Cannes 2022 | Les huit montagnes, comme une randonnée trop balisée et terriblement longue

Cannes 2022 | Les huit montagnes, comme une randonnée trop balisée et terriblement longue

Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen (Alabama Monroe) nous embarquent dans un coin paumé des Alpes du Val d’Aoste, pour une fresque amicale s’étirant sur plus de trente ans. Les Huit montagnes dure près de 2h30. Et ne nous lamentons pas: si le film avait été fidèle au livre, cela aurait pu être plus long…

En effet, le livre (multi-récompensé) de Paolo Cognetti démarrait dans les années 1970 avec l’histoire du père découvrant la région de Grana (Brusson en français), où vit l’écrivain. Là, l’histoire commence en 1984. Pietro, le fils, n’a que douze ans, tout comme Bruno, ami d’été vivant dans ces montagnes à l’année. Les vacances sont comme un éden pour le garçon de Turin et comme une porte ouverte sur un monde qu’il ignore pour le montagnard. Du premier été où ils se rencontrent naît une amitié qui alternera séparations et retrouvailles, légèreté et gravité, jeux communs et silences mutuels. Le temps passe, et on devine les époques à des accessoires, une bribe de dialogue, leur coupe de cheveux ou leur barbe plus ou moins dense.

Le 8 Montagne di Felix Van Groeningen e Charlotte Vandermeersch Alessandro Borghi (sinistra) e Luca Marinelli

Las, le récit s’étire indéfiniment, ne sachant quels moments de leurs vies choisir, quels souvenirs sont dignes d’intérêts pour la narration. Si bien que de nombreuses séquences s’avèrent soit répétitives soit anecdotiques au fil d’un scénario qui se révèle dépourvu d’enjeu dramatique. Comme l’amitié, ou l’amour, la patience (du spectateur) s’étiole avec le temps ou meurt brutalement, selon ce qu’on attend du film (on en vient même à espérer une histoire à la Brokeback Mountain).

Malheureusement, cette chronique qui part à la recherche de l’enfance perdue, ode au retour à la « nature », cherche autant sa voie que ses deux protagonistes. Ces deux solitaires cherchent leur place dans ce vaste monde (Pietro ira même jusqu’au Népal). Leurs choix, indécisions, fâcheries, réconciliations sont comme une marche pénible, qui piétine vers son long hiver…

Les Huit montagnes ne parvient pas à mener au vertige ou à sortir de sa pesanteur, pas forcément aidé par sa voix off didactique, sa musique aux confins du blues et le surnombre de situations inintéressantes. Le film aurait pu être raccourci ou, quitte à être au delà des 2h, aurait du intégrer la première partie du livre, celle du père de Pietro, puisque c’est bien là le cœur du sujet.

Père et fils, génétique et de substitution. Dans ce monde patriarcal, au propos bien viriliste (une maison qui cimente la relation entre deux mâles) et aux valeurs familiales affirmées, les femmes sont simples médiatrices ou personnages figuratifs. Ici, la relation entre Pietro et Bruno n’est qu’une affaire de rapport au père, l’homme adoré ou rejeté, dont on cherche le sempiternel pardon.

Même mort, le père leur laisse un héritage : son amour de la montagne. Pour traduire cette passion des sommets, le film, en format carré, se laisse dévorer par ses paysages, écraser par ce monde sauvage, jusqu’à nous émerveiller. Un parfait film anticonfinement, une déconnexion totale avec le monde moderne. De ces vastes espaces, les cinéastes n’en tirent rien d’autre, hormis un amour immodéré pour ces arbres, ces lacs, ces rochers, ces pierres, ces sommets…

Les saisons défilent et la montagne est évidemment très belle. Jusqu’à nous sembler plus captivante que l’histoire de ces deux hommes aux vies et aux envies très différentes. Ainsi le film s’enlise dans la banalité d’une relation masculine platonique. Son format audacieux, son ampleur ambitieuse, et son aspiration à ne pas être pompeuse ne parviennent pas à transcender son propos. Paradoxe surpême pour une œuvre qui veut faire respire rle grand air et embrasser les grands espaces, on se sent enfermés et isolés dans un refuge de montagne, tels des ermites dans une histoire hermétique.

Le otto montagne
Festival de Cannes 2022 - Compétition
Réalisation : Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen
Scénario : Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen, d’après le roman « Le otto montagne » de Paolo Cognetti
Image : Ruben Impens
Musique originale : Daniel Norgren
Durée : 2h27
Distribution : Pyramide
Avec Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi, Elena Lietti, Elisabetta Mazzullo, Lupo Barbiero, Cristiano Sassella