Les producteurs : du film oscarisé de Mel Brooks au musical adapté par Alexis Michalik

Les producteurs : du film oscarisé de Mel Brooks au musical adapté par Alexis Michalik

En 1968, Mel Brooks a 42 ans. C’est un auteur new yorkais, marié à une star hollywoodienne, Anne Bancroft.

Depuis plus de quinze ans, il écrit, aux côtés de Neil Simon et Carl Reiner entre autres, des émissions comiques parmi les plus populaires de la télévision américaine: « You Show of Shows », puis, avec la même équipe et Woody Allen en bonus, « Caesar’s Hour ». Une Dream Team de l’humour new yorkais. Avec Carl Reiner, Mel Brooks fait de temps en temps le mariole sur scène ou dans des soirées en créant des personnages loufoques dans des histoires absurdes. De l’improvisation qui devient de la réputation. Leur spectacle « L’homme vieux de 2000 ans » fait le bonheur du « Steven Allen Show » et l’album qui en découle se vend à un million d’exemplaires (avant de se prolonger en multiples déclinaisons, y compris un film d’animation pour la TV).

Tony, Oscar, Emmy

Mel Brooks écrit un musical en 1962, All American (deux fois nommé aux Tony). L’année suivante, il se lance dans un court métrage d’animation, The Critic. Oscar dans sa catégorie.

Il aime la satire, la parodie, le pastiche, et surtout se moquer des obsessions de son époque. En 1965, il fait de Max la Menace sa réponse à James Bond. Sept Emmy Awards.

To do or not to do it

Autant dire qu’il a le vent en poupe. Il a depuis longtemps l’idée d’une comédie musicale sur Adolf Hitler, lui juif de Brooklyn, d’un père polonais et d’une mère ukrainienne, qui s’est battu en Europe contre les Nazis durant la seocnde guerre mondiale. Au départ, il pense en faire un roman, une pièce de théâtre. Mais finalement, ce sera un film. Une œuvre burlesque, rythmée, déjantée, offensant le bon goût. Mel Brooks manie les punchlines et le vaudeville à la perfection pour faire rire ceux qui se complaisnet dans le premier degré percutant et ceux qui apprécient le second degré provocateur.

On est donc en 1967. Et Mel brooks va révolutionner la comédie américaine avec The Producers. Oscar du scénario original en 1968, et succès culte, sans être fracassant (son triomphe viendra en 1974 avec le 1er et le 4e film les plus populaires de l’année, cumulant plus de 100 millions de billets vendus).

Ça dure 90 minutes. Un producteur fantasque (Zero Mostel) sur le déclin imagine monter une gigantesque escroquerie, avec l’aide d’un comptable coincé (Gene Wilder), en montant le pire spectacle de Broadway pour empocher le budget sans avoir de souci avec les créanciers et le fisc. Pas n’importe quel spectacle : Springtime for Hitler, ode au dictateur nazi, écrit par un fan du tyran, avec un metteur en scène gay pour incarner le rôle indéfendable. Manque de chance : le musical est un carton critique et public.

Springtime for Mel

Ce sera d’ailleurs le cas pour la comédie musicale adaptée par Mel Brooks en 2001, avec Nathan Lane et Matthew Broderick dans les rôles principaux. 12 Tony Awards (un record), 10 Drama Desk Awards, 3 Laurence Olivier Awards. Un total de 2500 représentations à Broadway (hors tournée et productions internationales). De 2001 à 2007, le musical a récolté 287M$ à New York.

La mauvaise idée aura été d’en faire un nouveau film, toujours avec Lane et broderick, mais aussi Uma Thurman dans le rôle d’Ulla et Will Ferrell dans celui de Franz. Un ratage total. Et un flop intégral (33M$ dans le monde).

Broadway à Paris

La bonne idée est que la comédie musicale est enfin mise en scène à Paris, avec un budget relativement modeste, mais mis en scène par une star du théâtre parisien, Alexis Michalik (Edmond), lauréat de cinq Molières avec trois de ses pièces.

