Le monde d’hier : Diastème scrute les arcanes d’une République crépusculaire

Le monde d’hier : Diastème scrute les arcanes d’une République crépusculaire

C’est la première fois qu’un film français installe une femme à l’Elysée, alors que les séries l’ont déjà acté et qu’aux Etats-Unis c’est devenu affaire courante depuis longtemps. Le monde d’hier montre une présidente solide, incarnée par une Léa Drucker impeccable, dans un chaos électoral où l’usure du pouvoir manque de faire basculer la République dans l’inconnu.

Une fiction se fera toujours rattrapée par la réalité. On en vient, avec le temps, par les confondre. Le monde d’hier n’y échappera pas demain. Léa Drucker, solide en cheffe d’Etat vacillante mais combattante, est une présidente de la République, coincée dans son Palais, à quelques jours de la fin de son mandat. Elle doit quitter la politique : pour sa santé (secret mitterrandien et belle parabole d’un pouvoir sous oxygène), pour sa fille (Luna Lou), qui apporte une dimension hypersensible à cet univers glaçnat, et pour des raisons politique puisqu’elle n’est pas en mesure de se faire réélire (situation hollandaise typique).

Une femme et des hommes : un Premier ministre (Benjamin Biolay) qui n’arrive pas à se recaser, rival d’un Secrétaire général (Denis Podalydès), loyal, amoureux, fidèle, qui sert de rempart (et de fusible), un successeur (Jacques Weber) condamné à perdre, pris comme un « bleu » dans une sale affaire, un garde du corps (Alban Lenoir), à la fois soldat aux ordres et seul lien affectif de la présidente, et enfin un adversaire populiste d’extrême-droite (Thierry Godard), logiquement rejetté par les républicains.

Pas si loin du réel, hélas

Le monde d’hier est un théâtre d’ombres, où, en coulisses, les affaires de la République sont gérées sans élever la voix, dans des salons feutrés. D’ici on imagine les coups tordus (écoutes, manipulations), les coups d’éclat (négociations, démissions), les coups politiques (chacun avance ses pions en fonction de ses intérêts). Le tableau est peu avenant, mais pragmatique. Comment éviter la victoire de l’extrême-droite alors que tout le bilan conduit les électeurs à chasser le pouvoir en place?

Diastème s’était déjà infiltré dans la montée de l’extrême-droite, par les actes et le point de vue d’un militant, dans Un français. Cette fois-ci, il pointe sa caméra sur les faiblesses programmatiques et l’impuissance démocratique des partis de la victoire politique du camp populiste, en décortiquant l’origine du mal. C’est la culpabilité finale, pour ne pas dire le crépuscule des pseudo-Dieux.

Ce faux thriller élégant montre surtout le poids des responsabilités, le piège des institutions, la peur de l’échec. Il y a les ors du pouvoir, mais le cinéaste nous offre surtout les affres de l’Histoire. Co-écrit avec deux journalistes célèbres pour leurs livres décryptant la Ve République (Gérard Davet et Fabrice Lhomme, reporters au Monde), le scénario, qui préfère l’épure à la surdramatisation et l’ombre à la noirceur, déroule ainsi des événements et rebondissements qui passent en revue des faits avérés de la Ve République, de Pompidou à Mitterrand, de Chirac à Hollande, de Sarkozy à Macron. Tout se mélange pour figer le récit dans une synthèse d’un pouvoir à bout de souffle dans un pays tenté par le déraisonnable. Le titre du film renvoie au titre du dernier roman de Stefan Zweig, envoyé à son éditeur avant le suicide de l’écrivain, désespéré par un monde qui a basculé dans l’horreur.

Dégénérescence

Le monde d’hier s’approche davantage du conte humain, organique, romanesque où chacun se regarde dans le miroir et dresse son propre bilan. Vieillis, usés, fatigués. Ils sont tous désenchantés et ne parviennent plus à réenchanter la politique. Comment, alors, se battre contre des menaces portéiformes : chantage venu de l’étranger, victoire de l’adversaire, santé déclinante, fragilité des êtres essorés par un mandat, rapports humains pervertis… Pas de quoi penser au poste en se rasant ou en s’épilant.

Cependant, le réalisateur, en offrant l’Elysée à une femme, cherche aussi à imposer l’image crédible d’une présidente. Ce n’est pas la première fois, ni dans le cinéma, ni dans les séries. Mais c’est sans doute là que se trouve le rayon de lumière de ce film pessimiste. Parce qu’on y croit, parce qu’on se surprend à compatir avec elle, malgré sa dureté, jusqu’à accepter sa double décision finale (mezza voce), d’un cynisme absolu.

La représentation des président.e.s à l’écran

Certains sociologues, politologues et autres expertologues pensent que Barack Obama a pu accéder à la Maison Blanche grâce à l’habitude des spectateurs américains d’avoir vu Dennis Haysbert dans et 24 heures chrono en président des Etats-Unis. Ce n’était pas le premier afro-américain à la tête de l’Etat (James Earl Jones en 1972 dans The Man). Mais cela y a sans dout contribué. Et d’autres ont suivi jusqu’à banaliser l’affaire : Blair Underwood dans The Event, Chris Rock dans Head of State, Morgan Freeman (Deep Impact, La chute du président), Danny Glover (2012) ou encore Jamie Foxx (White House Down). En France, on a tout juste osé un président d’origine algérienne (Roschdy Zem dans l’excellente série Les sauvages).

Le nouveau combat est du côté des femmes.

A l’étranger, il y a l’indépassable Borgen, mais l’excellente Sidse Babett Knudsen n’est pas présidente (rappelons-le). Aux Etats-Unis, les séries Commander in Chief, Homeland, State of Affairs, Veep, Scandal, et House of Cards (où Robin Wright prend le fauteuil de son mari avec son célèbre « My turn ») ont installé l’image d’une femme à la Maison Blanche. Au cinéma, elles sont plus rares : Glenn Close en vice-présidente dans Air Force One, Sela Ward dans Independance Day : Resurgence, Charlize Theron dans Séduis-moi si tu peux!. Et bien sûr Meryl Streep dans Don’t look up ! qui permet de constater qe la femme politique est l’égale de l’homme politique, même dans le pire, illustrant le propos de Françoise Giroud en 1983 : « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. »

Le monde de demain?

En France, pas de procès en illégitimité. Elles sont trop rares dans les fictions pour qu’on puisse se moquer d’une telle révolution dans une démocratie très en retard sur le sujet (une seule Première ministre, actuellement une seule ministre régalienne). Ainsi, on a pu voir Anne Consigny présidente dans la minisérie L’Etat de Grace, Nathalie Baye, candidate qui échoue dans Les hommes de l’ombre et Anna Mouglalis frondeuse qui accède à l’Elysée dans la série Baron noir. N’oublions pas Audrey Fleurot en présidente américaine dans Mais qui a re-tué Pamela Rose? et Anémone en dictatrice misandre dans Jacky ou le royaume des filles.

Léa Drucker est donc la première actrice française, dans Le monde d’hier, à incarner une cheffe d’Etat française au cinéma. La question est de savoir quand la réalité va rejoindre la fiction ? En 2022 ? En 2027 ? En attendant la réponse dans les urnes, vous pouvez toujours aller dans les salles.