Jacques Doillon, jeune cinéaste : 4 films en version restaurée dans les salles

Jacques Doillon, jeune cinéaste : 4 films en version restaurée dans les salles

Sa caméra a filmé les plus grands : Auteuil, Balasko, Birkin, Piccoli, Binoche, Azéma, Bonnaire, Denicourt, Souchon, Godrèche, Poupaud, Huppert, Dalle, Anconina, Courau, Gainsbourg, Attal, Brochet, Wilson, Ducey, Greggory, Garrel, Forestier, Lindon… et pourtant c’est la petite fille de seulement 4 ans de Ponette qui a remporté un prestigieux prix de meilleure actrice à Venise en 1996. Il a réalisé et écrit environ une trentaine de films : 3 de ses films ont été sélectionnés au Festival de Cannes, 3 autres ont été en compétition au Festival de Venise, et aussi 3 également au Festival de Berlin… mais pourtant seuls 2 films lui ont valu des nominations sur son nom aux César (meilleur réalisateur et meilleur scénario pour La Drôlesse en 1980; meilleur film et meilleur réalisateur et meilleur scénario pour Le Petit Criminel). Ces paradoxes sont symbolisé par une reconnaissance un peu en marge des autres, comme une ‘mention spéciale’ du Prix Jean Vigo en 2008 qui salue « une ligne de conduite indépendante, originale et toujours novatrice ».

Jacques Doillon reste un cinéaste singulier avec une longue filmographie méconnue, et justement c’est une nouvelle sortie en salles de plusieurs de ses films dans le cadre d’une rétrospective ‘Jacques Doillon, jeune cinéaste‘.

A partir du 23 mars il sera possible de (re)découvrir en salles 4 anciens films dans des nouvelles versions restaurées 4K : Les Doigts dans la tête, La Drôlesse, La femme qui pleure, et La vie de famille. Jacques Doillon sera présent à certaines projections à la rencontre du public :

23 mars – PARIS Reflet Médicis : 13H50 La Drôlesse 19H50 Les Doigts dans la tête + cocktail

24 mars –PARIS mk2 Beaubourg : 19h45 La Vie de famille

25 mars –ANTONY Sélect : 18H30 Les Doigts dans la tête 21h La Vie de famille

26 mars –LYON Terreaux : 20h30 La Drôlesse

28 mars –MONTREUIL Cinéma Le Méliès : 20h15 Les Doigts dans la tête

d’autres dates de rencontre avec le cinéaste lors de projections dans d’autres villes ensuite : Orléans, Herouville, Crest, Die, Grenoble, Chamberry, Annecy, Dijon, Angoulême, Poitiers, Aix en Provence, Marseille, Port de Bouc…

Les Doigts dans la tête (1974), en version restaurée 4K : « Si elle est partie c’est parce que on lui a bien fait comprendre qu’elle est en trop ici, c’est pas normal. »

Chris, un jeune apprenti boulanger, est renvoyé par son patron pour retards répétés alors qu’il est logé par ce dernier qui veut maintenant l’expulser. Par mesure de protestation, il décide de renforcer l’occupation de sa chambre de bonne en compagnie de Rosette, sa petite-amie du moment vendeuse à la boulangerie, Léon, un ami mécano, et Liv, une touriste Suédoise de passage à Paris

C’est le deuxième long-métrage de Jacques Doillon François qui sortira au cinéma mais en fait son premier film totalement personnel et celui qui le fera connaître. C’est à la fois un essai et aussi déjà donc dès le début presque la matrice de ce qui deviendra l’essence de son cinéma à venir : des jeunes comédiens amateurs, une chambre, et un triangle amoureux. Les préoccupations de la jeunesse de l’époque des années 70 se révèlent toujours bien actuelle : l’intégration dans le monde du travail (ou pas), hésiter à s’engager dans une relation de couple (voir trouple). François Truffaut avait écrit une longue critique admirative de ce film , avec notamment : « C’est un film drôle et vrai, un film qui chante juste, un film simple comme bonjour. J’ai apprécié également que ‘Les doigts dans la tête’, manifestement conçu pour filmer des morceaux de vie réelle soit vraiment mis en scène et tourne le dos aux techniques de reportage… ‘Les doigts dans la tête’ est filmé en noir et blanc, sans zoom, aussi sérieusement cadré que ‘La maman et la putain’, mis en scène sans effets, mais mis en scène. Le point fort c’est le jeu des acteurs, tranquille et feutré, si juste qu’on ne peut s’empêcher après la projection, de mener sa petite enquête : dialogue écrit ou improvisé ? Je crois savoir qu’il fut écrit à quatre-vingt dix pour cent et les acteurs n’en n’ont que plus de mérite de nous donner l’impression qu’ils ont dit ce qui leur passait par la tête. »

La Drôlesse (1979), en version restaurée 4K : « Faut que je t’attache parce que j’ai peur que tu te sauves. »

François, vingt ans, rejeté par son entourage, kidnappe Madeleine, onze ans. La fillette, tout d’abord apeurée, devient la complice de François et prend rapidement les rênes de ce jeu interdit. Et chacun, difficilement, maladroitement, commence à donner à l’autre un peu de son immense amour… Ensemble, ils tentent innocemment de s’inventer le foyer dont ils ont toujours rêvé…