Au Théâtre de Paris, depuis décembre, la farce a déjà séduit 100000 spectateurs. Les prolongations continuent jusqu’en juin.

Artistiquement, Les producteurs assure le spectacle. Pur divertissement comique (ce qui fait du bien en ces temps sombres), le musical peut s’appuyer sur un livret bien traduit, une bande qui s’amuse, harmonieuse et talentueuse (les comédiens interprètent plusieurs personnages la plupart du temps), d’une mise en scène inventive et menée tambour battant, mêlant claquettes, danse, chants, etc… Alexis Michalik a insufflé son style (le changement de décor visible sur scène et opéré par les comédiens, donnant une fluidité au récit) et accentué l’excentricité du propos pour vriller vers la farce de boulevard. Mais avant tout, il est parvenu à un esprit de troupe palpable au service d’une histoire rocambolesque importée des Etats-Unis (certaines références ont été francisées évidemment).

Gross comedy

Alors, certes, ce n’est pas un show grandiose à la manière d’un West Side Story ou d’un Roi Lion. Les producteurs version Michalik est une hybridation entre la comédie théâtrale à la française et le spectacle de variété à l’américaine. C’est ce qui lui donne son ton et offre une variation intéressante à l’œuvre de Mel Brooks, ouvertement choquante et pour certains grossière.

Peut-on rire avec Hitler? Oui. Peut-on rire de vieilles nymphos? Evidemment. Peut-on encore rire des gays façon Cage aux folles? Dans la culture Queer, le cabaret est une tradition. L’outrance aussi. Madame Arthur n’est pas loin. Michalik en rajoute avec l’homophobie bête de son producteur. Et ici, le metteur en scène homosexuel, par un rebondissement inattendu, se voit offrir le rôle du chef des Nazis. Là on se moque d’Hitler, pas des gays. De la même manière, peut-on rire d’une suédoise sexy et en apparence candide et obsédée sexuelle? Outre qu’elle elle est douée en déco Ikea, la jolie blonde n’est pas cruche et mène les hommes par le bout du pénis, du nez et du portefeuille. Bien plus malicieuse et plus intelligente que son stéréotype.

Laugh Therapy

Car, au final, ce qui compte, c’est bien la morale de l’histoire écrite à la fin des années 1960, 23 ans après le suicide d’Hitler et la libération des camps, un an avant les émeutes LGBTQI+ de Stonewall, en pleine révolution féministe. Et Mel Brooks (en bon diplômé en psychologie) et Alexis Michalik se rejoignent sur ce point : le rire sauve de tout, y compris des plus grandes douleurs. Que ce soit le traumatisme laissé par une guerre, la marginalité d’une minorité (qui s’amuse toute seule puisqu’on la met à l’écart) ou le sexisme culturel d’une société misogyne et machiste. A la fin, Hitler est ridiculisé, le gay ovationné, la secrétaire blonde a gagné tout ce qu’elle voulait. La victoire par l’extrême-rire.

Mel Brooks l’affirme : « Aller trop loin, ça ne veut rien dire. Si ça marche, c’est drôle, si ça ne marche pas, ça ne va pas trop loin, c’est juste stupide. Vraiment, ça ne signifie rien trop loin. Vous vous joignez au politiquement correct quand vous utilisez des expression comme « trop loin ». »

Les Producteurs va peut-être trop loin à certains moments. Mais en restant fidèle à l’époque de création, Alexis Michalik assume un musical des années 1960. Ou alors, si on pinaille, on peut voir du sexisme de My Fair Lady, du racisme de Show Boat, de l’appropriation culturelle du Roi Lion, de l’immoralité de Chicago… sans tenir compte de leur morale et de leur génie.

Comme le dit Mel Brooks : « On espère le meilleur. Attendez-vous au pire. La vie est une pièce. Sans répétitions.« 

Les producteurs au Théâtre de Paris : informations et réservations