Jean-Pierre Léaud retrouve une femme qu’il aime pour la presser de vivre en couple avec lui, tout en sachant qu’elle a aussi un autre amoureux. Elle le lui dit et refuse. Lui : « Tu m’aimes encore ou tu ne m’aimes plus ? ».
Dès l’introduction du film, le protagoniste masculin réclame une exclusivité amoureuse. Il exige un couple quitte à précipiter vite un mariage. La femme, lassée de lui, va donc décider de vraiment le quitter. Là naît le paradoxe misogyne. Il refuse qu’elle ait plusieurs partenaires amoureux tandis que lui s’arrange pour bénéficier des amours de deux femmes en même temps (et dans la même chambre)…
Alexandre est un jeune dilettante oisif. Il vit chez Marie, sa maîtresse, et flâne à Saint-Germain-des-Prés. Un jour, il croise Veronika, une jeune infirmière. Il entame une liaison avec elle, sans pour autant quitter Marie… La maman et la putain de Jean Eustache a peu a peu glané son statut de film-culte, car, depuis sa sortie en 1973 il était devenu invisible pour des questions de droits. Sans parler de sa durée de 3h40. Il va désormais – enfin – pouvoir être (re)découvert dans les meilleures conditions : restauration en 4k, et une resortie en salles le 8 juin ! Cannes Classics présente cette version en avant-première, accompagnée de Jean-Pierre Léaud et Françoise Lebrun (avec une pensée pour Bernadette Lafont disparue).
Le film avait reçu le Grand prix spécial au Festival de Cannes 1973 (ainsi que le Prix de la critique internationale).
Alexandre : « Voulez-vous venir avec moi chez la femme chez laquelle j’habite ? »
Revenons en 1973. Jean Eustache se lance dans un film d’environ 4 heures, qu’il réduira (un peu) ensuite. Pour de nombreuses séquences il fait parler ses personnages avec de longs dialogues dont certains semblent être volontairement ou involontairement provocateurs (évidemment ils sont perçus différement aujourd’hui). A 50 ans de distance ce ne sont plus les mêmes sujets qui font débat.
A l’époque, le réalisateur fait preuve d’audace : un triangle amoureux avec à certains moments, le mot ‘baiser‘ répété plusieurs fois (même si le sexe est en fait assez pudique à l’écran), Bernadette Lafont totalement nue, ou encore une séquence qui aborde un possible suicide. On y voit surtout une femme qui revendique la liberté de coucher avec plusieurs hommes sans s’engager dans un mariage. Le féminisme est en pleine révolution, quelques années après 1968, au moment de la tribune signée des 373 femmes affirmant avoir eu recours à un IVG (alors illégal), alors même que les femmes viennent de conquérir leur émancipation financière.
Aujourd’hui tout cela ne heurte plus vraiment. Ce qui semble offensant est du côté du personnage masculin principal : un homme arrogant et un peu exaspérant. Alexandre (Jean-Pierre Léaud) est plutôt conservateur, il remet en cause le MLF, et rejette sur un même niveau homosexuels (victimes clandestines et pénalement réprimées) et flics (oppresseurs à la main de l’Etat). Alexandre s’arrange d’aimer alternativement Marie et Véronika, mais il est est extrèmement jaloux et odieux quand à la possibilité d’un autre triangle amoureux éventuel avec une femme (Marie) et deux hommes (lui, et un autre amoureux invité à dîner).
Le héros prenait le contre-pied de tout ce qui se disait et se pensait à l’époque. Démarche étrange mais assez bénéfique, je crois. Peu importe la justesse ou l’arbitraire de ce qu’il dit. Ce qui compte, c’est l’invention déployée par le personnage, ou l’auteur peu importe, pour trouver ce contre-pied systématique. On y découvrira, en passant, comme dans tous les paradoxes, une part de vérité.
Jean Eustache
Durant une première moitié de film toute l’histoire tourne autour de Alexandre qui vivote chez Marie alors qu’il drague Véronika rencontrée dans une rue et qu’il va progressivement amener à partager avec eux le même appartement,. Le spectateur intègre son univers avec diverses longues tirades de dialogues. A la seconde moitié du film, on bascule de point de vue. Les dialogues des deux femmes prennent de plus en plus de place, et leurs actions sont davantage déterminantes. Au début c’est Alexandre qui forme le triangle amoureux, ensuite c’est tour à tour Véronika et Marie qui remettent en question cette situation contre lui. Alexandre est mis face à ses multiples contradictions quand l’une d’elle lui fait ce repproche : « vous aimez une femme, vous en baisez une autre ». Le patriarcat dans toute sa splendeur filmé par un dandy provocateur.
Dans le Paris de Saint-Germain-des-Prés, le film tourné en quelques semaines estivales pour un budget relativement dérisoire, est un déluge de mots sur la séducion et la déception, la détresse des sentiments et le paroxysme du romantisme, le désir incandescent d’un Don Juan et sa débandade face au sexe dit faible, mais bien plus fort. » C’est le parti pris du film que tout soit raconté et que rien ne soit vu » disait le cinéaste, dont le récit est assez proche d’une autofiction à peine masquée. Cruel, le film l’est indéniablement. Mais c’est avant tout au service d’une ode à la liberté, même quand on’arrive plus à être consolé. Car La manamn et la putain est un film de blessures, dont les cicatrices ne se referment pas. Maudit jusque dans son destin et celui de ses acteurs, le mélodrame (auto-)destructeur est d’une froideur qui glace les cœurs. Tant de verbes tuent la chair. Tant de plans fixes figent l’amour.
La maman et la putain, malgré sa longue période d’invisibilité, a pour différentes raisons marqué plusieurs cinéastes, dont Abdellatif Kechiche (le naturisme de longues séquences bavardes durant une très longue durée de film) ou Gaspar Noé qui a d’ailleurs remis en lumière l’actrice Françoise Lebrun dans son film Vortex, présenté l’an dernier à Cannes.