (avec l’accueil des étrangers) Hospitalité et avec de la dystopie contemplative (la fin du monde subie par une femme et un androïde) Sayônara

Avant la double sortie en mai de ses films Suis-moi je te fuis et Fuis-moi, je te suis Kôji Fukoda a donc reçu un Cyclo d’or d’honneur au FICA de Vesoul, où il est présent pour accompagner les séances de l’intégralité de son oeuvre, dont ses films jamais sortis auparavant. Par exemple son tout premier film La Chaise (autoproduit à 21 ans, après ses études en cinéma) : «Je n’avais vu que des longs-métrages comme spectateur sans être familier du format court-métrage, mon premier film a été ce long-métrage. Derrière la caméra et à tout les postes (scénario, directeur de la photographie, réalisation, montage, musique) il y avait en fait moi un peu aidé par quelques amis. Mon ambition à l’époque était de faire un film d’étudiant qui imiter le cinéma que j’aime beaucoup et qui soit aussi différents des autres films d’étudiants. C’est pourquoi dans La Chaise il y a des personnages intergénérationnels avec un petit garçon, une mère célibataire, un veil homme… J’ai tourné avec une petite caméra DV et il y a des petits défauts techniques, il n’a quasiment jamais été montré en dehors du Japon.»

Ce jeune cinéaste japonais, il a 42 ans, a déjà derrière lui une belle filmographie de plus d’une dizaine de films : en France il a reçu divers prix en Festivals (dont Nantes pour Au revoir l’été, et Cannes pour Harmonium) et a également été fait Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en 2018.

Recevoir un Cyclo d’or au FICA de Vesoul en hommage est synonyme de projection de l’intégrale de vos films, à la fois les courts-métrages et les longs-métrages et aussi bien ceux qui étaient quasi-invisibles et les nouveaux à sortir bientôt en salle : pour la première fois est organisée cette intégrale et c’est en France à Vesoul, quel regard vous portez sur cet évènement ?

Kôji Fukada : C’est un grand plaisir que cette rétrospective ait lieu. C’est toujours agréable de voir que des spectateurs ont envie de voir mes derniers films, mais je trouve ça encore mieux si les spectateurs ont la possibilité de remonter aux racines de mon travail. Cette rétrospective ici est vraiment très complète et particulière. Ce Cyclo d’or est un prix d’honneur pour l’ensemble de mon travail, c’est une joie. Je suis content car ce n’est pas un prix qui récompense un seul film mais la totalité de ma filmographie. En fait comme pour chaque film j’ai travaillé avec des équipes à qui j’ai causé beaucoup de soucis lors de leur fabrication alors ce prix récompense finalement aussi les gens qui ont travaillé avec moi jusqu’à présent, et ça c’est important.

Certains de vos films ont une part d’inspiration qui vient de France comme Honoré de Balzac pour certains scénarios (La Grenadière, La Comédie humaine à Tokyo), également les cinéastes Eric Rohmer pour la forme de plusieurs d’entre eux (dont Au revoir l’été) et Jacques Rivette, aussi une apparition de l’actrice Irène Jacob (dans Sayônara)… D’où vous est venu cet attachement pour un certain cinéma français ?

Kôji Fukada : J’ai réfléchi à pourquoi j’ai ce lien un peu particulier avec la France. Je dirais que c’est peut-être un hasard. A l’origine quand j’étais étudiant, et aussi bien après, j’ai vu une très grande quantité de films. J’ai vu beaucoup de classiques, beaucoup de films de patrimoine. Il se trouve que les films que j’ai eu la possibilité de voir le plus facilement et en plus grande quantité c’était les films français. Je pense qu’ils occupent une place très importante dans ma cinéphilie. Je ne les ai pas regardé parce qu’ils étaient français, j’ai regardé énormément de films de toute sorte, mais beaucoup étaient français bien que ça ne soit pas une intention précise au départ. Pour moi la nationalité d’un film n’a pas une grande importance finalement. Ces influences que j’ai reçues me sont arrivées dessus au fur et à mesure.

Pour l’ensemble de vos films vous en êtes aussi le scénariste, est-ce qu’il y en a peut-être un plus qu’un autre où le résultat du tournage est au plus proche du scénario que vous aviez écrit ?

Kôji Fukada : C’est une question difficile, car c’est assez rare qu’un projet qu’on a écrit devienne vraiment fidèle à ce qu’on avait imaginé au départ. Si je devais considérer un de mes films où il y a la plus grande proximité entre mon scénario et le film monté je dirais que c’est Harmonium (ndr : Prix du jury Un Certain Regard au Festival de Cannes 2016). Même pour un projet où mon idée initiale et le résultat fini est assez proche il y a forcément au moment du montage la structure du film qui peut évoluer en fonction des images qu’on a tourné. Ce qui compte c’est un esprit, c’est un univers qui est resté quand-même cohérent par rapport à ce que j’avais imaginé au début. Le montage ce n’est pas tant respecter le scénario que plutôt s’en affranchir, et donc ce que j’avais écrit au départ n’est pas forcément conforme au montage final.

Votre dernier projet est d’une grande ampleur avec les deux films Suis-moi, je te fuis et Fuis-moi, je te suis, soit une longue histoire en deux parties. Comment est arrivée cette idée différente de faire cette fois deux nouveaux films ?

Kôji Fukada : Ce projet me tient à cœur en fait depuis très longtemps. C’est une adaptation d’un manga que j’ai lu quand j’avais une vingtaine d’années. Pour un manga japonais c’est assez court car il y a 6 volumes mais c’est tout de même trop long pour en faire qu’un seul film. Il y avait trop de choses qui se passaient dans l’histoire et ça ne pouvait pas rentrer dans un long-métrage avec une durée moyenne de presque 2 heures. A un moment j’ai pensé adapter cette histoire dans un format de série télévisée et j’ai donc travaillé dans ce sens, mais avec aussi une version pour le cinéma. J’ai entendu que un film d’environ 4 heures c’était trop, on m’a beaucoup dit c’est un très long film, mais c’était possible. J’avais une référence d’un film de Jacques Rivette qui dure environ 4 heures : La belle Noiseuse en deux parties avec un interlude au milieu. Depuis que j’avais vu ce film j’avais très envie de faire un peu la même chose, cette forme m’attirait beaucoup. Pour moi ce n’est pas un format qui est si long que ça, ce n’est pas inhabituel. D’ailleurs il y a un film chinois de Wang Bing qui dure 9 heures, donc comparé à lui le mien est assez court. Finalement mon adaptation se prêtait bien à deux parties, c’est pourquoi il y a ces deux films Suis-moi je te fuis et Fuis-moi, je te suis.

Fiche technique
Suis-moi je te fuis
Réalisation : Kôji Fukada
Scénario : Mochiru Hoshisato, Mintani Shintaro, Kôji Fukada
Avec : Tsuchimura Kaho, Uno Shôhei, Win Morisaki...
Durée : 1h45
Sortie en salles : 11 mai 2022

Fuis-moi, je te suis
Réalisation : Kôji Fukada
Scénario : Mochiru Hoshisato, Mintani Shintaro, Kôji Fukada
Avec : Tsuchimura Kaho, Uno Shôhei, Win Morisaki...
Durée : 2h04
Sortie en salles : 18 mai 2022