Jacques Doillon est désormais un cinéaste reconnu, et La Drôlesse est sélectionné en compétition au Festival de Cannes (où il gagner un ‘Prix du jeune cinéma’), et aura deux nomination aux César (meilleur réalisateur et meilleur scénario). Le fait-divers confus d’une disparition de fillette a inspiré cette histoire que l’on découvre de l’intérieur d’un grenier durant plusieurs jours. Si de l’extérieur il y a un ravisseur, il y a comme un ravissement plus intime avec une curieuse relation de simulacre de couple qui se construit. Malgré leur différence d’âge les deux adolescents face à face effacent les rôles de bourreau et de victime pour au fur et à mesure mieux faire la connaissance de l’autre. L’enfermement devient un isolement à l’écart des autres où quelque chose de ténu a pu se passer…

La femme qui pleure (1980), en version restaurée 4K : « J’en ai marre d’être la troisième personne d’un couple. »

Dominique et Jacques vivent avec leur petite fille Lola dans une maison isolée de Haute-Provence. Dominique pleure : elle attend Jacques, parti plus longtemps que prévu, et elle sait ce que signifie cette absence. Jacques aime une autre femme et il ne s’agit pas, cette fois, d’une rencontre passagère…

Jacques Doillon suit son filon de triangle amoureux aux possibilités multiples, avec plusieurs situations inextricables qui vont devoir être démêlées le temps de quelques jours dans une maison. A plusieurs reprises selon des contraintes de budget ou de calendrier (et aussi d’envie personnelle), c’est Jacques Doillon qui fait lui-même l’acteur et c’est l’une de ses filles qui fait l’enfant-actrice (ici Lola Doillon, dans d’autres films ça sera Lou Doillon) et parfois c’est sa compagne qui est actrice (Jane Birkin plusieurs fois) : la fiction peut s’inspirer en partie de sa vie. Ici l’actrice principale aurait pu être Miou-Miou à qui le rôle a été proposé, mais quand le film a pu se faire ça a été avec Dominique Laffin et elle recevra d’ailleurs ensuite une nomination au César de meilleure actrice. Il y a l’ex-femme qui est délaissée et quittée qui parvient à s’incruster dans la maison de son homme avec sa nouvelle amoureuse. Ce film est typique des histoires développées par Doillon avec en même temps une histoire d’amour qui se termine et une autre histoire d’amour commencée mais à un moment où tout pourrait basculer (avec en plus la question de faire ou pas un autre enfant). Le désespoir et les regrets peuvent être destructeurs…

La vie de famille (1984), en version restaurée 4K : « Si tu préfères garder ta mère pour toi toute seule, je libère le plancher, et tu as gagné. »

Emmanuel vit avec Mara – sa seconde femme – et Natacha, la fille de Mara. Les rapports ne sont pas faciles, car Natacha, qui est en pleine adolescence, accepte mal la présence d’Emmanuel. Mais celui-ci a d’autres problèmes : chaque samedi, il se rend chez son ex femme pour y chercher sa fille Élise avec laquelle il s’efforce de passer tous les week-ends. Or, Emmanuel, qui se sent relativement coupable de ne plus être auprès d’elle, veut tenter une expérience avec elle : désormais, il veut apprendre à Élise à ne pas trop dépendre de sa protection…

Pour cette fois Jacques Doillon délaisse le triangle amoureux pour raconter une histoire de famille recomposée, et en particulier la place du père (Sami Frey) avec sa fille (née avec son ex-femme quittée) alors que sa nouvelle compagne avait déjà eu avant une fille devenue adolescente (Juliette Binoche) dont il devient le beau-père. Doillon fera d’ailleurs plusieurs films différents sur le rapport père-fille (dont La puritaine, dont aussi La fille prodigue), autre thématique forte de son cinéma. Un nouveau foyer et une nouvelle famille ne signifie pas délaisser sa petite fille restée avec l’ex-femme, et le temps d’un long week-end qui va se prolonger ce père va essayer de resserrer ses liens avec sa fille. Pour un fois Doillon quitte la structure du lieux en huis-clos pour la liberté de l’imprévu d’un road-trip sur les routes entre France et Espagne. Comme souvent chez Doillon le film débute par un affrontement qui devra être résolu d’une façon ou d’une autre, ici ça sera par le moyen d’une évasion en voiture où l’itinéraire est décidé comme un jeu et c’est d’ailleurs par différents jeux que le père et sa fille vont essayer de se dire des choses intimes. En particulier le père va filmer avec une petite caméra sa fille qui elle s’inventera une histoire de film pour s’amuser, et lui en profite pour que s’enregistre des souvenirs de cette enfance.

Modèle créé by Pixartprinting

Chacun de ces 4 films seront en salles de cinéma dans des nouvelles versions restaurées 4K : Les Doigts dans la tête, La Drôlesse, La femme qui pleure, et La vie de famille.

Rétrospectivement on pourra mesurer une certaine influence de Jacques Doillon qui aura été précurseur à la fois sur le fond et la forme pour plusieurs certains cinéastes des générations suivantes qui exploreront à leur tour les mêmes voies : par exemple le goût du texte sentimental très dialogué chez les films de Emmanuel Mouret, les multiples variations de triangle amoureux chez Hong Sang-soo (aussi certains films de Olivier Assayas ou de Benoît Jacquot).

D’ailleurs ce n’est peut-être pas impossible que Les Doigts dans la tête ait infusé chez Cédric Klapisch quand il a fait Le péril jeune, ou que La vie de famille ait inspiré un peu Sofia Coppola quand elle a fait Somewhere

Jacques Doillon, jeune cinéaste ? Assurément !